Выбрать главу

J’ai tué deux des siens…, pensa Perrin.

— Je n’en sais rien, préféra-t-il dire à voix haute.

La Sage-Dame sortit un pot d’onguent de sa sacoche. Quand elle commença à traiter Perrin, il ne put s’empêcher de sursauter.

— Un mélange de poudre de lierre et de baies rouges…, annonça Nynaeve.

Si curieux que ça paraisse, l’onguent était à la fois chaud et froid. En conséquence, Perrin frissonna et transpira à grosses gouttes en même temps. Il ne protesta pas, car il connaissait la qualité des pommades et des cataplasmes de la Sage-Dame. Alors qu’elle continuait l’application, les deux sensations contradictoires s’évanouirent et la douleur disparut avec elles. Les contusions les plus récentes brunirent, et les plus anciennes pâlirent ou s’effacèrent. Par curiosité, le jeune homme reprit une grande inspiration et n’éprouva qu’une sorte de picotement désagréable.

— Tu as l’air étonné, souffla Nynaeve. (Pour tout dire, elle semblait elle-même très surprise et bizarrement effrayée.) La prochaine fois, tu pourras t’adresser à… l’autre.

— Je ne suis pas étonné, répondit Perrin, mais content, simplement. (Les onguents de la Sage-Dame agissaient plus ou moins vite selon les cas, mais ils n’étaient jamais inefficaces.) Qu’est-il arrivé à Rand et Mat ?

Nynaeve entreprit de ranger dans sa sacoche, avec mille précautions, les pots d’onguent et les flacons qu’elle venait d’utiliser.

— Elle dit qu’ils vont bien, que nous les trouverons à Caemlyn parce que c’est trop important pour que nous échouions – ne me demande pas ce que ça veut dire, parce que je n’en sais rien ! Elle dit beaucoup de choses…

Perrin ne put s’empêcher de sourire. Si pas mal de choses avaient changé en quelques jours, la Sage-Dame restait telle qu’en elle-même et sa relation avec l’Aes Sedai demeurait toujours très loin de la franche amitié.

Les yeux rivés dans ceux de Perrin, Nynaeve se pétrifia soudain. Puis elle lâcha sa sacoche et plaqua le dos de ses mains sur le front et une joue du jeune homme. Celui-ci tenta de se dégager, mais elle lui prit la tête à deux mains, les pouces lui relevant de force les paupières. En marmonnant, elle étudia les yeux de son patient. Malgré sa force supérieure, Perrin ne réussit pas à se libérer. Quand la Sage-Dame n’avait pas envie de lâcher quelqu’un, elle ne le lâchait pas…

— Je ne comprends pas, avoua-t-elle lorsqu’elle libéra enfin Perrin. Si c’était la fièvre des yeux jaunes, tu ne tiendrais pas debout. De toute façon, tu n’as pas de température, et le blanc de tes yeux n’est pas jaune. Seuls les iris ont changé de couleur.

— Jaune, vraiment ? demanda Moiraine.

Perrin et Nynaeve sursautèrent avec un bel ensemble. L’Aes Sedai s’était approchée sans un bruit. Un sacré exploit !

Du coin de l’œil, Perrin vit qu’Egwene dormait à côté du feu. Ses propres paupières se fermaient toutes seules…

— Ce n’est rien du tout, dit-il.

Mais l’Aes Sedai lui prit le menton et sonda son regard comme venait de le faire la Sage-Dame. Il se débattit, furieux que ces deux femmes le traitent comme s’il était un gamin.

— Ce n’est rien, bon sang !

— Il n’y avait pas de prédictions…, souffla Moiraine comme si elle se parlait à elle-même. Une modification de la Trame, ou une simple distorsion ? Et s’il s’agit d’une modification, qui l’a décidée ? La Roue tisse comme elle l’entend, voilà probablement la réponse !

— Tu sais ce que c’est ? demanda à contrecœur Nynaeve. Et tu peux intervenir ? Le soigner ?

Admettre son impuissance et demander de l’aide coûtait tant à Nynaeve qu’elle semblait s’arracher chaque mot de la gorge.

— Si vous parlez de moi, adressez-vous à moi ! explosa Perrin. Je ne suis pas une plante verte !

Aucune des deux femmes ne daigna le regarder.

