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— Ninte calichniye no domashita, Agelmar Dai Shan… (L’Aes Sedai avait parlé très solennellement, mais une nuance chaleureuse, dans sa voix, indiquait qu’elle s’adressait à un vieil ami.) C’est ton accueil qui me réchauffe le cœur, seigneur Agelmar.

— Kodome calichniye ga ni Aes Sedai hei… Ici, les Aes Sedai sont toujours bienvenues… (Agelmar se tourna vers Loial.) Tu es loin de ton Sanctuaire, Ogier, mais ta visite est un honneur pour Fal Dara. Gloire éternelle aux Bâtisseurs. Kiserai ti Wansho hei.

— Je ne suis pas digne de tant d’honneur, dit Loial en inclinant la tête. C’est votre accueil qui m’honore, seigneur.

Loial jeta un regard noir aux murs de pierre, tendu comme s’il menait un combat intérieur. Rand lui fut reconnaissant de ne pas ajouter un commentaire acide de son cru sur la disparition des arbres.

Parfaitement silencieux grâce à leurs chaussures aux semelles souples, des serviteurs en noir et or entrèrent dans le bureau. Certains portaient sur des plateaux des serviettes imbibées d’eau chaude qui permettraient aux voyageurs de se débarbouiller rapidement. D’autres apportaient du vin doux et des coupes remplies de prunes et d’abricots secs.

Le seigneur Agelmar ordonna qu’on prépare des chambres – et des baignoires.

— Tar Valon n’est pas à côté, dit-il ensuite. Vous devez être fatigués.

— Par le chemin que nous avons emprunté, dit Lan, ce fut un court voyage, mais encore plus épuisant.

Agelmar parut surpris que le Champion ne lui fournisse pas plus d’explications. Mais il n’insista pas.

— Quelques jours de repos vous remettront d’aplomb.

— Je te demande une nuit d’hospitalité, seigneur Agelmar, dit Moiraine. Pour nous et pour nos chevaux. Et demain matin, si tu peux nous fournir des vivres… Nous partirons très tôt, je le crains.

— Mais j’ai pensé que… Moiraine Sedai, je n’ai aucun droit de te demander ça, mais, sur la brèche de Tarwin, tu vaudrais bien un millier de lanciers. Quant à toi, Dai Shan… Mille hommes supplémentaires me rejoindront s’ils savent que la Grue Dorée vole de nouveau !

— Les Sept Tours sont brisées, répondit Lan, et le Malkier est mort. Les rares survivants de son peuple sont dispersés sur la face du monde… Agelmar, je suis un Champion, fidèle à la Flamme de Tar Valon, et je dois aller dans la Flétrissure.

— Je comprends, Dai Sh… Lan ! Mais quelques jours de retard, deux ou trois semaines, au maximum, ne changeront pas la face du monde. Ici, nous avons besoin de toi, et de Moiraine Sedai.

Moiraine prit le gobelet d’argent que lui tendait un serviteur.

— Ingtar semble convaincu que vous repousserez la menace, comme d’habitude…

— Aes Sedai, s’il devait aller combattre seul, il assurerait qu’un désastre guette les Trollocs. Cet homme est assez fier pour se croire capable de les écraser sans aide.

— Il est moins confiant qu’il le paraît, cette fois, dit Lan. (Il avait accepté un gobelet, mais ne buvait pas.) C’est si grave que ça ?

Après une brève hésitation, Agelmar tira une carte de sous une pile de documents. Il la regarda pendant un moment sans vraiment la voir, puis la repoussa.

— Quand nous partirons pour la brèche, dit-il, les civils seront évacués vers Fal Moran, au sud. Avec un peu de chance, la capitale tiendra. Tout ne peut quand même pas s’écrouler !

— C’est donc encore plus grave que je le croyais…

Agelmar acquiesça.

Rand échangea des regards inquiets avec Perrin et Mat. Il semblait logique de croire que les Trollocs qui se rassemblaient dans la Flétrissure en avaient après lui – enfin, après eux.

