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Byar reprit son casque et se releva.

— Attendez…, croassa Perrin. (Il devait trouver la solution, mais ses pensées étaient tellement embrouillées.) Attendez, je veux vous parler et…

Des secours sont en route !

La pensée explosa dans la tête du jeune homme, délectable îlot de clarté dans un océan de ténèbres et de chaos. Un moment, Perrin oublia tout le reste, y compris sa situation présente. Tachetée était vivante !

Elyas ? pensa le jeune homme, demandant à la louve si son compagnon humain était encore en vie.

En guise de réponse, une image se forma devant l’œil mental de Perrin : l’homme aux loups étendu dans une grotte, près d’un petit feu, et occupé à soigner son flanc blessé.

Tout cela n’ayant duré qu’une fraction de seconde, le grand sourire qui s’afficha sur les lèvres du prisonnier n’échappa pas à Byar.

— Tu viens d’avoir une idée, Perrin de Deux-Rivières, et je donnerais cher pour savoir laquelle.

Un instant, le jeune homme redouta que le Fils de la Lumière sache pour Tachetée. Mais c’était impossible, et il ne fallait surtout pas paniquer…

Dubitatif, Byar posa les yeux sur la pierre qu’il avait laissée tomber dans la poussière.

Il hésitait, doutant à présent de sa stratégie. S’il en changeait, laisserait-il la vie à deux témoins gênants ? Rien n’empêchait de couper les liens d’un prisonnier après l’avoir tué. C’était un peu moins convaincant, mais pas tant que ça…

Dans les yeux profondément enfoncés dans leurs orbites de Byar, Perrin lut que la décision fatale était prise.

Byar ouvrit la bouche, sans doute pour énoncer la sentence.

Mais les événements s’enchaînèrent à une vitesse dépassant celle de la pensée.

Pour commencer, un des gardes se volatilisa comme si la nuit l’avait gobé tout cru. Son camarade faillit pousser un cri d’alarme, mais un bruit mat retentit, et il s’effondra comme une masse.

Byar se releva, rapide comme une vipère qui passe à l’attaque, la hache tournant si vite entre ses mains que le tranchant bourdonna. Les yeux écarquillés, Perrin vit une vague d’obscurité déferler sur la lumière de la lanterne, l’occultant aussitôt. Il voulut crier, mais la terreur le paralysa. Un instant, il en oublia même que Byar préméditait sa fin et celle d’Egwene. Le Fils de la Lumière, un être humain comme eux, était menacé de mort par la nuit devenue vivante.

La vague d’obscurité prit soudain une forme familière. Éberlué, Perrin reconnut Lan, véritable tourbillon d’ombres gris et noir dans sa cape aux couleurs fluctuantes. Byar abattit sa hache, mais Lan l’évita avec une aisance presque désinvolte. Alors que le tranchant sifflait à côté de lui, Byar se laissant emporter par son élan, le Champion frappa du poing et des pieds, si vite que Perrin se demanda s’il voyait bien ce qu’il croyait voir. En tout cas, le Fils de la Lumière s’écroula comme un pantin privé de ses ficelles. Pendant qu’il tombait, Lan s’agenouilla pour éteindre la lanterne.

Perrin écarquilla les yeux, stupéfié que le Champion ait de nouveau disparu.

— C’était vraiment…, commença Egwene. On vous croyait tous morts…

— La nouvelle était grandement exagérée…, se contenta de répondre le Champion.

De l’humour, lui ?

Des mains saisirent les liens de Perrin, puis une lame les trancha net. Tous ses muscles protestant, le jeune homme s’assit et se massa les poignets.

— Est-il… ? L’avez-vous… ? demanda-t-il en baissant les yeux sur la masse sombre qui devait être Byar.

— Non, répondit Lan. Je ne tue jamais, sauf quand j’en ai l’intention. Mais il n’ennuiera plus personne pendant un moment. Maintenant, assez de questions ! Procure-toi deux capes blanches, et plus vite que ça !

