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Alors que tous les compagnons de Champ d’Emond déroulaient leur couverture, Loial les imita.

Moiraine resta assise, sirotant son infusion.

Lan ne broncha pas. Comme d’habitude, il ne semblait pas fatigué et ne manifestait pas l’intention de s’étendre.

Même quand ils furent enroulés dans leur couverture, les trois jeunes gens restèrent très près les uns des autres, formant autour du four un petit cercle de futurs dormeurs.

— Rand, souffla Mat, y avait-il vraiment quelque chose entre Min et toi ? Je l’ai à peine vue, mais elle m’a paru très jolie. Cela dit, elle a environ l’âge de Nynaeve.

— Et Else ? demanda Perrin, sur l’autre flanc de Rand. Est-elle jolie ?

— Par le sang et les cendres ! je n’ai même plus le droit de parler à une fille ? Vous êtes pires qu’Egwene, les gars !

— Comme dirait notre Sage-Dame, fit Mat, ironique, le silence est d’or. Très bien, si cette conversation ne te plaît pas, je vais essayer de dormir.

— Excellente idée…, marmonna Rand. Et la première chose sensée que je t’entends dire depuis longtemps…

Malgré la fatigue, le sommeil ne vint pas facilement. Le sol était glacial et il sentait ses aspérités à travers la couverture. Même avec de l’imagination, le jeune berger, n’aurait pas pu se convaincre qu’il était dans un endroit paradisiaque. Condamné à voyager sur les Chemins, il ne pouvait réussir à oublier que les responsables de la Dislocation du Monde avaient créé cet univers incroyable et terrifiant. Et ces Aes Sedai mâles possédaient un Pouvoir souillé par le Ténébreux…

S’il avait été tenté de se rassurer avec de vaines paroles, Rand n’avait qu’à se souvenir du pont brisé que rien ne soutenait.

Se tournant sur l’autre côté, il vit que Mat le regardait. Dès qu’il était seul dans la nuit, le plus grand plaisantin de Deux-Rivières perdait toute son arrogance de façade.

De l’autre côté de Rand, Perrin avait également les yeux ouverts. S’il semblait moins angoissé que Mat, l’apprenti forgeron se tapotait la poitrine du bout des doigts, et il ne semblait pas près de se calmer.

Moiraine fit le tour du dortoir de fortune, s’agenouillant devant chacun de ses compagnons pour lui parler en tête à tête. Rand n’entendit pas ce que l’Aes Sedai dit à Perrin. Quoi que ce fût, ça suffit à convaincre le jeune colosse de ne plus prendre son torse pour un moyen de se défouler.

Lorsque Moiraine en fut à Rand, elle s’agenouilla, son visage touchant presque celui du berger, et murmura :

— Même ici, ton destin te protège. Le Ténébreux lui-même est incapable de modifier radicalement la Trame. Rand, tant que je serai à tes côtés, il ne pourra rien contre toi. Tes rêves sont à l’abri aussi, au moins pour un temps.

Tandis que l’Aes Sedai passait à Mat, Rand se demanda si elle croyait vraiment que c’était si simple. Pensait-elle qu’il goberait ses propos puis s’endormirait comme un nourrisson ? Certes pas ! Cela dit, il se sentait en sécurité – en tout cas, plus qu’avant –, et, même si c’était provisoire, il y avait quelque chose d’étrange là-dedans.

Sur cette forte pensée, Rand s’endormit comme une masse.

Comme toujours, ce fut Lan qui réveilla tout le monde. À le voir, on pouvait douter que le Champion ait fermé l’œil de la nuit. Pourtant, il avait les traits moins tirés que les jeunes gens – pas très frais après avoir somnolé quelques heures sur de la roche glacée.

Moiraine autorisa qu’on prépare une infusion, mais pas plus d’une chope par personne, afin que ses jeunes compagnons ne perdent pas trop de temps à « siroter ».

Loial et Lan ouvrant la marche, les voyageurs prirent leur petit déjeuner en selle. Du pain, de la viande séchée et du fromage, comme toujours ! Des aliments dont il était facile de se lasser, quand on n’avait que ça à se mettre sous la dent.

Lorsque ses compagnons se furent restaurés, Lan leur annonça une très mauvaise nouvelle :

— Quelqu’un nous suit. Une créature du Ténébreux, peut-être…

La colonne avançait sur un pont dont on ne voyait plus l’entrée ni la sortie.

En entendant ces mots, Mat s’empara de son arc, y encocha une flèche et tira au hasard dans la direction d’où ils venaient.