— Le Kandor, l’Arafel, le Saldaea… Les Trollocs les ont attaqués sans relâche, tout l’hiver durant. Rien de semblable n’est arrivé depuis les guerres des Trollocs. Les raids n’ont jamais été si violents et si massifs. Tous les rois et tous les Conseils sont certains qu’une grande attaque se prépare. Bien entendu, tous les royaumes des Terres Frontalières pensent être la cible prioritaire. Les Champions et leurs propres éclaireurs ne rapportent aucun mouvement le long de leur frontière, contrairement à ce qui se passe sur la nôtre, mais ils n’en démordent pas et refusent de nous envoyer des renforts. Partout, des gens murmurent que la fin du monde approche, parce que le Ténébreux s’est libéré. Le Shienar devra combattre seul à la brèche de Tarwin, et nous lutterons à un contre dix. Au minimum… Ce sera peut-être la dernière Assemblée des Lances.

» Lan – non, Dai Shan, car tu es un Seigneur de Guerre au Diadème du Malkier, quoi que tu en dises –, Dai Shan, si la bannière à la Grue Dorée flotte à côté de la nôtre, elle donnera du cœur au ventre aux hommes qui chevaucheront vers la mort en toute connaissance de cause. La nouvelle se répandra plus vite que le vent, et, malgré les ordres de leur roi, des guerriers viendront d’Arafel et du Kandor – et même du Saldaea. Même s’ils n’arrivent pas à temps pour se battre sur la brèche de Tarwin, ils sauveront peut-être le Shienar.

Lan baissa les yeux. Aucune émotion ne passa sur son visage, mais du vin aspergea sa main, car il venait d’écraser dans son poing le gobelet d’argent. Un serviteur vint prendre le gobelet irrécupérable, puis il essuya la main du Champion. Dès qu’il eut fini, un autre domestique donna un nouveau gobelet à l’invité.

Lan ne sembla pas vraiment remarquer tout ce manège.

— Je ne peux pas…, soupira-t-il, accablé. (Il releva la tête, ses yeux bleus brillant de fureur, mais quand il parla, sa voix ne tremblait plus.) Agelmar, je suis un Champion. (Il regarda les trois garçons, puis Moiraine.) Dès l’aube, je partirai pour la Flétrissure.

— Alors, toi, Moiraine Sedai, viendras-tu avec nous ? Une seule Aes Sedai peut faire toute la différence.

— C’est impossible, seigneur Agelmar… J’en suis navrée, car cette bataille est importante – d’autant plus que les Trollocs n’attaquent pas le Shienar par hasard. Mais notre combat, le véritable affrontement contre le Ténébreux, se déroulera devant l’Œil du Monde. Tu as une guerre à faire, seigneur, et nous en avons une autre.

— Tu ne veux pas dire que c’est perdu d’avance ? s’écria Agelmar.

Si incroyable que ce fût, le roc de Fal Dara était ébranlé.

— Rien n’est joué… Si nous gagnons, il n’y aura peut-être plus jamais de danger.

— Trouveras-tu l’Œil du Monde, Aes Sedai ? Si la victoire contre le Ténébreux en dépend, autant nous ouvrir tout de suite les veines. Bien des gens ont tenté en vain de le trouver…

— Je peux réussir, seigneur. Tout espoir n’est pas encore perdu.

Agelmar dévisagea Moiraine, puis il s’intéressa à ses compagnons. Nynaeve et Egwene l’intriguèrent beaucoup, sans doute à cause de leurs simples tenues de paysannes – un contraste frappant avec la robe de soie de l’Aes Sedai, même si les trois femmes étaient couvertes de poussière après leur voyage.

— Ce sont des Aes Sedai ? demanda Agelmar, dubitatif.

Quand Moiraine secoua la tête, il sembla encore plus troublé. Étudiant les trois garçons, il laissa son regard peser un court instant sur l’épée toujours enveloppée de tissu rouge.

— Tu as une bien curieuse escorte, Aes Sedai… Un seul guerrier… (Il jeta un coup d’œil à Perrin – ou plutôt à sa hache.) Peut-être deux… Mais des gamins, ou quasiment ! Permets-moi de te prêter des hommes, Moiraine Sedai… Cent lances de plus ou de moins ne feront aucune différence sur la brèche de Tarwin. Toi, il te faudra davantage qu’un Champion et trois… jouvenceaux. Les deux femmes ne t’aideront pas, sauf si ce sont des Aielles déguisées. Cette année, la Flétrissure est pire que jamais. Elle… s’agite.