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À la lueur de la lune, les capes blanches des deux gardes brillaient faiblement. Même s’il ne voyait pas leur visage, Perrin savait qu’ils ne quittaient pas les prisonniers des yeux. Pourquoi donc ? Que pouvaient-ils tenter, avec les pieds et les poings liés ? Quand la lumière suffisait encore, Perrin avait vu le dégoût et le mépris qu’éprouvaient les gardes pour les captifs – comme si on les avait chargés de surveiller des monstres puants et couverts d’immondices. Mais tous les Fils de la Lumière les regardaient ainsi. Et rien n’y ferait, jusqu’au bout du voyage…

Au nom de la Lumière ! comment les convaincre que nous ne sommes pas des Suppôts des Ténèbres ? Ils ont prononcé la sentence avant même d’avoir ouvert le procès…

Perrin sentit son estomac se retourner. Au bout du compte, il avouerait n’importe quoi, pourvu que les Confesseurs consentent à s’arrêter…

Quelqu’un approchait. Un type qui tenait une lanterne – et qui venait de s’arrêter pour parler aux sentinelles. Apparemment, on lui répondait avec un grand respect. Trop loin pour comprendre ce qui se disait, Perrin reconnut néanmoins la haute silhouette étique de Byar.

Le Fils de la Lumière vint se camper près du prisonnier, baissant sa lanterne pour mieux le dévisager. Dans l’autre main, il tenait la hache de Perrin, qu’il semblait s’être appropriée. En tout cas, il la portait en permanence devant l’apprenti forgeron.

— Réveille-toi ! dit-il de son éternel ton neutre, comme s’il pensait Perrin capable de dormir avec les yeux ouverts et la tête relevée.

À tout hasard, il ponctua son injonction d’un coup de pied dans les côtes du prisonnier.

Perrin gémit entre ses dents serrées. À force de servir de cible à Byar, ses flancs n’étaient plus qu’une masse enflée et douloureuse.

— Je t’ai dit de te réveiller !

Voyant Byar armer de nouveau son pied, Perrin dit très vite :

— Je suis réveillé !

Quand on ne semblait pas lui accorder assez d’attention, Byar trouvait toujours un moyen de se faire entendre.

Posant la lanterne sur le sol, il s’accroupit pour vérifier les liens du prisonnier, le malmenant assez pour qu’il ait l’impression qu’on tentait de lui arracher les bras. Satisfait par son examen, il tira sur les lanières de cuir qui entravaient les chevilles de Perrin, le traînant sur le sol rocailleux. À le voir, on aurait pu penser que Byar n’avait pas de force, mais entre ses mains l’apprenti forgeron aurait tout aussi bien pu être un enfant.

Alors que Byar se redressait, Perrin s’aperçut que son amie dormait encore.

— Réveille-toi ! cria-t-il. Egwene, réveille-toi !

— Hein ? Quoi ?

La voix encore pâteuse de sommeil, la jeune fille leva la tête.

Byar ne parut pas déçu de ne pas pouvoir réveiller la prisonnière à coups de pied. En fait, elle n’avait jamais eu droit à ce traitement. Se contentant de tirer sur les liens de la jeune fille, il ignora superbement ses gémissements de douleur. Faire souffrir les autres n’éveillait aucun sentiment chez le Fils de la Lumière, sauf quand il s’agissait de Perrin. Même si le jeune homme n’en gardait aucun souvenir, il avait tué deux Capes Blanches et Byar n’était pas du genre à oublier ça…

— Pourquoi les Suppôts des Ténèbres dormiraient-ils alors que des hommes dignes de ce nom doivent se priver de sommeil pour les surveiller ?

— Pour la centième fois, souffla Egwene, nous ne sommes pas des Suppôts des Ténèbres.

Perrin eut l’estomac noué. Très souvent, les déclarations d’innocence se voyaient récompenser d’un long sermon sur l’aveu et la repentance – avec une description détaillée de la technique des Confesseurs, plus quelques coups de pied pour faire bonne mesure. Mais, cette fois, Byar ne réagit pas.

