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— Avec un shoufa autour de la tête, on jurerait que tu es un Aiel, mon ami. C’est étrange, puisque mère affirme que tu parles comme un garçon de Deux-Rivières. J’aurais aimé que nous ayons le temps de faire plus ample connaissance. Prends soin de toi, Rand al’Thor.

Un Aiel ?

Rand regarda le prince s’éloigner, mais un raclement de gorge de Tallanvor lui rappela soudain où il était. Confus, il franchit le portillon, l’officier manquant le lui refermer sur les mollets tant il se précipita.

Le bruit de la barre qu’on remettait en place indiquait à quel point Rand n’avait pas été le bienvenu…

La place ovale qui faisait face au palais était déserte, à présent. Les soldats, les trompettes et les joueurs de tambour s’étaient volatilisés, comme la foule de curieux. Il ne restait plus rien de l’excitation des heures précédentes, sinon le bruit de civières qu’on traînait sur les pavés et l’écho des pas de quelques traînards qui se hâtaient de retourner à leurs occupations.

Rand ne put voir s’ils arboraient du rouge ou du blanc.

Un Aiel ?

S’ébrouant, il s’avisa qu’il était planté devant le portail du palais, soit exactement à l’endroit où Elaida n’aurait aucun mal à le retrouver dès qu’elle en aurait terminé avec la reine. Resserrant les pans de sa cape, il traversa la place et s’engagea à vive allure dans les rues de la Cité Intérieure.

Il se retourna souvent pour voir si on le suivait mais, avec ces voies circulaires, ce n’était pas probant. Cela dit, il sentait toujours le regard d’Elaida peser sur lui, comme si elle pouvait le traquer à distance.

Au moment où il franchit les portes de la Nouvelle Cité, il ne put s’empêcher de se mettre à courir.

41

De vieux amis et de nouvelles menaces

Quand il arriva devant La Bénédiction de la Reine, Rand s’adossa à la porte, haletant. Il avait couru sur toute la distance, sans se soucier qu’on voie son épée emballée dans du tissu rouge – et sans se demander si sa hâte pouvait inciter des gens à le prendre en chasse. De toute façon, même le Myrddraal le plus rapide n’aurait pas pu le rattraper.

Lamgwin était assis sur un banc, près de la porte, un chat au pelage tacheté dans les bras. Voyant que Rand avait couru, il se releva pour sonder la direction d’où il venait – mais sans cesser de gratouiller le matou derrière les oreilles. Ne remarquant rien d’inquiétant, il se rassit, prenant garde à ne pas déranger son petit compagnon.

— Des idiots ont essayé de nous voler des chats, il y a un moment… (Il examina les phalanges de son poing droit, puis recommença à cajoler le félin.) C’est que ça se vend cher, un chat, de nos jours…

Les deux espions qui arboraient du blanc étaient toujours de l’autre côté de la rue. L’un des deux avait un œil au beurre noir et une joue gonflée. Le regard haineux, il surveillait l’auberge en tapotant nerveusement la poignée de son épée.

— Où est maître Gill ? demanda Rand.

— Dans la bibliothèque… (Le chat recommençant à ronronner, Lamgwin eut un gentil sourire.) Rien ne perturbe longtemps un matou, même quand un sale type essaie de le fourrer dans un sac.

Rand entra et traversa la salle commune où étaient attablés les clients « rouges » habituels. Sirotant leur bière, ils parlaient du faux Dragon et du comportement possible des Capes Blanches lorsqu’il partirait sous bonne garde pour le Nord. Le destin de Logain n’intéressait personne, mais la Fille-Héritière et le Premier Prince de l’Épée seraient du voyage, et aucun des hommes présents n’aurait voulu qu’il leur arrive malheur.

Dans la bibliothèque, Gill disputait une partie de jeu des pierres avec Loial. Un chat grassouillet, assis sur la table, regardait les mains des deux hommes voler au-dessus du plateau de jeu en damier.

