Elle était assise près de son bureau et jouait avec un porte-plume.
– vous étiez en train de travailler quand je suis venue? Où en êtes-vous sur Gilles De Rais?
– il avance, mais je suis retardé; pour bien faire le satanisme au Moyen Age, il faudrait se mettre dans ce milieu, s'en fabriquer au moins un, en connaissant les affidés du diabolisme qui nous cerne; -car l'état d'âme est en somme identique, et si les opérations diffèrent, le but est le même.
Et, la fixant bien en face, jugeant que l'histoire de l'enfant l'avait amollie, il mit toute voile dehors et l'aborda.
– ah! Si votre mari voulait se dessaisir des renseignements qu'il possède sur le chanoine Docre!
Elle demeura immobile mais ses yeux s'enfumèrent.
Elle ne répondit pas.
– il est vrai, que Chantelouve qui se doute de notre liaison…
elle l'interrompit. -mon mari n'a rien à voir dans les rapports qui peuvent exister entre vous et moi; il souffre évidemment lorsque je sors, ainsi que ce soir, car il sait où je vais; mais je n'admets aucun droit de contrôle, ni de sa part, ni de la mienne.
Il est comme moi libre d'aller où bon lui semble. Je dois tenir sa maison, veiller à ses intérêts, le soigner, l'aimer en dévouée compagne, cela je le fais et de grand coeur. Quant à s'occuper de mes actes, cela n'est pas son affaire, pas plus à lui, du reste, qu'à tout autre…
elle dit cela d'un ton décidé, d'une voix nette.
– diable! Fit Durtal, vous restreignez singulièrement le rôle d'un mari, dans un ménage.
– je sais que ces idées ne sont pas celles du monde où je vis, et elles ne paraissent pas non plus être les vôtres; elles furent d'ailleurs, pendant mon premier mariage, une cause de malheurs et de troubles; -mais j'ai une volonté de fer, et je ploie ceux qui m'aiment. Avec cela, je hais le mensonge; aussi, quand après quelques années de ménage, je fus éprise d'une personne, je l'ai dit très franchement à mon mari et je lui ai avoué ma faute.
– oserai-je vous demander comment il reçut cette confidence?
– il eut un tel chagrin qu'en une nuit ses cheveux blanchirent; il ne put jamais accepter ce qu'il appelait, à tort, selon moi, une trahison et il se tua.
– ah! Fit Durtal, interloqué par l'allure placide et résolue de cette femme. -mais s'il vous avait tout d'abord étranglée?
Elle haussa les épaules, enleva un poil de chat qui s'était fixé sur sa robe.
– de sorte que, reprit-il, après un silence, maintenant vous êtes à peu près libre, votre second mari tolère…
– laissons là, s'il vous plaît, mon second mari; c'est un homme excellent qui mériterait d'avoir une meilleure femme. Je n'ai absolument qu'à me louer de Chantelouve et je l'aime autant qu'il m'est permis; et puis, parlons d'autre chose, car j'ai suffisamment de tracas à se sujet avec mon confesseur qui m'interdit de m'approcher de la sainte-table.
Il la contemplait, voyait encore une nouvelle Hyacinthe, une femme pertinace et dure qu'il ignorait. Pas un accent ému, rien, pendant qu'elle racontait le suicide de son premier mari; elle ne paraissait même pas se douter qu'elle avait à se reprocher un crime. Elle demeurait impitoyable, et pourtant, tout à l'heure, alors qu'elle le plaignait, lui, Durtal, à cause de son illusoire paternité, il l'avait sentie tressaillir. Après tout, c'est peut-être bien une comédie qu'elle jouait; -comme lui, alors!
Il restait étonné de la tournure qu'avait prise cette conversation; il chercha un joint pour en revenir à ce point de départ d'où Hyacinthe l'avait écarté, au satanisme du chanoine Docre.
– enfin, ne pensons plus à cela, dit-elle en s'approchant. Elle souriait, redevenait la femme qu'il avait connue.
– mais, si vous ne pouvez plus communier à cause de moi…
elle l'interrompit. -vous plaindrez-vous de n'être pas aimé? -et elle l'embrassa sur les yeux.
Il la serra poliment dans ses bras, mais il la trouva frémissante et, par prudence, il s'écarta.
– il est donc bien inexorable, votre confesseur?
