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— À vos ordres, ma dame ! répondit Gawyn.

Hilare, il imita la révérence hypocrite de Galad.

— Et maintenant, dit Elayne avec un regard songeur pour Rand, nous devons décamper d’ici !

— Galad fait toujours ce qu’il faut, expliqua Gawyn. Même quand il ne devrait surtout pas. Lorsqu’on trouve un intrus dans le jardin, la logique impose d’aller prévenir les gardes du palais. À mon avis, c’est ce qu’il fait à l’instant où nous parlons.

— Eh bien, c’est le moment parfait pour escalader le mur…, dit Rand.

J’ai un véritable talent pour passer inaperçu ! La prochaine fois, je devrais peut-être brandir une pancarte.

Le jeune berger se tourna vers le mur, mais Elayne le retint par le bras.

— Non, je me suis trop fatiguée à soigner tes mains ! Tu vas te les massacrer, puis demander à une rebouteuse quelconque de te soigner. La Lumière seule sait ce qu’elle te fera ! De l’autre côté du jardin, il y a une porte dérobée. Elle est cachée par la végétation et, à part moi, tout le monde a oublié son existence.

— Trop tard…, marmonna Gawyn alors que des bruits de bottes retentissaient soudain sur le chemin de pierre. Galad a dû se mettre à courir dès que nous l’avons perdu de vue.

Elayne lâcha un juron et Rand en resta comme deux ronds de flan. À l’auberge, il avait entendu un palefrenier éructer la même horreur, et il en avait eu le rouge aux joues.

Comme si de rien n’était, Elayne reprit sa posture princière habituelle.

Les deux enfants royaux semblaient satisfaits de rester plantés là. Rand, lui, ne pouvait attendre les gardes avec la même nonchalance. Certain qu’il n’aurait pas atteint le sommet à temps, il se dirigea néanmoins vers le mur.

Avant qu’il soit à destination, des gardes en uniforme rouge envahirent le périmètre. Leur plastron reflétant la lumière du soleil, ils encerclèrent l’intrus, pointant sur lui des épées, des lances et même quelques arcs.

Elayne et Gawyn vinrent l’entourer, les bras en croix, au cas où un archer trop nerveux déciderait de faire un carton. Les mains le plus loin possible de son épée, le jeune berger de Champ d’Emond se pétrifia.

— Ma dame, mon seigneur, baissez-vous, vite ! cria un garde qui devait être un officier, puisqu’il portait une sorte de nœud rouge sur l’épaule.

Même avec les bras écartés, Elayne parvint à prendre une pose royale.

— Vous osez exhiber des armes en ma présence ? Mon pauvre Tallanvor, Gareth Bryne t’enverra nettoyer les écuries, après cette bévue. Et encore, si tu as de la chance.

Les soldats se regardèrent, mal à l’aise, et une partie des archers pointèrent leur arme vers le sol. Du coup, Elayne baissa les bras, montrant ainsi pour quelle raison elle les avait levés. Non sans hésiter, Gawyn imita sa sœur.

Comptant les pointes de flèche toujours braquées sur lui, Rand durcit ses abdominaux – comme si des muscles, même solides, avaient pu arrêter de l’acier.

— Ma dame, mille pardons, fit l’officier, décontenancé, mais le seigneur Galad nous a avertis qu’un paysan pouilleux armé jusqu’aux dents menaçait la Fille-Héritière et le Premier Prince de l’Épée. (Il regarda fixement Rand.) Si vous voulez bien vous écarter, nous conduirons ce misérable en prison. Ces jours-ci, il y a bien trop de troubles en ville…

— Je doute que Galad t’ait raconté pareille histoire à dormir debout, dit Elayne. Il ne ment jamais, tu le sais.

— Et c’est dommage, souffla Gawyn à l’oreille de Rand. Parfois, je me dis que ça le rendrait plus facile à vivre…

— Cet homme est mon invité, continua Elayne. Il est sous ma protection. En conséquence, tu peux te retirer, Tallanvor.

