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— Verdoyant…, marmonna Rand en marchant. Verdoyant…

Les soldats murmurèrent entre eux, se demandant s’il fallait s’inquiéter pour la santé mentale du prisonnier. Tallanvor tourna la tête pour les foudroyer du regard, une initiative qui les réduisit illico au silence.

— L’œuvre d’Elaida, fit Gawyn d’un ton absent.

— Et ce n’est pas juste, intervint Elayne. Elle m’a demandé de choisir la seule ferme qu’elle peut faire bénéficier de ce miracle, c’est vrai, mais il reste injuste que nous ayons des fleurs alors que les récoltes sont compromises partout. Des gens risquent de mourir de faim, et nous… (Prenant une grande inspiration, elle se força au calme.) Rand al’Thor, tiens-toi bien, réponds clairement lorsqu’on t’interroge et tais-toi le reste du temps. Si tu calques ton comportement sur le mien, tout ira bien.

Rand aurait donné cher pour partager l’optimisme de la Fille-Héritière. Et il aurait trouvé réconfortant que Gawyn ne tire pas une tête de dix pieds de long. Alors que Tallanvor précédait la petite colonne dans le palais, le jeune berger se retourna une dernière fois, regardant l’herbe verte et les fleurs multicolores fabriquées de toutes pièces par une Aes Sedai pour le plaisir des yeux d’une reine.

Il était dans de sales draps, et pas près de trouver un moyen de s’en sortir…

En livrée rouge à col et à manches de dentelle blanche, un lion rampant brodé à l’emplacement du cœur, les serviteurs allaient et venaient dans les couloirs, concentrés sur des tâches qu’ils étaient les seuls à connaître. Voyant Elayne et Gawyn encadrés comme des criminels par une haie de gardes, les pauvres se pétrifiaient, la bouche grande ouverte.

Dans cette atmosphère tendue et un peu surréaliste, un bon gros matou tigré remontait un couloir, indifférent aux affaires dépourvues d’intérêt des hommes. Cette vision frappa Rand. À Baerlon, il y avait des chats partout, et en particulier dans tous les lieux publics. Depuis son arrivée involontaire au palais, c’était le premier qu’il voyait.

— Vous n’avez pas de rats ? s’étonna-t-il.

Nul ne pouvait échapper à cette infestation.

— Elaida ne les aime pas, répondit distraitement Gawyn. (À l’évidence, il s’inquiétait déjà au sujet de l’imminente entrevue avec la reine.) Donc, nous n’en avons pas…

— Taisez-vous un peu ! lança Elayne, agressive mais aussi distraite, au fond, que son frère. J’essaie de réfléchir.

Rand suivit les évolutions du chat jusqu’à ce qu’il l’ait perdu de vue au détour d’un couloir latéral. Une grande colonie de félins lui aurait remonté le moral. Savoir qu’il y avait quelque chose de normal dans ce palais – même la présence de rats – aurait eu quelque chose de rassurant.

Tallanvor multipliant les tours et les détours, Rand ne fut pas long à perdre tout sens de l’orientation. Pour finir, le jeune officier s’arrêta devant une grande porte à deux battants en bois précieux. Pas la plus somptueuse de toutes, mais tout de même sculptée, les lions rampants représentés avec un incroyable luxe de détails.

Deux serviteurs en grande tenue flanquaient cette entrée.

— Au moins, on nous épargne le hall d’honneur, fit Gawyn avec un petit rire qui sonnait faux. Dans cette salle, mère n’a jamais condamné personne à mort. C’est déjà ça.

Tallanvor fit mine de délester Rand de son arme, mais Elayne s’interposa.

— C’est mon invité, dit-elle. En vertu de nos coutumes, et des lois en vigueur, un invité de la famille royale peut conserver son épée, même en présence de la reine. Oseras-tu m’accuser de mentir quand j’affirme qu’il est mon hôte ?

Tallanvor soutint le regard de la Fille-Héritière, puis il capitula.

— Comme il vous chantera, ma dame…

Elayne eut l’ombre d’un sourire à l’intention de Rand.

