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L'eau était déjà à Boulbon lorsque Fosse et son compagnon y arrivèrent.

Or, Boulbon est à une lieue de Vallabrègues, et, de Boulbon à Vallabrègues, c'était, non pas un lac, mais une inondation furieuse, pleine de courants, de tourbillons et de remous.

Le maire et le conseil municipal étaient en permanence.

Fosse requit un bateau. On lui en amena un qui pouvait contenir huit personnes. Il y monta avec le commissaire central et se lança au milieu du courant.

Il fallait tout le courage et toute la force du célèbre sauveteur pour éviter ou repousser tous ces débris flottants sur cette mer où l'on ne voyait apparaître que des cimes d'arbre et des toits de maison; de temps en temps, des branches d'un de ces arbres ou du toit d'une de ces maisons, retentissait un coup de feu, signal de détresse. Fosse ramait du côté où on l'appelait, recueillait le naufragé dans sa barque et continuait son chemin.

Enfin on arriva à Vallabrègues; on ne voyait plus que les étages supérieurs des maisons et le clocher. Un homme, qui était à sa croisée et qui avait de l'eau jusqu'à la ceinture, apprend à Fosse, que tous les habitants étaient réfugiés dans le cimetière: c'était le point le plus élevé du pauvre village.

Fosse dirigea son bateau à travers les rues inondées, et arrive au lieu indiqué. Quinze ou dix-huit cents personnes avaient été chercher un refuge au milieu des croix et des tombeaux; le cimetière était le seul endroit de la ville qui ne fût pas inondé. Il était minuit.

Ces dix-huit cents personnes étaient là, sans pain, depuis vingt-quatre heures.

Il n'y avait pas de temps à perdre pour leur porter secours.

Fosse laisse avec eux le commissaire central, afin qu'ils sachent bien qu'ils ne seront pas abandonnés, abandonne son bateau au cours de l'eau, aborde à l'extrémité de l'inondation, et court à Nîmes, où l'attendait le préfet.

– Je vous donne carte blanche, répondit celui-ci; mais alimentez-les.

Aussitôt Fosse lance des réquisitions de pain et de vin, et organise un convoi qui suivra la montagne, remontera plus haut que Vallabrègues et descendra ensuite comme Fosse a fait lui-même.

Le 1er juin, il arriva à Vallabrègues avec une barque pleine de vivres.

Pendant huit jours, il fit le service des approvisionnements, que nul n'osait faire.

Le 3 juin, monseigneur l'évêque de Nîmes voulut accompagner Fosse, afin de porter des paroles de consolation aux pauvres inondés.

Fosse le prit dans sa barque, et, comme, chemin faisant, Sa Grandeur manifestait quelque crainte sur la fragilité de l'embarcation:

– Bon! monseigneur, répondit Fosse, qu'avez-vous à craindre, vous qui ne quittez ce monde que pour aller directement au ciel? Par malheur, je n'en puis dire autant. Aussi, je vous recommande mon âme.

On arriva sans accident.

Monseigneur Plantier a consacré cette dangereuse navigation par cette lettre qu'il écrivit à Fosse, en manière d'attestation:

«En 1856, le Rhône était horriblement débordé. De Beaucaire, nous voulûmes aller à Vallabrègues, village de notre diocèse, situé sur la rive gauche du fleuve. Nous désirions en consoler les habitants, chassés de leurs domaines, et forcés de se réfugier sur une pointe de terre, par une inondation sans exemple. La navigation qui devait nous mener jusqu'à eux n'était pas sans danger. M. Fosse, de Beaucaire, s'est offert à nous conduire, et nous a conduit, en effet, avec la même intrépidité qu'il avait déjà déployée en mille autres circonstances périlleuses.-C'est une attestation que nous nous plaisons à lui donner, autant par justice que par reconnaissance.

» HENRY, évêque de Nîmes.»

L'inondation continuait: le 10 juin, une commission d'ingénieurs se rendit à une brèche en aval de Beaucaire, afin d'étudier les moyens les plus prompts de réparer la chaussée et d'arrêter la chute des eaux dans la campagne.

La commission, à la tête de laquelle se trouvait le préfet, consulta Fosse, afin de savoir si la chute d'eau de cinq ou six mètres qui se précipitait en cet endroit permettait la manoeuvre d'une barque.

