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Les hautes branches de l’arbre bruissèrent, un morceau d’écorce en tomba et un jeune homme, suivant le même chemin, atterrit souplement sur la pelouse derrière l’inconnue. Plus grand et plus vieux que la fille, il lui ressemblait assez pour qu’on ne puisse pas douter qu’ils étaient parents. Sa tenue rouge, blanc et jaune encore plus ornementée et encore plus voyante que celle de sa compagne – pour un mâle, en tout cas –, l’étrange résidant des hautes cimes arborait les mêmes cheveux et la même forme de visage que ceux de sa compagne.

L’extravagance vestimentaire du garçon augmenta encore l’anxiété de Rand. À part les jours de fête, quel individu normal se serait attifé ainsi ? Conclusion : il n’était pas tombé dans un parc public ! Mais, avec un peu de chance, les Gardes seraient trop occupés pour se soucier d’une banale violation de propriété privée…

Tapotant du bout des doigts la dague qu’il portait à la ceinture, le garçon étudia Rand par-dessus l’épaule de la fille. Au sujet de l’arme, le jeune berger eut l’intuition qu’il s’agissait davantage d’un tic nerveux que d’une véritable intention de s’en servir. Mais il n’y avait pas que cela, cependant. Le jeune homme avait le même genre de tranquille assurance que sa compagne, et tous deux regardaient Rand comme s’il était une énigme à résoudre. En outre, la fille l’étudiait avec la précision d’un entomologiste, notant chaque détail de la pointe de ses bottes au col de sa cape.

— Si mère découvre tout, Elayne, dit le jeune homme, nous n’avons pas fini d’en entendre parler. Elle nous a consignés dans nos chambres, mais il a fallu que tu ailles quand même jeter un coup d’œil à Logain. Tu vois dans quelle mouise tu nous as fourrés ?

— Du calme, Gawyn…

Plus jeune que le garçon, Elayne ne semblait pourtant pas douter un instant de l’autorité qu’elle avait sur lui. Très curieusement, elle ne se trompait pas, car son compagnon garda pour lui la suite de son sermon.

— Tu vas bien ? demanda soudain la fille.

Rand mit une bonne minute pour comprendre qu’elle s’adressait à lui. Quand il eut saisi, il tenta de se relever, mais ses jambes se dérobèrent.

— Je me sens bien, mentit-il en se laissant retomber sur l’herbe, et je vais… Eh bien, je vais escalader de nouveau le mur et…

Il voulut encore se redresser, mais Elayne avança, lui mit une main sur l’épaule et le força à se rasseoir. Trop faible, Rand ne put pas résister à une pression pourtant modérée.

— Tu es blessé !

Avec une grâce de danseuse, Elayne s’agenouilla près de Rand et écarta délicatement les cheveux souillés de sang, sur le côté gauche de son crâne.

— En tombant, tu as dû heurter une branche… Si tu n’as rien de plus grave qu’une plaie au cuir chevelu, tu pourras t’estimer heureux. Entre nous, je n’ai jamais vu quelqu’un de si doué pour l’escalade. Par contre, pour les chutes, tu n’es pas une flèche !

— Vous avez du sang sur les mains…, dit Rand en tentant de se dégager.

Elayne lui prit la tête à deux mains – délicatement, mais avec la fermeté requise pour qu’il capitule.

— Tiens-toi tranquille…

Sans élever la voix, cette fille savait très bien faire comprendre à un interlocuteur que toute résistance serait très malvenue.

— La Lumière en soit louée, ça n’a pas l’air trop grave…

Des poches intérieures de sa cape, la jeune fille sortit une série de petits flacons, de minuscules sachets et un gros morceau de gaze.

Rand eut du mal à en croire ses yeux. Qu’une Sage-Dame transporte des objets pareils ne l’aurait pas étonné. Mais une fille habillée comme celle-là ? Et par quel miracle n’était-elle pas gênée par le sang qui maculait ses doigts ?