— Je savais que j’aurais dû refuser, marmonna Loial. Une Aes Sedai n’est jamais fiable, sauf quand on la rencontre dans un Sanctuaire.

Lan abaissa l’arc de Mat avant que celui-ci ait eu le temps de tirer encore.

— Arrête, espèce d’idiot du village ! Nous ne savons pas qui approche de nous.

— Un Sanctuaire, c’est le seul endroit où ces femmes sont inoffensives…, continua à gémir Loial.

— Qui s’aventurerait ici, à part des êtres maléfiques ? répliqua Mat au Champion.

— Les Anciens le disaient, marmonna l’Ogier, toujours perdu dans ses pensées, et j’aurais dû les écouter…

— Eh bien, nous, par exemple ! répondit Lan à Mat.

— Il peut s’agir d’un autre voyageur, avança Egwene. Peut-être un Ogier.

— Les Ogiers ne sont pas assez stupides pour emprunter les Chemins, grogna Loial. À part moi, parce que je n’ai pas le sens commun. L’Ancien Haman le répétait sans cesse, et il avait raison.

— Quel est ton sentiment, Lan ? demanda Moiraine. C’est une personne ou une entité au service du Ténébreux ?

Le Champion secoua lentement la tête.

— Je n’en sais rien…, dit-il semblant surpris qu’une telle chose puisse lui arriver. Impossible à dire… Peut-être à cause des Chemins et de la souillure. Ici, rien n’est comme il le faudrait. Mais j’ai une certitude : cette… créature n’essaie pas de nous rattraper. Sur la dernière île, le contact a failli se faire, mais elle a reculé pour l’éviter. Si je me laisse décrocher de la colonne, je verrai de quoi ou de qui il s’agit…

— Si vous faites ça, Champion, dit Loial, vous passerez le reste de votre vie sur les Chemins. Même si vous lisez l’ogier, je n’ai jamais entendu parler d’un humain capable de traverser proprement la première île, sans l’aide d’un des miens. Au fait, vous lisez l’ogier ?

Lan secoua de nouveau la tête.

— La discussion est close, dit Moiraine. Tant que notre « compagnon » ne nous dérangera pas, nous lui rendrons la pareille. Nous n’avons vraiment pas de temps à perdre.

Alors que le petit groupe quittait le pont pour s’engager sur une nouvelle île, Loial reprit la parole :

— Si je me souviens bien de la dernière Plaque d’Orientation, un chemin pour Tar Valon part d’ici. Une demi-journée de voyage au maximum, soit beaucoup moins que pour gagner Mafal Dadaranell. Je suis sûr que…

Il se tut, car le cercle de lumière de leurs lanternes venait d’atteindre la Plaque d’Orientation. Sur la partie supérieure, de profondes entailles, dessinant des formes géométriques angulaires, blessaient cruellement la pierre.

Lan ne chercha plus à dissimuler son inquiétude pour apaiser ses compagnons. Il resta assis sur sa selle, presque nonchalant, mais Rand aurait juré qu’il captait tout ce qui se passait autour de lui, sentant même la respiration de chacun des voyageurs qui l’accompagnaient.

Il fit tourner Mandarb autour de la plaque puis s’en éloigna, tendu comme s’il était prêt à attaquer à tout moment – ou à riposter à une agression.

— Tout s’explique…, murmura Moiraine. Et j’en ai les sangs glacés. J’aurais dû m’en douter : la souillure et la détérioration… C’était évident !

— De quoi parles-tu ? demanda Nynaeve.

— Qu’est-ce que c’était ? lui fit écho Loial. Qui a fait ça ? Je n’ai jamais entendu parler d’une chose pareille.

L’Aes Sedai fit calmement face à ses deux interlocuteurs.

— Des Trollocs… Ou des Blafards… Ce sont des runes trollocs, en tout cas… Les monstres ont trouvé un moyen de voyager sur les Chemins. C’est sans doute comme ça qu’ils ont pu débouler à Deux-Rivières sans que nul les remarque. Il y avait un Portail à Manetheren et il en reste au moins un dans la Flétrissure. (Elle regarda Lan, presque trop loin du groupe pour que la lumière des lanternes puisse encore l’éclairer.) Manetheren n’est plus, mais quasiment rien ne peut détruire un Portail. Voilà comment les Myrddraals ont pu réunir une petite armée autour de Caemlyn sans éveiller les soupçons de toutes les nations qui séparent la Flétrissure d’Andor.