Выбрать главу

Avec un dernier coup d’œil pour le destrier, Nynaeve se tourna dans la direction où étaient partis ses deux compagnons de voyage. Alors qu’elle flattait l’encolure de sa monture, elle faillit crier quand Aldieb lui glissa ses naseaux crème sous la main. Se ressaisissant, la Sage-Dame donna également à la jument son content de caresses.

— Sous prétexte que ta maîtresse est un glaçon, je ne vais quand même pas te battre froid…

Mais qu’est-ce qu’ils fichent, bon sang !

Après avoir quitté Pont-Blanc, les trois cavaliers avaient traversé une série de villages dont la banalité avait quelque chose d’extraordinaire, à force. Des bourgs qui ne semblaient pas appartenir à un monde grouillant de Trollocs et de Blafards.

Les voyageurs avaient suivi la route de Caemlyn pendant un moment. Puis Moiraine s’était arrêtée et, sans descendre de selle, elle avait regardé vers l’est comme s’il lui était possible de voir la grande cité, à des lieues de là, et de distinguer également ce qui les attendait là-bas.

— La Roue tisse comme elle l’entend, avait-elle soupiré, mais je ne peux croire qu’elle ait décidé de mettre un point final à l’espoir. Je dois d’abord m’occuper de ce dont je peux être certaine. Pour le reste, laissons la Roue en décider…

Sur ces mots, elle avait orienté sa jument vers le nord, quittant la route pour s’enfoncer dans la forêt. Le garçon qui n’avait pas perdu son talisman était parti par là…

Bien entendu, Lan avait suivi son Aes Sedai.

Nynaeve avait longuement regardé la route de Caemlyn qu’elle ne suivrait donc pas jusqu’au bout. Quelques chariots et des voyageurs à pied se dirigeaient vers la grande ville. Parmi ces derniers, certains avaient l’honnêteté de reconnaître qu’ils voulaient voir le faux Dragon. Mais ils étaient rares. La plupart – surtout ceux qui avaient traversé Pont-Blanc – affirmaient que ce n’était pas le but de leur voyage.

À Pont-Blanc, justement, Nynaeve avait commencé à croire un peu plus Moiraine. Avec des limites, bien sûr, mais quand même davantage qu’avant. Et cette évolution n’avait rien de rassurant…

Quand elle s’était enfin décidée à les suivre, l’Aes Sedai et le Champion étaient pratiquement hors de vue. Pour les rattraper, elle avait dû forcer l’allure. Lan s’était retourné souvent, lui faisant signe de les rejoindre, mais il ne s’était jamais laissé distancer par Moiraine, qui gardait perpétuellement les yeux rivés devant elle.

Un soir, quelques jours après le changement de direction, la piste invisible s’était brusquement interrompue.

Se relevant soudain, Moiraine avait cessé de s’intéresser à la bouilloire qui chauffait sur le feu de camp.

— Je ne sens plus rien…, avait-elle soufflé.

— Le garçon est… ? avait commencé Nynaeve, incapable d’aller jusqu’au bout de sa question.

Par la Lumière ! je ne sais même pas duquel il s’agit !

— Non, il n’est pas mort, avait répondu l’Aes Sedai. Mais il n’a plus la pièce… (Se rasseyant, elle avait retiré la bouilloire du feu et jeté dedans une poignée de feuilles.) Demain, nous continuerons dans la même direction. Quand je serai assez près, je n’aurai plus besoin du talisman pour le localiser.

Alors que le feu agonisait, Lan s’était enroulé dans sa couverture pour dormir. Nynaeve n’était pas parvenue à trouver le sommeil. Regardant Moiraine, elle avait vu qu’il en allait de même pour elle.

Alors que les ultimes braises du feu ne rougeoyaient plus depuis longtemps, Moiraine avait ouvert les yeux, les rivant sur Nynaeve.

— Sage-Dame, il a récupéré sa pièce. Tout ira bien…

Sur ces mots, l’Aes Sedai s’était endormie comme une masse. Nynaeve avait eu du mal à l’imiter. Malgré tous ses efforts, elle n’avait pas pu s’empêcher d’imaginer le pire.

