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Rand recula, conscient que la masse humaine dans laquelle il se fondait s’ouvrirait en deux devant le mendiant fou. En attendant, contraint de jouer des coudes, il faillit plusieurs fois tomber. Puis il traversa l’ultime rang de curieux, battit des bras pour recouvrer son équilibre et partit à la course comme s’il avait le Ténébreux aux trousses.

Des centaines de bras tendus le désignèrent, car il était le seul à avancer dans ce sens-là, et à la vitesse du vent, pour ne rien arranger. Des cris le suivirent, devenant plus forts quand les pans de sa cape s’écartèrent assez pour laisser voir son épée enveloppée de rouge. Comprenant que sa situation s’aggravait, Rand accéléra encore le rythme. Un sujet loyal de la reine en train de fuir pouvait inciter une foule de « blancs » à le poursuivre, même en ce jour si particulier. Ce n’était donc surtout pas le moment de ralentir…

Quand il n’entendit plus les cris, il se permit de marquer une pause, adossé à un mur, afin de reprendre son souffle.

Où était-il donc ? Toujours dans la Cité Intérieure, aurait-il juré. Mais où exactement ? Comment le savoir après avoir fait tant de tours et de détours le long de rues circulaires ? Avant de se remettre à courir, Rand sonda la rue qu’il venait de remonter. Il ne vit qu’une femme qui marchait à petits pas, un panier à commissions accroché à son bras. Presque tous les citadins et les visiteurs étaient réunis pour apercevoir le faux Dragon, si c’était possible…

Ce rebut d’humanité n’a pas pu me suivre… Je l’ai sûrement semé…

Pourtant, le mendiant n’abandonnerait pas, il le savait, même s’il n’aurait su expliquer pourquoi. Ce gueux en haillons se fraierait inlassablement un passage dans la foule, cherchant Rand al’Thor. S’il retournait sur ses pas pour voir Logain, le jeune berger multiplierait par deux, au bas mot, le risque de le rencontrer. La sagesse aurait été de retourner à La Bénédiction de la Reine, mais Rand était certain qu’il n’aurait plus jamais l’occasion de voir une reine – ni d’observer un faux Dragon, mais ça, ce n’était pas si grave, tout bien pesé… Cela dit, être contraint à fuir par un vieux mendiant pouilleux n’était guère adapté au type de dignité dont il rêvait…

Songeur, Rand regarda autour de lui. L’architecture de la Cité Intérieure, simple mais lumineuse, reposait sur des bâtiments assez bas pour ne jamais bloquer la vue. S’il trouvait le bon endroit, suivre la progression de la colonne royale serait un jeu d’enfant. Et, même s’il ne parvenait pas à apercevoir la reine, il verrait Logain, et c’était désormais très important pour lui.

Sa détermination recouvrée, Rand se remit en route.

Durant l’heure suivante, il dénicha plusieurs localisations idéales, n’était la foule qui les avait envahies. Chaque fois, il s’était retrouvé en compagnie d’un petit régiment de cocardes et de brassards blancs. En revanche, pas l’ombre d’un accessoire vestimentaire qui fût autre que blanc. Conscient de ce qu’il risquait s’il était démasqué par une bande de fanatiques qui honnissaient Morgase – et hurleraient à la mort en voyant l’épée enveloppée de rouge –, Rand adopta une démarche rapide mais néanmoins discrète.

Montant des rues de la Nouvelle Cité, des cris, des sonneries de trompette et des roulements de tambour confirmèrent la nouvelle attendue pendant si longtemps. Logain et ses gardiens venaient d’arriver en ville et ils se dirigeaient déjà vers le palais.

Découragé, Rand erra dans les rues désertes, presque certain qu’il ne parviendrait pas à trouver un moyen de voir passer Logain. Mais presque ne voulait pas dire totalement…

Les yeux du jeune berger se posèrent sur le flanc de colline, vierge de bâtiments, qui bordait sur un côté la rue où il avançait. À cette époque de l’année, en temps normal, une pelouse semée de fleurs aurait dû recouvrir la pente. Là, la chiche végétation était brunâtre comme partout ailleurs. Au sommet de cette butte, un grand mur se dressait, pas assez haut cependant pour dissimuler le sommet des arbres qui poussaient derrière.

Cette partie de la rue n’avait jamais été conçue pour offrir une vue particulière. Mais, devant lui, au-delà d’une rangée de toits, Rand aperçut certaines flèches du palais surmontées par l’étendard au lion blanc sur champ rouge. Une fois qu’elle avait contourné la colline, disparaissant de sa vue, dans quelle direction partait cette rue ? Rand n’en avait aucune idée, mais ça ne comptait plus guère, car le mur qui se dressait au-dessus de la butte venait soudain de lui inspirer une stratégie.

Le son des tambours et des trompettes se rapprochait et les cris se faisaient plus forts. Craignant d’arriver trop tard, Rand s’attaqua à la pente. Ce type d’ascension n’était pas prévu à son programme mais, en enfonçant bien les talons dans l’herbe desséchée et en se servant des racines pour se hisser à la force des poignets, il parvint à atteindre le pied du mur – avec une lenteur exaspérante, mais ça valait mieux que rien.

La muraille faisait au minimum deux fois sa taille.

Désormais, les roulements de tambour et les sonneries de trompette étaient assourdissants.

Si les blocs qui composaient le mur étaient joints avec une précision parfaite, n’offrant aucune aspérité susceptible de servir de prise, on n’avait pas cru bon de polir la pierre, gardant les creux et les bosses qui la faisaient ressembler à celle d’une falaise. Rand ne put s’empêcher de sourire. Au-delà des collines de Sable, les murailles naturelles étaient beaucoup plus hautes, et même ce lourdaud de Perrin était parvenu à les escalader.

Rand passa à l’action, ses pieds bottés et ses mains trouvant sans peine des prises. L’escalade se transformant en une course contre les tambours et les trompettes, il refusa de leur concéder la victoire. Coûte que coûte, il atteindrait le sommet du mur avant que la procession ait franchi les portes du palais. Sans se soucier de ses paumes blessées et de ses genoux écorchés à travers le tissu de son pantalon, il lutta et finit par poser les mains sur le rebord du mur. Exalté comme s’il venait d’accomplir un exploit, il se hissa sur l’arête de pierre.

Il s’y assit, juste sous les branches feuillues d’un grand arbre, mais ce détail ne le dérangea pas. Vérifiant son champ de vision, au-dessus d’une longue rangée de toits, il constata qu’il était parfait. En se penchant un peu, il put voir le portail du palais, les défenseurs en uniforme rouge et la foule qui leur faisait face, rendue muette par l’attente sur le point de s’achever.

Sur le point de s’achever !

J’ai réussi !

Alors que Rand s’installait plus confortablement, l’avant-garde de la procession déboucha de l’ultime tournant précédant le palais. Vingt rangs de trompettistes, rien que ça, exubérante fanfare célébrant la victoire d’Andor. Derrière eux, un nombre égal de tambours fêtaient eux aussi le triomphe de la Lumière sur les Ténèbres. Derrière les musiciens, des porteurs de bannière à cheval exhibaient triomphalement le lion blanc sur champ rouge. La cavalerie d’Andor les suivait, long défilé de chevaliers en armure pointant fièrement leur lance ornée d’un ruban écarlate. Plusieurs rangées de piquiers et d’archers franchirent le portail du palais sur les flancs du fringant escadron. D’autres fantassins suivirent, long serpent humain qui semblait vouloir s’étendre à l’infini.