Выбрать главу

— Ce sont les personnes que j’attendais, Loial, dit-il. Je te présente Nynaeve, la Sage-Dame de mon village, et mes amis Egwene et Perrin.

— Egwene ! Rand me parle très souvent de vous ! Je suis Loial…

— Un Ogier, précisa Rand.

Une intervention qui modifia radicalement l’état d’esprit de ses amis. Même après avoir vu trop de Trollocs et de Myrddraals, il restait fascinant de rencontrer une légende vivante. Se souvenant de sa propre réaction, Rand ne s’en sentit pas très fier. Ses amis s’en sortaient beaucoup mieux que lui…

Loial ne s’offusqua pas de les voir bouche bée. C’était sûrement moins traumatisant que d’être traité de Trolloc par une foule en colère.

— Et l’Aes Sedai, Rand ?

— Elle est en haut, avec Mat.

L’Ogier leva un de ses sourcils broussailleux.

— Donc, c’est qu’il est vraiment malade… Si nous prenions tous place ? Elle nous rejoindra, n’est-ce pas ? Dans ce cas, il faut nous résigner à attendre.

Une fois assis, les jeunes gens de Champ d’Emond et la Sage-Dame se détendirent. Être dans un fauteuil, près d’une cheminée, le chat désormais couché devant, leur donnait l’impression d’être chez eux. Du coup, ils osèrent interroger l’Ogier. À la grande surprise de Rand, ce fut même Perrin qui ouvrit le bal :

— Les Sanctuaires, Loial… Ce sont vraiment des abris, comme le disent les récits ?

À l’entendre, on aurait juré que l’apprenti forgeron avait une raison personnelle de poser cette question.

Loial fut ravi de parler des Sanctuaires, de la trajectoire qui l’avait conduit jusqu’à La Bénédiction de la Reine et de tout ce qu’il avait vu en chemin.

Connaissant déjà tout ça, Rand laissa son esprit vagabonder.

Loial aimait parler, et il ne ratait jamais une occasion de le faire. À ses yeux, pour qu’une histoire soit bonne il fallait bien remonter deux ou trois siècles en arrière, afin d’en connaître tous les tenants et aboutissants. Son sens de la chronologie était aussi déconcertant que son espérance de vie. Pour lui, deux cents ans étaient un « arrière-plan » tout ce qu’il y avait de plus normal. Au début, se fiant à ses propos, Rand avait cru qu’il était sur les routes depuis à peine quelques mois. En réalité, il avait quitté son Sanctuaire plus de trois ans auparavant.

Rand oublia l’Ogier et se mit à penser à Mat.

Une dague ! Une fichue lame qui risque de lui coûter la vie simplement parce qu’il la porte sur lui. Lumière, j’ai eu mon compte d’aventures ! Si Moiraine le guérit, nous allons rentrer chez… Non, pas chez nous, c’est trop dangereux pour nos proches. Mais on trouvera bien un endroit où personne n’a entendu parler du Ténébreux et des Aes Sedai. Un… sanctuaire… en quelque sorte.

La porte s’ouvrit soudain. Un moment, Rand n’en crut pas ses yeux. Mat était là, battant des paupières, sa veste parfaitement bien boutonnée et son foulard noir autour du cou.

C’était bien réel ! Moiraine se tenait à côté de Mat, une main sur son épaule, et Lan les suivait de près. L’Aes Sedai couvait le jeune homme du regard, à l’instar de tout thérapeute qui s’occupe d’un convalescent.

Comme toujours, Lan faisait mine de ne rien voir alors que pas un détail ne lui échappait.

Mat avait l’air plus en forme que jamais. Son premier sourire, un peu hésitant, s’adressa à toute l’assistance. Mais, quand ses yeux se posèrent sur Loial, ils s’écarquillèrent comme si c’était la première fois qu’il voyait l’Ogier. Un peu désorienté, il s’intéressa de nouveau à ses amis :

— Eh bien, je… Voilà, il semble… On me dit que je me suis comporté bizarrement. En réalité, je n’en ai aucun souvenir. (Il regarda Moiraine, qui l’encouragea d’un sourire.) À partir de Pont-Blanc, tout est confus… Thom et le… Comment dire ? Plus nous nous sommes éloignés de Pont-Blanc, et moins c’est clair dans ma tête. À vrai dire, je ne me souviens plus de l’arrivée à Caemlyn. Pas vraiment… Moiraine Sedai dit que… La chambre sous les combles… (Il prit une grande inspiration et redevint soudain le bon vieux Matrim Cauthon.) On ne peut pas blâmer un type pour des bêtises qu’il a oubliées !

