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Loial regarda le cheval géant et marmonna, dubitatif :

— Jusque-là, mes pieds m’ont toujours suffi…

Maître Gill montra à Rand le cheval qu’il lui prêtait. Sa robe rappelant la couleur des cheveux de son maître, l’animal était grand et puissant, mais il semblait beaucoup moins fougueux que Nuage. Un changement qui ne déplaisait pas vraiment au jeune berger.

— Il se nomme Rouquin, dit l’aubergiste.

Egwene retrouva Bela avec joie et Nynaeve alla cajoler sa jument haute sur pattes.

Tenant par la bride son cheval brun foncé, Mat approcha de Rand.

— Perrin me rend nerveux… Bon sang ! ne me regarde pas comme ça ! Tu ne vois pas qu’il se comporte bizarrement ? Je suis sûr que ce n’est pas mon imagination ! Sauf si… si…

Non, n’aie crainte, la dague ne t’influence pas de nouveau…

— Mat, tu as raison, il est bizarre, mais ne te mets pas martel en tête. Moiraine sait ce qui se passe. Perrin va bien.

Un mensonge que Rand aurait aimé croire. Par bonheur, cela suffit à apaiser Mat.

— Je n’ai jamais dit le contraire…, souffla celui-ci sans quitter des yeux l’apprenti forgeron.

Maître Gill était en grande conversation avec le responsable de l’écurie. Cet homme à la peau tannée et au visage chevalin – une déformation professionnelle – se tapota le front puis se dirigea vers le fond du grand bâtiment.

Un grand sourire sur les lèvres, l’aubergiste se tourna vers Moiraine :

— Aes Sedai, Ramey dit que la voie est libre.

Le mur du fond de l’écurie semblait d’une seule pièce et des étagères lestées d’outils le tapissaient. Retirant les fourches, les râteaux et les pelles avec l’aide d’un garçon d’écurie, Ramey passa ensuite la main derrière une étagère afin d’actionner un mécanisme secret. Un panneau entier du mur bascula alors vers l’intérieur – les gonds et la crémaillère étaient si bien dissimulés qu’on avait du mal à les voir, même quand la porte camouflée était ouverte. Jaillissant par l’ouverture, la vive lumière des lampes éclairait un mur de brique distant de quelques pas.

— Une venelle qui court entre les bâtiments, expliqua maître Gill. À part mes fidèles employés et moi, personne ne connaît ce passage. Les Capes Blanches et les porteurs de cocarde de la même couleur ne vous verront pas sortir, je vous en fiche mon billet !

— Ami aubergiste, dit Moiraine, si tu as des ennuis à cause de cette histoire, écris à Sheriam Sedai, à Tar Valon. Précise bien qu’elle est membre de l’Ajah Bleu. Elle t’aidera. Mes sœurs et moi devons une fière chandelle à tous les braves gens qui m’ont offert leur assistance jusqu’ici.

Maître Gill éclata de rire – sincèrement, pas pour dissimuler sa peur.

— Aes Sedai, j’ai déjà grâce à toi la seule auberge de Caemlyn épargnée par les rats. Que pourrais-je demander de plus ? C’est un argument suffisant pour faire doubler ma clientèle ! (L’aubergiste redevint sérieux.) Quelle que soit la mission que vous remplissez, la reine est l’alliée de Tar Valon et je suis le loyal serviteur de la reine… En conséquence, je te souhaite bonne chance, Aes Sedai. Et à tous les autres aussi. Que la Lumière éclaire ton chemin.

— Qu’elle éclaire aussi le tien, maître Gill, répondit Moiraine. Mais, si nous voulons qu’elle brille pour nous, il ne faut pas traîner. (Elle se tourna vers Loial.) Tu es prêt ?

Non sans un regard soupçonneux à ses dents, l’Ogier prit les rênes du cheval géant. Puis il avança vers la sortie secrète, tendant au maximum le bras afin qu’il reste hors de portée de la généreuse mâchoire de l’équidé.

Près de la porte, Ramey sautait d’un pied sur l’autre, sans doute parce qu’il avait hâte de la refermer. Sur le seuil, Loial s’immobilisa, inclina la tête et tendit le cou comme s’il voulait humer la brise.

— Par là, dit-il en tournant à gauche dans la venelle.

