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Lan s’étant arrêté, Egwene l’imita et Perrin faillit percuter son amie. Devant eux, les silhouettes de trois chevaux se découpaient au clair de lune.

Quelqu’un bougea dans les ombres, puis la voix de Moiraine retentit, et l’Aes Sedai ne semblait pas contente du tout.

— Nynaeve n’est pas revenue. J’ai bien peur qu’elle ait fait une bêtise.

Lan fit demi-tour, comme s’il allait voler au secours de la Sage-Dame, mais un seul mot crié par Moiraine le contraignit à s’immobiliser :

— Non !

Le Champion tourna à moitié la tête, son visage paraissant toujours aussi fantomatique dans la nuit.

— Certaines choses sont plus importantes que d’autres, dit Moiraine d’un ton plus doux mais tout aussi résolu.

Voyant que Lan hésitait toujours, elle revint dans le registre de l’autorité :

— Souviens-toi de ton serment, al’Lan Mandragoran, Seigneur des Sept Tours. Et de celui que tu as prêté en tant que Seigneur de Guerre au Diadème du Malkier.

Perrin n’en crut pas ses oreilles. Lan était vraiment tout ça ? Près de lui, Egwene marmonnait, mais il ne parvenait pas à détourner les yeux de la scène qui se déroulait devant lui. Comme un loup de la meute de Tachetée, Lan se tenait face à un petit bout de femme d’Aes Sedai, et il tentait pourtant en vain d’échapper à son pouvoir.

Des bruits de branches brisées firent sursauter tout le monde, y compris les deux protagonistes de l’affrontement muet. En deux enjambées, Lan se plaça entre Moiraine et la menace potentielle, puis il dégaina son épée…

Deux chevaux émergèrent des broussailles, l’un d’eux avec un cavalier.

— Bela ! cria Egwene.

Dans le même souffle, le cavalier, ou plutôt la cavalière, s’exclama :

— J’ai failli ne pas vous retrouver ! Egwene ! Tu es vivante, la Lumière en soit louée !

La Sage-Dame mit pied à terre et se dirigea vers les deux jeunes gens de Champ d’Emond. Mais Lan la retint par le bras, et elle s’arrêta, le défiant du regard.

— Nous devons partir, Lan, dit Moiraine, de nouveau agacée.

Le Champion lâcha Nynaeve, qui avança vers Egwene en se massant l’avant-bras. Alors qu’elle étreignait la jeune fille, la Sage-Dame eut un petit rire – en tout cas, Perrin crut l’avoir entendu, et il aurait juré que ça n’avait aucun rapport avec la joie de les revoir.

— Où sont Rand et Mat ? demanda-t-il.

— Ailleurs…, répondit Moiraine.

Nynaeve marmonna quelque chose d’un ton agressif qui arracha un cri de surprise à Egwene. Perrin en cilla de surprise, car il lui semblait bien avoir reconnu un juron de conducteur de chariot – et pas le moins grossier.

— Fasse la Lumière que tout aille bien pour eux, ajouta l’Aes Sedai comme si elle n’avait rien entendu.

— Si les Capes Blanches nous trouvent, dit Lan, ça va se gâter pour nous. Remettez vos capes, et en selle.

Perrin changea de cape puis se hissa péniblement sur le dos du cheval ramené par Nynaeve. L’absence de selle ne le gêna pas. Chez lui, il ne montait pas souvent, mais quand ça lui arrivait c’était toujours à cru. Le Champion ayant ordonné qu’ils ne laissent aucune trace de leur passage, le jeune homme avait gardé la cape blanche, désormais enroulée et nouée autour de sa taille. Il sentait toujours la présence de Byar dans le tissu, mais qu’y faire ?

Alors que la petite colonne s’ébranlait, Lan ouvrant la marche sur son étalon noir, Perrin reçut une nouvelle communication mentale de Tachetée.

Au revoir, pas adieu…

C’était en tout cas ainsi qu’il traduisait ce qui, en réalité, avait plus à voir avec un sentiment qu’avec des mots. La promesse de retrouvailles, la joyeuse attente de ce qui restait à venir – et, en même temps, la résignation face à ce qui devait advenir –, tout cela subtilement stratifié.