– c'est un homme incorruptible, des anciens temps. Je l'ai, du reste, choisi exprès.
– si j'étais femme, il me semble que j'en prendrais un, au contraire, qui serait câlin et souple, qui n'écartèlerait pas avec de gros doigts les petits paquets de mes péchés. Je le voudrais indulgent, huilant le ressort des aveux, amorçant avec des gestes tout doux les méfaits qui rentrent. Il est vrai que l'on risque alors de s'amouracher d'un confesseur qui est peut-être, lui-même, sans défense, et…
– et c'est l'inceste, car le prêtre est un père spirituel, et c'est aussi le sacrilège, car le prêtre est consacré. Oh! J'ai été folle de tout cela!
Fit-elle, subitement exaltée, se parlant à elle-même.
Il l'observa. Des étincelles filaient dans ses extraordinaires yeux de myope. Il venait évidemment, sans s'en douter, de la frapper en plein vice.
– voyons, et il sourit, -me trompez-vous toujours avec un faux moi-même?
– je ne comprends pas.
– oui, recevez-vous, la nuit, la visite de l'incube qui me ressemble?
– non, puisque je vous possède en chair et en os, je n'ai nul besoin d'évoquer votre image.
– savez-vous que vous êtes une jolie satanique?
– cela se peut, j'ai tant fréquenté de prêtres!
– vous allez bien! Répondit-il en s'inclinant; mais, écoutez-moi, et rendez-moi service, ma chère Hyacinthe, en me répondant. Vous connaissez le chanoine Docre?
– eh bien oui!
– mais enfin, quel est cet homme, dont j'entends constamment parler?
– par qui?
– par Gévingey et des Hermies.
– ah! Vous fréquentez l'astrologue. Oui, celui-là s'est jadis rencontré, dans mon salon même, avec Docre, mais j'ignorais que le chanoine eût des relations avec des Hermies qui ne venait pas dans ce temps-là chez moi.
Il n'en a aucune. Des Hermies ne l'a jamais vu; il n'a, lui aussi, entendu que les racontars de Gévingey; en somme, qu'y a-t-il de vrai dans tous les sacrilèges dont on accuse ce prêtre?
– je l'ignore. Docre est un galant homme, savant, et bien élevé. Il a même été confesseur d'une altesse royale et il serait certainement évêque, s'il n'avait pas quitté le sacerdoce. J'ai entendu dire bien du mal de lui, mais, dans le monde clérical surtout, l'on dit tant de choses!
– mais enfin, vous l'avez personnellement connu!
– oui, je l'ai même eu pour confesseur.
– alors, il n'est pas possible que vous ne sachiez à quoi vous en tenir sur son compte?
– c'est en effet, présumable. Enfin, voici des heures que vous tournez autour du pot; que voulez-vous apprendre, au juste?
– mais tout ce que vous voudrez bien me confier; est-il jeune, beau ou laid, pauvre ou riche?
– il a quarante ans, il est bien de sa personne et il dépense beaucoup d'argent.
– croyez-vous qu'il se livre aux envoûtements, qu'il célèbre la messe noire?
– c'est fort possible.
– pardonnez-moi de vous forcer ainsi dans vos retranchements, de vous arracher de même qu'avec un davier les mots; puis-je même être tout à fait indiscret?… cette faculté de l'incubat…
– parfaitement; c'est de lui que je la tiens; j'espère que vous êtes satisfait maintenant.
– oui et non. Je vous remercie de votre bonne grâce à me répondre, -je sens que j'abuse, -une dernière question pourtant. Ne connaîtriez-vous pas un moyen qui me permettrait de voir en personne le chanoine Docre?
– il est à Nîmes.
– pardon, il est à Paris, pour l'instant.
– ah! Vous savez cela! Eh bien, si je connaissais ce moyen, je ne vous l'indiquerais pas, soyez-en sûr.
Il ne vous serait pas bon de fréquenter ce prêtre!
– vous avouez donc qu'il est dangereux?
– je n'avoue, ni ne nie; je dis simplement que vous n'avez rien à faire avec ce prêtre!
– mais si; j'ai des renseignements à lui demander pour mon livre sur le satanisme.
– vous vous les procurerez d'une autre manière.
D'ailleurs, reprit-elle, en mettant son chapeau devant une glace, mon mari a rompu toute relation avec cet homme qui l'effraye; il ne vient donc plus comme autrefois chez nous.