Au contraire, il s’accroupit devant Perrin, ses articulations saillant à lui en transpercer la peau, et posa la hache sur ses genoux. À la lumière de la lanterne, le soleil et les deux étoiles qui ornaient sa poitrine, du côté gauche, brillaient très faiblement. Enlevant son casque, Byar le posa sur le sol. Pour une fois, son visage exprimait autre chose que du mépris ou de la haine. Une émotion intense, mais illisible, semblait le travailler tandis qu’il dévisageait l’apprenti forgeron.

— Tu nous ralentis, Suppôt des Ténèbres, avec tes maudits loups ! Le Conseil des Initiés a déjà entendu parler d’hommes aux loups comme toi, et il voudrait en apprendre plus. Du coup, tu dois être conduit à Amador, afin que les Confesseurs t’arrachent la vérité. Mais tu nous ralentis vraiment beaucoup. J’espérais pouvoir progresser vite, malgré la perte des montures de rechange. Hélas, je me trompais…

Byar se tut, les yeux baissés sur les prisonniers. Perrin ne commit pas l’erreur de poser une question. Quand il serait disposé, le Fils de la Lumière parlerait.

— Le capitaine est pris entre deux feux… À cause des loups, il est obligé de te livrer aux Confesseurs. Mais il doit aussi atteindre très vite Caemlyn. Nous n’avons pas de chevaux pour vous deux, et si nous continuons à vous faire marcher derrière les nôtres, nous n’arriverons jamais à temps à Caemlyn. Le capitaine a une vision très stricte des choses, donc il tient à vous conduire devant le Conseil…

Egwene gémit de douleur ou d’angoisse. S’en fichant, Byar continua à sonder le regard de Perrin.

— Je ne comprends rien à ce que vous dites…, souffla l’apprenti forgeron.

— Parce qu’il n’y a rien à comprendre, en tout cas pour l’instant… Si vous vous échappez, nous n’aurons pas le temps de vous poursuivre, c’est certain. Imaginons que vous coupiez vos liens en les frottant contre une pierre, puis que vous vous volatilisiez dans la nuit ? Les problèmes du capitaine seraient résolus…

Sans cesser de regarder Perrin, Byar prit sous sa cape un objet qu’il laissa tomber sur le sol.

D’instinct, Perrin tourna la tête et sursauta quand il vit de quoi il s’agissait : une pierre aux bords coupants, peut-être un éclat de quartz…

— Tu vois, pour l’instant, il n’y a rien à comprendre. C’est ce que je viens d’expliquer à vos gardiens…

Réfléchis, Perrin ! pensa le jeune homme. Lumière, aide-moi à savoir que faire et à ne pas me tromper, sinon c’est la mort assurée !

Était-ce vrai ? Gagner au plus vite Caemlyn était-il un objectif assez important pour que Byar arrange l’évasion de deux Suppôts des Ténèbres ? Au risque d’être soupçonné de trahison ?

Comment savoir, pour Caemlyn ? Bornhald excepté, Perrin n’avait parlé qu’à Byar – et les deux Fils de la Lumière n’étaient guère généreux en matière d’informations.

Une autre piste ? Si Byar voulait qu’ils s’évadent, pourquoi ne pas couper simplement leurs liens ? Mais était-il crédible qu’il lâche dans la nature deux Suppôts des Ténèbres ? Lui qui les détestait plus encore que le Père des Mensonges ? Lui qui brûlait de venger ses camarades morts ? Et il offrirait la liberté à deux ennemis ?

L’esprit déjà en ébullition avant l’arrivée de Byar, Perrin avait l’impression qu’une tempête faisait rage sous son crâne. Malgré le froid, il transpirait à grosses gouttes. Regardant les sentinelles, il eut le sentiment qu’elles attendaient quelque chose. Si Egwene et lui étaient tués lors d’une tentative d’évasion, après avoir coupé leurs liens avec une pierre… Tous les problèmes du seigneur capitaine seraient résolus, effectivement. Et Byar ajouterait deux Suppôts morts à une liste qu’il travaillait à rendre interminable…