Moiraine le suivit, Rand et Mat lui emboîtant le pas. Rand ayant la charge du cheval de bât – mais il y aurait des rotations –, Nynaeve et Egwene se retrouvèrent placées assez loin derrière lui. Perrin les suivant de près, Lan se laissa légèrement distancer, comme toute arrière-garde qui se respecte.

Dès que Mandarb fut passé, la porte secrète se referma avec des grincements très discrets qui parurent pourtant assourdissants à Rand.

La venelle était vraiment étroite, et il y faisait encore plus noir que dans la cour. Rien que de très logique, pour un espace exigu enchâssé entre des bâtiments. Avec son chargement rangé dans de gros paniers spéciaux, le cheval de bât parvenait de justesse à passer. Composé essentiellement de jarres d’huile, le viatique des voyageurs était très lourd et très encombrant. Sur le dos de la bête, on avait fixé toute une provision de courtes perches, chacune étant munie d’une lanterne. Le long des Chemins, avait prévenu Loial, il faisait plus sombre que par une nuit sans lune.

Les lanternes à demi remplies oscillaient au gré des mouvements du cheval et s’entrechoquaient régulièrement. Le bruit n’avait rien d’assourdissant, bien au contraire, mais, à cette heure de la nuit, un silence total régnait dans les rues de Caemlyn. Dans cette quiétude, le moindre son était susceptible de s’entendre à des centaines de pas à la ronde.

Lorsque la venelle déboucha dans une rue, Loial choisit une direction sans l’ombre d’une hésitation. Désormais, il semblait sûr de lui, comme si l’itinéraire qu’il devait suivre était évident. Mais comment les Ogiers parvenaient-ils à trouver les Portails ? Rand n’en avait pas la première idée, et les explications de Loial ne l’avaient guère avancé. Ils « sentaient », prétendait-il. C’était naturel, voilà tout. Autant essayer d’expliquer comment on respirait…

Alors qu’ils avançaient dans la rue, Rand jeta un coup d’œil en arrière, là où se dressait La Bénédiction de la Reine. Selon Lamgwin, une demi-douzaine de Fils de la Lumière devaient être postés sur ce flanc-là de l’établissement. Bien sûr, ils surveillaient l’auberge, mais un bruit bizarre pouvait attirer leur attention. À cette heure, personne ne traînait dehors pour une raison « convenable ». Et le bruit des sabots sur les pavés ressemblait à une sonnerie de cloche. Sans parler des lanternes qui cliquetaient comme si le fichu cheval faisait exprès de les secouer.

Rand se sentit un peu moins inquiet lorsque la petite colonne bifurqua enfin dans une voie latérale. À entendre les soupirs que poussèrent tous les natifs de Champ d’Emond, il n’était sûrement pas le seul.

Suivant toujours son mystérieux instinct, Loial fit remonter à ses amis une enfilade de rues et d’avenues désertes, n’était la furtive apparition d’un chien errant, de-ci de-là. À l’occasion, l’Ogier emprunta aussi des venelles puantes où des immondices indéfinissables crissaient sous les pas des réfugiés. Nynaeve se plaignit de l’odeur, mais il n’y avait rien à faire.

Puis les premières lueurs de l’aube apparurent et les fugitifs commencèrent à croiser quelques passants particulièrement matinaux. Pas encore réveillés, ils avançaient comme des automates, sans doute en rêvant à leur lit, et ne prêtaient aucune attention aux autres malheureux contraints de sortir à une heure pareille. Deux ou trois seulement suivirent un instant des yeux l’étrange colonne, et un seul sembla remarquer vraiment qu’elle était guidée par un géant d’une bonne dizaine de pieds de hauteur.

Le type plus observateur que les autres passa d’abord son chemin, perdu dans ses pensées, mais il se retourna brusquement, manquant s’étaler, et écarquilla les yeux. Vu d’une certaine distance, et s’il avait été seul, Loial aurait pu passer pour un homme très grand qui tenait par la bride un cheval ordinaire. Ou pour un type lambda marchant devant un poney. Mais, avec des compagnons pour le mettre en perspective, Loial révélait sa véritable nature, à savoir celle d’un géant un bon tiers plus grand que le plus « haut » des hommes.