Avec une délicatesse étonnante, si on considérait la taille de ses doigts, l’Ogier plaça la pierre qu’il tenait sur une case. Perplexe, maître Gill se détourna de la table, provisoirement sauvé par l’arrivée de Rand. Depuis le début, Loial l’écrabouillait presque chaque fois.

— Je commençais à m’inquiéter, mon garçon… Des fois que tu aies eu des ennuis avec ces traîtres de « blancs », ou avec le fichu mendiant.

Rand en resta un instant bouche bée. Il avait oublié jusqu’à l’existence du dément en haillons.

— Je l’ai vu, mais ça n’a aucune importance… En revanche, j’ai rencontré la reine et Elaida. Là, c’est une autre paire de manches !

L’aubergiste ricana.

— La reine, c’est ça ? Il y a une heure, Gareth Bryne disputait dans la salle commune une partie de bras de fer contre le seigneur capitaine des Capes Blanches. Mais Sa Majesté, c’est autre chose…

— Par le sang et les cendres ! tout le monde m’accuse de mentir, aujourd’hui !

Rand jeta sa cape sur le dossier d’une chaise et se laissa tomber sur une autre. Trop épuisé pour s’asseoir correctement, il resta en équilibre sur le bord du siège, s’essuyant le front avec un mouchoir.

— J’ai vu le mendiant, il m’a repéré et j’ai pensé que… Aucune importance ! J’ai escaladé un mur pour avoir une meilleure vue sur la place, afin de ne pas rater l’arrivée de Logain au palais. Et je suis tombé de l’autre côté…

— J’ai presque l’impression que tu ne racontes pas n’importe quoi…, dit maître Gill.

— Ta’veren…, souffla Loial.

— Je dis la vérité…, soupira Rand. Tout ça est arrivé, hélas…

Au fil du récit de son protégé, le scepticisme de maître Gill fondit comme neige au soleil. Se penchant de plus en plus en avant, il finit par être assis au bord de sa chaise, comme Rand. N’étaient les poils de ses oreilles qui frémissaient de temps en temps, Loial affichait l’impassibilité d’une statue.

Rand raconta tout, omettant seulement la phrase qu’Elaida avait prononcée à sa seule intention et la remarque de Gawyn sur sa ressemblance avec un Aiel. Tout ce qui était lié à l’Aes Sedai le révulsait, et les considérations du prince ne valaient pas la peine qu’on s’y arrête.

Je suis le fil de Tam al’Thor, même si je suis né hors de Deux-Rivières. Oui, Tam est mon père et le sang de Deux-Rivières coule dans mes veines.

Perdu dans ses pensées, le jeune berger s’était arrêté de parler et ses deux amis le dévisageaient. Une seconde, il craignit d’en avoir trop dit sans le vouloir.

— Eh bien, commenta maître Gill, plus question que tu attendes tes amis ici. Tu vas devoir quitter la ville dans les deux jours. Tu crois que Mat sera en état de repartir ? Ou faut-il faire appel à Mère Grubb ?

— Deux jours ? Pourquoi ça ?

— Elaida est la conseillère de Morgase. La deuxième en influence après Gareth Bryne. Et encore, je me demande parfois si ce n’est pas du passé… Si elle charge les Gardes de te retrouver, le général ne s’y opposera pas, sauf si ça les empêche d’accomplir leurs autres missions. D’expérience, je sais que ces hommes peuvent contrôler toutes les auberges de Caemlyn en deux jours. Cela dit, si nous n’avons pas de chance, ils commenceront par la mienne… Supposons qu’ils commencent par Le Lion et la Couronne. Ça nous laisse un petit répit, pas question de traîner !

— Si je ne parviens pas à secouer Mat, nous ferons appel à Mère Grubb. Il me reste un peu d’argent. Ça suffira peut-être…

— Je me chargerai de Mère Grubb, marmonna Gill. Au point où j’en suis, je peux aussi bien vous prêter deux chevaux. Si vous marchez jusqu’à Tar Valon, il ne restera pas de semelle à vos bottes longtemps avant que vous arriviez…