Tout ira bien…

Après Pont-Blanc, y croire n’était pas facile du tout…

Sursautant, la Sage-Dame émergea de sa rêverie et revint au présent. Une main lui serrait le bras ! Ravalant le cri qui montait de sa gorge, elle lança la main vers le couteau accroché à sa ceinture. Alors que ses doigts se refermaient sur le manche, elle s’avisa que la main appartenait à Lan.

Le Champion avait abaissé son capuchon. Sa cape de caméléon se mariant parfaitement à la nuit, on aurait juré que son visage flottait tout seul dans l’obscurité. Et la main qui serrait le bras de Nynaeve paraissait jaillir de nulle part.

Certaine d’avoir droit à un sermon sur la façon dont elle s’était laissé surprendre, la Sage-Dame se raidit. Mais Lan se détourna d’elle pour aller fouiller dans ses sacoches de selle.

— On te demande, dit-il avant de s’agenouiller pour entraver les jambes de son étalon.

Dès qu’il se fut occupé des trois montures, il se redressa, prit Nynaeve par la main et s’enfonça avec elle dans le noir. Avec ses cheveux aile-de-corbeau, il passait parfaitement inaperçu, d’autant plus qu’il réussissait à faire encore moins de bruit que sa compagne. À contrecœur, la Sage-Dame dut admettre qu’elle n’aurait jamais pu le suivre s’il ne l’avait pas tenue par la main. Mais, s’il refusait de la lâcher, pourrait-elle se dégager ? Elle en doutait, tant sa poigne était puissante.

Au sommet d’une butte, Lan s’agenouilla et tira sur le bras de Nynaeve afin qu’elle fasse comme lui. Après un moment, la Sage-Dame s’aperçut que Moiraine était là aussi, parfaitement immobile dans sa cape noire.

Lan désigna le pied de la butte, où s’étendait une grande clairière.

Nynaeve plissa les yeux, sonda la nuit et comprit soudain. Les formes plus pâles étaient des tentes alignées par rangées régulières. Un camp endormi…

— Des Capes Blanches, murmura Lan. Au moins deux cents hommes, peut-être plus… Il y a un point d’eau au pied de cette butte. Et le garçon que nous cherchons est là.

— Dans le camp ? demanda Nynaeve.

Elle devina que le Champion acquiesçait.

— Au milieu, oui. Moiraine m’a montré exactement où, et j’ai pu approcher assez pour voir qu’il est sous bonne garde.

— Prisonnier ? s’étonna la Sage-Dame. Pourquoi donc ?

— Je n’en sais rien… Normalement, les Fils de la Lumière ne devraient pas s’intéresser à un garçon de la campagne, sauf s’ils ont une très bonne raison de le soupçonner. La Lumière m’en soit témoin, il ne faut pas grand-chose pour éveiller leur suspicion, mais ça m’inquiète quand même…

— Comment vas-tu faire pour le libérer ?

Quand Lan tourna la tête vers elle, Nynaeve s’avisa qu’elle le croyait capable de pénétrer dans le camp au nez et à la barbe de deux cents hommes et d’en revenir avec le jeune prisonnier.

C’est un Champion, pas vrai ? Certaines histoires doivent bien être authentiques…

La Sage-Dame s’attendait à une réponse ironique, Mais Lan ne se départit pas de son calme coutumier.

— Je peux le tirer de là, mais je doute qu’il soit en état de passer inaperçu. Si on nous repère, nous risquons de nous retrouver avec deux cents Capes Blanches aux trousses – et trois chevaux pour quatre cavaliers… À moins que les Fils aient mieux à faire que nous poursuivre. Tu veux bien courir un risque ?

— Pour un garçon de Champ d’Emond ? Bien entendu ! Quel genre de risque ?

Le Champion désigna de nouveau quelque chose. Cette fois, Nynaeve ne vit rien du tout dans le noir.