Soudain effrayé, Perrin tenta maladroitement de demander « quand » et « où », mais le contact avec les loups ne dura pas assez longtemps pour ça. Il obtint quand même ce qui aurait pu passer pour une réponse.

Au revoir, pas adieu…

Une antienne qui résonna dans sa tête longtemps après que la communication avec Tachetée eut été coupée.

Lan prit la direction du sud, imposant un rythme assez lent mais régulier. En pleine nuit, sur un terrain accidenté semé d’arbres et de broussaille, il n’était de toute façon pas possible de galoper. À deux reprises, le Champion rebroussa chemin pour aller jouer l’arrière-garde, Mandarb et lui se fondant très vite dans la nuit. Chaque fois, il revint pour annoncer qu’on ne les poursuivait pas.

Egwene chevauchait près de Nynaeve et des bribes de leur conversation – étouffée mais animée – parvinrent aux oreilles de Perrin. Ravies de s’être retrouvées, les deux femmes se redonnaient mutuellement le moral. Alors qu’il traînait en queue de la colonne, Perrin dut plusieurs fois faire un petit geste rassurant à la Sage-Dame, qui se retournait pour le regarder. Oui, il allait bien, et oui, il resterait où il était… Même si ses idées n’étaient pas très ordonnées, il devait réfléchir.

Qu’est-ce qui nous attend ? Bon sang ! qu’est-ce qui nous attend ?

Très peu de temps avant l’aube, Moiraine ordonna enfin une halte. Repérant un ravin, Lan entreprit d’y allumer un feu de camp qui ne serait pas visible de loin.

Puis il donna enfin aux deux jeunes gens l’autorisation de se débarrasser des capes blanches. Perrin creusa un trou près du feu afin d’y enfouir les vêtements. Alors qu’il allait jeter sa cape dedans, ses yeux tombèrent sur le soleil et les deux étoiles brodés du côté gauche. Comme si le contact du tissu lui brûlait la peau, il lâcha cette relique de Byar, s’éloigna en s’essuyant les mains sur sa veste et s’assit un peu à l’écart du groupe.

— Et maintenant, fit Egwene tandis que Lan s’occupait de reboucher le trou, si quelqu’un me disait où sont Mat et Rand ?

— Je crois qu’ils sont à Caemlyn, répondit Moiraine, ou en chemin pour y arriver. (Nynaeve ricana amèrement, mais l’Aes Sedai fit mine de n’avoir pas entendu.) Et, dans le cas contraire, je les trouverai quand même, c’est un engagement solennel.

Le repas composé de pain et de fromage arrosés par une infusion bien chaude se déroula dans un silence pesant. Succombant à la fatigue, Egwene elle-même manqua totalement de ressort. Après manger, la Sage-Dame sortit de sa sacoche un onguent qu’elle appliqua sur les poignets de la jeune fille. Pour les contusions, elle utilisa une préparation différente.

Puis Nynaeve approcha de Perrin, qui ne daigna pas relever la tête.

Le dévisageant un long moment, Nynaeve s’agenouilla ensuite près de lui, sa sacoche à la main.

— Enlève ta veste et ta chemise, Perrin ! Mon petit doigt m’a dit qu’un des Fils t’avait pris en grippe.

Toujours hanté par le message de Tachetée, le jeune homme obéit distraitement – jusqu’à ce que Nynaeve crie de surprise. Décontenancé, Perrin la regarda, puis il baissa les yeux sur son torse. Sur les flancs, sa chair n’était plus qu’une contusion géante, la couleur différente des lésions permettant de distinguer les nouvelles des plus anciennes. Sans la masse musculaire dont il s’était doté en travaillant à la forge, Perrin aurait sans doute eu plusieurs côtes cassées. Occupé à penser aux loups, il avait pu oublier la douleur, mais elle revenait à la charge et elle s’en donnait à cœur joie. Trahissant sa souffrance, l’apprenti forgeron voulut prendre une grande inspiration et dut serrer les dents pour ne pas crier.

— Comment a-t-il pu te prendre en grippe à ce point ? demanda Nynaeve.