— Le premier rang avec moi ! ordonna l’officier. (Il s’adressa aux laquais.) Annoncez à Sa Majesté l’arrivée de dame Elayne et du seigneur Gawyn, accompagnés du lieutenant de la Garde Tallanvor. Précisez que l’intrus, selon les ordres de Sa Grâce, est sous bonne garde.

Elayne foudroya Tallanvor du regard, mais les serviteurs avaient déjà ouvert la porte et l’un d’eux répétait mot pour mot l’annonce en question.

Avec une impressionnante dignité, Elayne franchit les portes. Unique petite fausse note à son entrée spectaculaire, elle fit discrètement signe à Rand de rester le plus près possible derrière elle. Le torse bombé, Gawyn se porta quasiment à hauteur de sa sœur, lui laissant cependant le demi-pas d’avance protocolaire. Ne sachant trop que faire, Rand imita le prince, sur l’autre flanc de la Fille-Héritière.

Tallanvor collait aux basques du jeune berger, et dix soldats entrèrent avec lui avant que la porte se referme en silence.

Sans crier gare, Elayne fit une profonde révérence, le torse incliné, et resta immobile, tenant sa jupe en éventail. D’abord affolé, Rand imita Gawyn et les autres hommes, qui venaient de mettre en terre le genou droit. Inclinant la tête, il se pencha en avant afin d’appuyer contre le sol de marbre les phalanges de sa main droite, et posa la gauche sur la poignée de son arme. N’ayant pas d’épée, Gawyn se contenta de faire de même sur le pommeau de sa dague.

Alors que Rand se félicitait de s’en être si bien tiré, il vit que Tallanvor, la tête encore inclinée, le foudroyait du regard derrière la grille de son casque.

Étais-je censé faire autre chose ?

Mais comment l’officier pouvait-il lui en vouloir d’ignorer les informations qu’on n’avait pas pris la peine de lui délivrer ? Il y avait de quoi s’énerver, non ? Et, d’ailleurs, pourquoi tremblait-il de peur devant les gardes ? Après tout, il n’avait rien fait de mal. Bien sûr, Tallanvor n’était pas responsable de sa terreur, mais ça ne l’empêchait pas de lui en vouloir.

Tout le monde gardait la position, comme si on attendait le dégel. Sans comprendre ce qui se passait, Rand en profita pour étudier la salle. Même la tête baissée, c’était possible, en se contorsionnant un peu. Tallanvor parut encore plus furieux, mais il l’ignora.

À peu près grande comme la salle commune de La Bénédiction de la Reine, la pièce carrée se caractérisait d’abord par ses murs de pierre blanche sculptés – une série de scènes de chasse d’un frappant réalisme. Les tapisseries qui séparaient ces fresques représentaient des champs de fleurs ou de magnifiques oiseaux au plumage multicolore. Tout au fond de la salle, le lion rampant d’Andor était représenté grandeur nature sur deux bannières géantes. Flanquée par ces étendards, une estrade tenait lieu de piédestal au trône doré à l’or fin et richement sculpté de la reine.

Tête nue, un colosse en uniforme rouge de la Garde, quatre nœuds jaunes ornant les épaules de sa cape, se tenait à la droite de Morgase. Des bracelets d’or aux poignets, ce guerrier aux tempes grisonnantes conservait malgré l’âge l’allure d’un roc capable de résister à toutes les tourmentes. Logiquement, ce devait être Gareth Bryne, le capitaine-général – souvent appelé simplement « général » – de la Garde Royale.

Derrière le trône, et sur la gauche, une femme vêtue de soie vert sombre siégeait sur une chaise basse. Si incroyable que cela parût, elle tricotait, fabriquant on ne savait trop quoi avec une pelote de laine noire. Rand pensa d’abord qu’il s’agissait d’une vieille dame. Au second coup d’œil, il lui fut impossible d’attribuer un âge à l’étrange tricoteuse. Qu’elle soit jeune, vieille ou entre deux âges, elle se concentrait sur ses aiguilles comme s’il n’y avait pas, assise à moins de deux pas d’elle, la souveraine d’Andor. Au troisième coup d’œil, Rand put déterminer que c’était une fort jolie femme. Mais quelque chose, dans sa concentration, vous glaçait immédiatement les sangs. À part le cliquetis de ses aiguilles, pas un bruit ne retentissait dans la salle.