— Désolé, ma dame, mais ce sera impossible… Comme vous le savez, la reine a donné des ordres très stricts au sujet des intrus. Et, bien entendu, elle sera prévenue de la présence de celui-là…

Tallanvor jubilait et Rand comprit pourquoi. En d’autres occasions, il avait certainement dû avaler de sacrées couleuvres face à Elayne. Mais là, ayant le droit avec lui, il ne céderait pas.

Pour une fois, Elayne resta à court d’arguments.

Rand interrogea Gawyn du regard.

— Un séjour en prison…, répondit le prince. (Rand blêmit en un clin d’œil.) Allons, pas d’inquiétude ! Ce sera bref, et on ne te fera pas de mal. Le général Bryne t’interrogera en personne, et il te libérera une fois tes bonnes intentions prouvées… Enfin, si tu nous as dit la vérité, Rand al’Thor du territoire de Deux-Rivières.

— Conduis-nous tous les trois devant ma mère, ordonna soudain Elayne.

Gawyn eut un grand sourire qui augurait bien de la suite.

— Mais, mais…, bredouilla Tallanvor, décomposé derrière la grille de son casque.

— Ou jette-nous tous les trois dans une cellule ! Comme ça, nous resterons ensemble. Si je refuse de m’écarter, oseras-tu ordonner à tes hommes de poser la main sur moi ?

Détournant le regard, comme s’il cherchait le soutien des arbres, Tallanvor tenta de gagner un peu de temps, afin de ne pas trop vite concéder la victoire à son adversaire.

Quelle victoire ? Je ne comprends rien à tout ça…

— Mère est occupée avec Logain, expliqua Gawyn, comme s’il avait deviné les pensées de Rand. Et, même si elle était disponible, Tallanvor ne se présenterait pas devant elle avec nous deux comme s’il venait de nous arrêter. Mère est un peu soupe au lait, à l’occasion…

Se souvenant des propos de maître Gill, Rand apprécia à sa juste valeur l’euphémisme.

Un nouveau soldat déboula soudain du chemin. Après l’avoir salué, il souffla quelques mots à Tallanvor.

— La reine votre mère, ma dame, ordonne que je lui amène sur-le-champ le misérable intrus. Elle veut également que la Fille-Héritière et le Premier Prince de l’Épée la rejoignent sans délai !

Gawyn fit la grimace. Elayne déglutit péniblement, mais elle resta de marbre et entreprit de nettoyer le devant de sa robe. À part les quelques brindilles qu’elle délogea ainsi, son initiative ne fut guère couronnée de succès.

— Si ma dame et mon seigneur veulent bien me suivre, susurra Tallanvor.

L’officier ouvrant la marche, les trois jeunes gens, escortés par une vingtaine de gardes, s’engagèrent sur le chemin de pierre. Flanquant Rand, Elayne et Gawyn s’immergèrent dans une sombre méditation. Si les soldats avaient rengainé leur arme, les archers remettant la leur à l’épaule, ils restaient aussi vigilants qu’au moment de leur irruption, surveillant Rand comme s’il risquait de dégainer sa lame et de se battre pour regagner sa liberté.

Moi, tenter un coup d’éclat ? Pas question ! Parbleu ! ne suis-je pas un garçon discret ?

Tout en surveillant les soldats qui ne le quittaient pas des yeux, Rand put enfin étudier le jardin à tête reposée. Avec cette série d’événements hors du commun, quand aurait-il eu le temps de s’y intéresser ?

Maintenant, il remarquait l’herbe verdoyante. Et rien n’aurait pu être plus troublant pour lui.

Dans le jardin, la végétation luxuriante célébrait de fort jolie manière l’arrivée du printemps. Les arbres aux branches lourdes de feuilles ou de fruits, la vigne qui couvrait les tonnelles ; partout où il y en avait, les fleurs qui composaient un véritable arc-en-ciel de couleurs… Rand reconnut certaines espèces également présentes dans sa région – en particulier une série de roses allant du blanc immaculé au rouge foncé, des soir-soleils d’un jaune éclatant, et des gloires d’Emond écarlates ou violettes – mais il n’aurait su dire le nom de la plupart de ces fleurs si exotiques qu’on aurait facilement pu les croire découpées dans du papier, et non sorties de la matrice universelle de la nature.