— Donne-moi ta gourde, Gawyn, je vais devoir nettoyer la plaie.

Le jeune homme détacha la gourde qu’il portait à la ceinture et la remit docilement à Elayne. Puis il s’accroupit près de Rand, les bras croisés sur les genoux. Passant aux soins, la jeune fille fit montre des compétences d’une vraie guérisseuse. Rand ne sursauta pas quand elle aspergea d’eau sa plaie. Pourtant, comme si elle attendait qu’il se débatte, elle lui tint la tête de sa main libre. Un réflexe qui en disait long sur son expérience…

L’onguent qu’elle appliqua sur la blessure eut un effet apaisant tout à fait comparable à celui des préparations de Nynaeve.

Pendant les soins, Gawyn sourit à Rand – pour l’apaiser, comme s’il craignait lui aussi que le blessé tente de se dégager, voire qu’il essaie de s’enfuir.

— Elle ne cesse de trouver des chats perdus, des chiens errants et des oiseaux tombés du nid… Tu es le premier être humain qu’elle soigne… (Gawyn marqua une pause.) Ne te vexe pas, surtout ! Je ne t’ai pas traité de chien errant !

Une simple précision, par souci de véracité, pas une façon de s’excuser…

— Aucun problème, assura Rand.

Mais les deux jeunes gens le traitaient quand même comme s’il était un étalon effrayé.

— Elle sait ce qu’elle fait, ajouta Gawyn. Tu es entre de bonnes mains, elle a eu les meilleurs professeurs…

Elayne posa un morceau de gaze sur la plaie. Puis elle tira de sa ceinture un foulard de soie bleu, crème et jaune. Pour un tel accessoire de fête, toutes les filles de Champ d’Emond auraient fait des lieues à pied. Comme s’il s’agissait d’un chiffon, Elayne l’enroula autour du crâne de Rand afin de tenir en place le pansement.

— Vous ne pouvez pas utiliser ça ! s’écria le jeune homme.

— Je t’ai dit de te tenir tranquille, lâcha Elayne sans s’interrompre.

Rand jeta un coup d’œil à Gawyn.

— Elle pense toujours qu’on lui obéira ?

Un peu surpris, le garçon ne put s’empêcher de sourire.

— Presque toujours, oui. Et ça marche pratiquement à tous les coups.

— Tiens-moi ça pendant que je fais le nœud ! ordonna Elayne. (Découvrant les mains de Rand, elle eut un petit cri.) Tu ne t’es pas fait ça en tombant, pas vrai ? Voilà ce qui arrive quand on escalade ce qu’il ne faudrait pas…

Son nœud fini, elle examina les mains de Rand en marmonnant parce qu’il ne restait pas assez d’eau dans la gourde. Son intervention fit brûler les écorchures, mais elle avait vraiment une main de guérisseuse.

— Ne bouge pas, surtout !

Le flacon réapparut. Appliquant l’onguent avec une extrême délicatesse, Elayne parvint à faire quasiment disparaître la douleur.

— Oui, tout le monde lui obéit, dit Gawyn avec un sourire affectueux pour la jeune fille – mais dans son dos, histoire qu’elle ne se rengorge pas trop. Enfin, presque tout le monde. Pas notre mère, bien entendu, ni Elaida. Et encore moins Lini, sa vieille nourrice. Mais comment donner des ordres à quelqu’un qui jouait du martinet quand vous voliez des figues, enfant ? Enfin, pas si enfant que ça, si j’y repense…

Elayne releva la tête et foudroya son frère du regard. Mal à l’aise, il se hâta d’enchaîner :

— Elle ne donne pas non plus d’ordres à Gareth. Mais c’est normal, parce qu’il n’en reçoit de personne.

— Même pas de mère, dit Elayne. Elle lui fait des suggestions, et il les adopte toujours, mais je ne l’ai jamais entendue lui donner un ordre.