— Le soigner ? répéta Moiraine. Il ne s’agit pas d’une maladie, Sage-Dame, et de plus ça ne…

L’Aes Sedai consentit enfin à regarder le jeune homme. Mais pas comme une personne, plutôt comme un fascinant sujet d’études – une démarche qui déplut souverainement à l’apprenti forgeron.

— J’allais dire que ça ne lui ferait pas de mal, continua Moiraine, mais qui peut savoir comment tout cela finira ? En tout cas, ça ne lui nuira pas directement.

Nynaeve se leva, épousseta le devant de sa robe et planta son regard dans celui de l’Aes Sedai.

— Ce que tu dis ne me suffit pas. S’il y a un problème avec…

— Ce qui existe existe… Et ce qui est tissé ne peut pas être modifié. (Moiraine se détourna.) Il faut dormir, car nous partirons à l’aube. Si les mains du Ténébreux deviennent trop puissantes… Il faut arriver vite à Caemlyn !

Furieuse, Nynaeve ramassa sa sacoche et s’éloigna avant que Perrin ait pu dire un mot. Très mécontent, il faillit lâcher un épouvantable juron, mais une idée le frappa et il resta assis, tétanisé, comme si la foudre venait de lui tomber sur la tête.

Moiraine savait ! Oui, elle savait tout au sujet des loups. Et elle pensait qu’il pouvait s’agir de l’œuvre du Ténébreux. Frissonnant, Perrin remit sa chemise, puis sa veste et sa cape. Malgré tout, il continua d’avoir froid, parce qu’il était gelé jusqu’à la moelle des os.

Lan vint s’asseoir à côté du jeune homme. Il avait écarté les pans de sa cape, une initiative qui ravit Perrin. Regarder le Champion et ne rien voir dans la nuit lui déplaisait beaucoup, tout compte fait.

Un long moment, les deux compagnons de voyage se dévisagèrent en silence. Comme d’habitude, le visage de Lan resta de pierre, mais Perrin crut lire quelque chose d’étrange dans ses yeux. De la sympathie ? De la curiosité ? Les deux ?

— Vous savez ? demanda l’apprenti forgeron.

— Les grandes lignes, seulement… C’est arrivé comme ça ? Ou as-tu rencontré un guide ? Un intermédiaire ?

— Il y a eu un homme…

Il sait, certes, mais a-t-il la même opinion que Moiraine ?

— Un certain Elyas… Elyas Machera, continua Perrin. (Lan tressaillit à peine, mais ce fut suffisant pour alarmer son interlocuteur.) Vous le connaissez ?

— Je l’ai connu, disons… Il m’a appris beaucoup de choses sur la Flétrissure et… sur l’escrime. C’était un Champion avant… eh bien, avant, voilà tout ! L’Ajah Rouge…

Lan jeta un coup d’œil à Moiraine, allongée près du feu.

La première fois que le Champion hésitait, nota Perrin. À Shadar Logoth, il avait été solide comme un roc. Idem quand il affrontait des Myrddraals et des Trollocs. À présent, il n’avait pas peur – Perrin aurait pu le jurer – mais il se montrait méfiant, comme s’il redoutait de trop en dire. Ou comme si ses propos risquaient d’être très dangereux.

— J’ai entendu parler de l’Ajah Rouge, dit Perrin.

— Et tu as fait une belle moisson de contrevérités ! Mais tu dois comprendre qu’il y a plusieurs factions à Tar Valon. Chacun combat le Ténébreux à sa façon, après tout ! Le but reste le même, mais la différence de méthode peut changer des vies… ou les détruire. Je parle d’individus et de nations, ne perds pas ça de vue… Au fait, comment se porte Elyas ?

— Pas trop mal, je crois… Les Capes Blanches affirment l’avoir tué, mais Tachetée… (Perrin eut l’air quelque peu gêné.) Je n’en sais rien, en fait… (Lan accepta cette réponse à contrecœur, mais il fit signe au garçon de continuer.) Cette communication avec les loups… Moiraine semble penser que c’est lié au Ténébreux. Mais elle se trompe, pas vrai ?

Elyas ne pouvait pas être un Suppôt des Ténèbres.

Lan ne répondit pas tout de suite. Perrin en sua d’angoisse – de grosses gouttes glacées, encore plus froides par cette nuit peu clémente. Quand le Champion parla enfin, ces perles de rosée ruisselaient déjà sur les joues du jeune homme.