Perrin rampa jusqu’à Byar. Le toucher ne fut pas facile, et il faillit retirer sa main quand il sentit la poitrine du fanatique se soulever. Mais il parvint à se maîtriser et retira prestement sa cape au Fils de la Lumière. Malgré les assurances de Lan, il redoutait que son tortionnaire se réveille. Après avoir récupéré sa hache, il rampa jusqu’à un des gardes. Toucher cet homme-là, bizarrement, ne le gêna pas. D’abord perplexe, il comprit vite pourquoi. Les Capes Blanches détestaient les Suppôts, et c’était une émotion humaine. Byar, lui, voulait la mort des deux prisonniers, mais il n’y avait pas de haine en jeu – rien de personnel, en quelque sorte.

Les deux capes pliées sur un bras, Perrin se retourna… et céda à la panique. Dans le noir, il n’avait aucune idée de la direction à prendre pour retrouver Lan et Egwene. Maintenant qu’il n’avait plus sa cape, Byar aussi était invisible dans l’obscurité.

Comment s’orienter ? S’il se jetait dans la gueule du loup au lieu de rejoindre ses amis…

— Par là…

Perrin se laissa guider par le murmure de Lan. Lorsque des mains l’arrêtèrent, il distingua très vaguement la silhouette d’Egwene et le visage très pâle du Champion. Le corps de Lan, lui, restait invisible.

— Mettez les capes blanches, et emportez les vôtres. Surtout, pas un bruit ! Nous ne sommes pas encore sortis d’affaire.

Soulagé que son moment de panique soit déjà oublié, Perrin tendit une cape à Egwene. Puis il retira la sienne, la plia pour la transporter plus facilement et mit la blanche sur ses épaules. Frissonnant à ce contact, il se demanda s’il avait hérité du vêtement de Byar. Il l’aurait juré, comme s’il pouvait sentir la présence du fanatique dans le tissu.

Lan ayant ordonné aux deux jeunes gens de se tenir par la main, Perrin obéit, la hache serrée dans son poing libre. Quand le Champion allait-il leur ordonner de passer à l’action, afin que son imagination cesse de partir dans tous les sens ? Mais ils restaient là, au milieu des tentes des Fils de la Lumière, deux fugitifs en cape blanche et un Champion dont on sentait la présence sans le voir.

— Bientôt…, murmura Lan. Très bientôt…

Un éclair zébra le ciel au-dessus du camp, si près que tous les poils de Perrin se hérissèrent sur sa nuque et ses bras. Puis la foudre percuta le sol, faisant jaillir un geyser de terre. Profitant de la soudaine illumination, Lan fit signe à ses deux compagnons de le suivre.

Ils n’avaient pas fait deux pas lorsqu’un deuxième éclair déchira le firmament. Avec leur façon de pleuvoir comme la grêle, ces éclairs faisaient clignoter furieusement la nuit, comme si on avait allumé et éteint une lanterne géante. Affolés, les chevaux fous de terreur s’agitaient dans les ténèbres, leurs hennissements audibles entre les roulements de tonnerre. Partout, des hommes sortaient des tentes, certains portant leur cape blanche et d’autres encore en train de s’habiller. Les mieux réveillés couraient dans tous les sens tandis que leurs camarades, encore dans les brumes du sommeil, restaient plantés sur place, se demandant ce qui se passait.

Lan ouvrant la marche, Perrin composait l’arrière-garde derrière Egwene. Ébahis, des Fils de la Lumière regardèrent passer ces frères d’armes en cape blanche qu’ils ne parvenaient pas à reconnaître. Quelques-uns leur lancèrent même des questions, mais pas un n’esquissa un geste pour les arrêter.

Se laissant guider par Lan, Perrin sentit le sol s’incliner sous ses pieds, puis des broussailles lui cinglèrent le visage. Dans le ciel, tout était redevenu normal et la foudre ne tonnait plus. Jetant un coup d’œil par-dessus son épaule, Perrin vit que plusieurs tentes brûlaient dans le camp. Les effets de la foudre, à moins que certains guerriers, paniqués, aient renversé des lampes. Des voix perdues dans la nuit tentaient de restaurer l’ordre et la discipline et quelques-unes exigeaient qu’on découvre ce qui était arrivé. L’ascension devenant un peu plus rude, Perrin cessa de prêter attention aux échos du camp – qui devinrent de toute façon très vite inaudibles.