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VI

« Pihair, tu connais le serpent dans la bûche et le serpent dans la pierre ?

— Oui, je les connais.

— Eh bien, ce sont l’homme et la femme. Voilà qu’ils veulent faire l’amour. Ils veulent baiser ensemble pour donner naissance au Xemahoa. La bûche et la pierre veulent coucher ensemble. »

Songeant à une tête posée sur un corps, j’ai hasardé :

« La pierre va se mettre sur la bûche ? »

Une fois encore, l’impatience agitait la tête de Kayapi.

« Pihair, comment les Xemahoa font-ils l’amour ? Nous nous couchons côte à côte, de manière que le sperme, s’il se répand, tombe sur le sol et non sur le corps. Fais attention à ce que je te dis, Pihair. Si tu veux garder tes idées, tu n’apprendras jamais à connaître les Xemahoa. »

J’avais l’air malin, avec ma position du missionnaire. Autant pour moi.

Je lui ai dit que j’étais désolé, ce dont il a pris acte avec un grognement excédé.

Puis il a poursuivi :

« Le serpent de la pierre et le serpent de la bûche ont envie de coucher ensemble. Mais ils ne peuvent sortir ni de la pierre ni de la bûche, sinon la pierre et la bûche vont se refermer et ne les laisseront plus rentrer. La pierre et la bûche, elles, ont envie d’être vides. Elles ne se laisseront pas prendre une seconde fois. Alors les deux serpents ne peuvent baiser qu’à moitié. Ils répandent une grande quantité de sperme. Du sperme qui a pu pénétrer dans la bûche, est née la tribu des Xemahoas. Mais de celui qui a été répandu par terre, à ton avis ? »

J’ai répondu comme à une devinette.

« Le maka-i ? »

Un immense sourire lui a éclairé le visage et il m’a longuement tapoté l’épaule.

J’entrevoyais déjà la possibilité d’un autre mythe xemahoa – et dont les rouages seraient des éléments de la jungle aussi concrets qu’une pierre, un oiseau, une plante – qui serait le cadre de la rencontre signifiante du sperme qui, la nuit, est répandu sur la terre et du terreau des Xemahoa qui sert à engraisser le champignon maka-i. Voilà un bel exemple de la complexité, et de la logique, de cette culture indienne !

Mais les pièces du puzzle étaient encore loin d’être en place.

Je ne voulais pas m’attirer les mauvaises grâces de Kayapi alors que je venais de le rassurer quant à mon intelligence. J’ai donc remis à plus tard les questions qui m’auraient permis de compléter tant soit peu le tableau : je pensais à la femme de la hutte tabou qui, bien qu’enceinte, prenait la drogue génératrice d’enchâssements…

« Pihair, m’a dit Kayapi, les yeux dans le vague, je pense que tu peux peut-être prendre du maka-i sans que les oiseaux perdent le chemin de ta tête. Mais, bien sûr, ils auront du mal à le retrouver si tu ne les rappelles pas en xemahoa.

— J’apprends, Kayapi. Je dois apprendre vite. L’eau a encore monté, aujourd’hui ! »

Il lança vers l’eau un bref regard dédaigneux puis un jet de salive.

« Cela n’a pas d’importance. Regarde, j’ajoute de l’eau à l’eau. »

J’ai regardé et j’ai vu.

Mais je n’avais encore rien vu.

La nuit dernière, une des jeunes Xemahoa s’est glissée dans mon hamac.

« C’est Kayapi qui m’envoie, m’a-t-elle dit dans un souffle. Il m’envoie vers le Caraiba qui est un peu xemahoa. »

J’ai voulu lui répondre quelque chose en xemahoa, mais elle a délicatement introduit deux doigts dans ma bouche et tapoté ma langue. Juste à temps, je me suis souvenu de l’erreur qu’avaient commise la pierre et la bûche et, avec ma langue, j’ai refoulé ses doigts hors de ma bouche. Elle s’est alors mise à rire doucement. Dans l’obscurité de la hutte, je distinguais mal son visage et son corps, mais son rire sonnait comme celui d’une jeune fille.