— De toute façon, tu as toujours été cinglé, dit Perrin, lui aussi redevenant un instant comme avant.

— Mat, dit Nynaeve, des larmes aux yeux, personne ne te blâme.

Rand et Egwene se mirent à parler en même temps, complimentant Mat sur sa bonne forme et l’assurant qu’ils étaient ravis de le retrouver tel qu’en lui-même. Mais il se calmerait peut-être un peu sur les farces et attrapes, maintenant qu’on lui avait joué un sacré sale tour. Répondant du tac au tac, Mat prit ensuite place dans un fauteuil. Lorsqu’il s’assit, Rand le vit toucher quelque chose, sous sa veste. Un objet dont il voulait vérifier la présence…

Le jeune berger en eut le souffle coupé.

— Oui, dit Moiraine, il a toujours la dague.

Les autres jeunes gens continuaient à plaisanter, mais elle avait capté la réaction de Rand, et tout de suite compris de quoi il s’agissait. Approchant du fauteuil où il s’était assis, elle parla à voix basse :

— Je ne peux pas la lui prendre sans le tuer. Le lien est trop ancien et trop fort. À Tar Valon, nous le libérerons. Mais c’est une tâche qui dépasse une Aes Sedai solitaire, même si elle dispose d’un angreal.

— Mais il n’a plus l’air malade ! Tant qu’il aura la dague, les Blafards sauront qui nous sommes. Et certains Suppôts des Ténèbres aussi. C’est vous-même qui l’avez dit.

— J’ai limité les dégâts, en un sens… S’ils approchent assez pour sentir l’arme, nous serons de toute façon dans de sales draps. J’ai débarrassé Mat de la souillure, mon garçon, et retardé au maximum la rechute. Mais il rechutera, s’il n’est pas soigné à Tar Valon.

— Une chance que ce soit notre destination, alors…

Moiraine se détourna vivement.

Ma résignation lui déplaît et la décourage, je sais, mais je n’y peux rien.

— Je me nomme Loial, dit l’Ogier en se levant (pour incliner aussitôt bien bas la tête). Fils d’Arent fils d’Halan, dame Aes Sedai. Mon Sanctuaire est toujours ouvert pour les Serviteurs de la Lumière.

— Merci Loial fils d’Arent, répondit Moiraine, plutôt sèchement. À ta place, je ne répéterais pas partout ta formule de politesse. Il y a une vingtaine d’Aes Sedai à Caemlyn, en ce moment, et, à part moi, toutes appartiennent à l’Ajah Rouge.

Loial hocha pensivement la tête, comme s’il comprenait. Rand, lui, n’avait pas saisi un mot du petit discours de Moiraine.

— Te rencontrer ici est étrange, reprit l’Aes Sedai. Ces dernières années, peu d’Ogiers s’aventurent hors de leur Sanctuaire.

— La fascination des anciens récits, Aes Sedai… Les vieux livres ont empli d’images ma tête de mule ! Je veux voir les bosquets et les villes que nous avons construites. Très peu d’entre elles sont encore debout, et les bâtiments sont de pauvres substituts pour les arbres, mais j’ai quand même envie de les découvrir. Les Anciens trouvent que je suis bizarre, avec mon désir de voyager. Mais cette envie est depuis toujours en moi – et ils me critiquaient déjà quand j’étais petit. Pour eux, il n’y a rien d’intéressant à l’Extérieur. À mon retour, quand je leur décrirai ce que j’ai vu, ils changeront peut-être d’avis. C’est ce que j’espère, en tout cas…

— Eh bien, je te le souhaite… Maintenant, Loial, je vais être directe, et je te demande de me pardonner. Comme tu le sais, c’est un défaut très… humain. Pourrais-tu nous laisser seuls ? Nous devons préparer notre voyage, et le temps presse.

Ce fut au tour de Loial d’avoir l’air perdu, mais Rand vola à son secours :

— Il vient avec nous. J’ai promis…