– On peut voir, répondit simplement Fosse; seulement, il me faut deux hommes de bonne volonté.

Deux pilotes se présentèrent.

La possibilité de la manoeuvre, malgré la chute d'eau, fut démontrée.

Les deux pilotes, pour avoir aidé Fosse en cette circonstance, reçurent tous deux la médaille en or, et de première classe.

Pas une seule fois, pendant tout le temps des inondations, où tous les jours Fosse risquait sa vie, pas une seule fois il ne s'inquiéta des pertes que subissait son commerce, complètement abandonné par lui.

Le 19 août 1856, il reçut une nouvelle médaille d'or de première classe.

Le 7 juin de l'année suivante, un incendie éclata dans la grande rue de Beaucaire.

Fosse fut, comme toujours, un des premiers sur le lieu du sinistre.

Il entendit les spectateurs dire qu'une femme était dans la maison.

Il était impossible de monter par l'escalier, qui était en flammes.

Fosse applique une échelle à la façade de la maison, entre par une fenêtre, brise les portes, et enfin trouve une femme étendue sans connaissance sur le carreau.

Il la prend dans ses bras, traverse les flammes qui, derrière lui, se sont fait jour, regagne son échelle, dépose la femme entre les mains des spectateurs émerveillés, remonte, malgré les instances de tous, dans la maison, pour voir s'il n'y a plus personne à sauver, et n'en redescend que lorsqu'il s'est bien assuré qu'elle est déserte.

Alors il demanda des nouvelles de la femme; il était arrivé trop tard, elle était déjà asphyxiée: Fosse n'avait sauvé qu'un cadavre.

Le 15 janvier 1858, se promenant dans la rue de l'Arbre, à Marseille, il entend crier: «À l'assassin!»

Il se retourne et aperçoit un homme à figure suspecte, courant comme une trombe et renversant tout ce qui se trouvait sur son passage.

Fosse étend la main sur le fuyard, lutte avec lui et le terrasse.

C'était un forçat évadé qui, depuis sa fuite du bagne, avait déjà commis bon nombre de vols.

Fosse le remit aux agents de la police, doux comme un mouton. Cette métamorphose s'était opérée lorsqu'il avait senti craquer ses os entre les mains de Fosse.

Fosse, en sa qualité de membre de la Société des sauveteurs de France, se rendit à Paris à la fin de l'an dernier.

Une réunion des sauveteurs de tous les départements devait avoir lieu le 16 décembre.

Ce fut alors que je le vis.

Fosse fut, de la part de cette Société, l'objet d'une véritable ovation: le président de la Société le proclama le premier sauveteur de France, et fit insérer dans _l'Illustration_ un portrait de lui, suivi de l'énumération de ses actes de courage et de dévouement.

J'envoie cet article à l'impression; mais, avant qu'il soit imprimé, je m'attends à recevoir le récit de quelque nouveau sauvetage de Fosse. Si cela arrive, chers lecteurs, vous le trouverez en post-scriptum.

LE CHÂTEAU DE PIERREFONDS

Pierrefonds est un pays que j'ai découvert en rôdant autour de Villers-Cotterets, vers 1810 ou 1812.

Christophe Colomb de huit à dix ans, je faisais trois lieues et demie en allant, trois lieues et demie en revenant, totaclass="underline" sept lieues, pour aller jouer une heure dans les ruines.

Et les fortes têtes du pays disaient:

– Voyez, le paresseux, il aime mieux vagabonder sur les grandes routes que d'aller au collège. Il ne fera jamais rien.

Je ne sais pas si j'ai fait grand'chose; mais je sais que j'ai diablement travaillé depuis.

Il est vrai que ce travail n'a pas eu un brillant résultat: j'eusse mieux fait, je crois, au lieu d'entasser volumes sur volumes, d'acheter un coin de terre, et d'y mettre cailloux sur cailloux. J'aurais au moins aujourd'hui une maison à moi.

Bah! n'ai-je pas la maison du bon Dieu, les champs, l'air, l'espace, la nature, ce que n'ont pas, enfin, les autres qui ne savent pas voir ce que je vois.