Pendant un moment, j’ai pensé que ce pouvait aussi bien être un garçon. Sous ma main, sa poitrine qui s’arrondissait doucement autour des mamelons était presque trop tendre. Mais, lorsque j’ai glissé ma main plus bas, j’ai su que c’était une jeune fille. Elle était déjà plus qu’humide. Avait-elle été lubrifiée, ou ointe ? Était-elle déjà excitée ? Elle a gémi lorsque je l’ai touchée.

Son rire ne s’est arrêté que lorsque ma langue a trouvé la sienne.

Elle a pris ma verge dans sa main et m’a doucement caressé le gland jusqu’à ce que je sois prêt à jouir. Mais, à vrai dire, je pense que, plus que mon plaisir, c’est mon absence de prépuce qui l’intéressait. Les Xemahoas ne pratiquent pas la circoncision. Pour une fille enchâssée (je sens que le mot va me servir) dans cette culture endogamique, l’extrémité sans parure de ma verge était une curiosité sans pareille.

Comment faire l’amour dans un hamac xemahoa ?

Je me suis rapidement rendu compte que la meilleure position était de se coucher côte à côte.

Si le raz de marée rampant n’avait pas déjà envahi le sol de ma hutte, je suis sûr que du sperme aurait coulé entre les larges mailles du hamac sur la terre après que je me serai retiré d’elle.

Les mythes xemahoa devenaient pour moi des réalités vivantes.

Était-ce pour cette raison que Kayapi me l’avait envoyée ?

Après que nous avons fait l’amour, la fille a enfoncé ses doigts dans ma bouche pour m’empêcher de parler. Ma langue jouait avec ses phalanges et la fille jouait à prendre en défaut la vigilance de ma langue.

Elle s’est laissée glisser de mon hamac avant l’aube et je n’ai donc pas pu voir son visage.

J’ai dormi un moment.

Lorsque le jour m’a réveillé, j’ai remarqué du sang séché dans les poils de mon pubis et sur la hampe de ma verge. J’ai d’abord pensé que j’avais fait l’amour avec une vierge. Puis, en y réfléchissant, pensant surtout à la facilité avec laquelle je l’avais pénétrée dans cette position latérale, j’ai compris que l’humidité de son sexe n’était le fait ni d’une quelconque onction ni de l’excitation, mais simplement du sang de ses règles.

Elle était, comme on dit, indisposée.

Lorsque j’ai revu Kayapi, plus tard, il me l’a confirmé presque fortuitement : « Qui, elle perdait son sang. »

Ils avaient l’air malin, les tabous menstruels ! Dans cette société, du moins. Ou bien, c’était une insulte calculée.

Mais j’en doutais.

Posséder une fille qui avait ses règles était peut-être un des moyens de détourner la loi endogamique de la tribu. L’entrée de mon sperme était annulée par la sortie de son sang, ce qui me permettait à moi, l’étranger, de m’accoupler avec une Xemahoa.

Je regardais discrètement les filles qui pataugeaient çà et là dans le village, me demandant laquelle ce pouvait bien être. Et si elle reviendrait. Mais je n’y croyais pas. Notre copulation de l’autre nuit devait avoir un contexte culturel. Kayapi m’avait envoyé la fille pour me faire éprouver concrètement le contenu du mythe, pour mettre mon système nerveux à l’unisson de celui des Xemahoa.

J’étais en train de m’en ouvrir à Kayapi, du plus clairement que je pouvais, et lui m’approuvait vigoureusement en silence, lorsque nous avons entendu le bruit de l’hélicoptère. Le martèlement du moteur se rapprochait au-dessus des arbres et j’ai pensé : voilà ces foutus curés qui reviennent éprouver une autre tactique, ils vont essayer de nous servir une salade plus technique que la dernière fois.

Mais Kayapi voyait les choses autrement. « Va te cacher dans la forêt, Pihair, m’a-t-il dit d’une voix pressante.

— Pourquoi ? Ce sont encore les Robes-Blanches qui nous ont parlé du déluge. Ils sont venus sur un oiseau caraiba. »

Puis, me sentant bête d’avoir parlé ainsi, j’ai répété ma phrase en portugais, remplaçant « oiseau » par « hélicoptère »