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Je fais non de la tête.

Une semaine que je n’ai pas de nouvelles.

Je commence à m’inquiéter.

Je laisse un nouveau message. « Houhou ! J’existe, ne m’oublie pas tout de même. Je pense à toi très fort, très, très fort. Tu me manques. »

Tu n’as pas essayé de me joindre. Je suis à la maison tout le temps. Je fais retraite et écris comme une acharnée. J’ai retrouvé mes mots et l’estime pour mes mots. J’écris ce livre comme s’il sortait de mes entrailles, qu’il se vidait sur la table. Toute mon enfance revient au galop. Tout mon silence de petite fille mal éclairée m’assourdit. Il ne faut pas se taire. C’est en se taisant qu’on devient victime.

J’écris pour ne plus me taire.

Je tends l’oreille vers le téléphone.

Je suis inquiète. Je ne voudrais pas non plus tomber dans des rapports de force. Le premier qui rappelle a perdu. Bisque-bisque-rage. Ça ne m’intéresse pas.

Je vérifie que la ligne n’est pas coupée. Je vérifie que le répondeur marche. Je vérifie que je suis toujours belle dans la glace.

Je regarde le pigeon sur le toit ardoise. Il semble toujours blessé et se recroqueville en boule, la tête enfouie sous ses ailes.

Est-ce que ça dort, un pigeon ?

J’émiette du pain, un reste de viande.

Qu’est-ce que ça mange, un pigeon ?

Je mets un peu de lait dans une coupelle, sors par la fenêtre, rampe sur le toit en surveillant la pente et pose son repas sur la gouttière.

M’aplatis près de lui et l’observe.

Il est vraiment mité. Un pauvre pigeon en bout de course.

Il ne bouge pas. N’essaie pas de s’envoler. Cloué sur le toit pour cause de mauvaise grippe, de castagne ou de vieillesse.

Est-ce que ça a de la fièvre, un pigeon ?

Plus de nouvelles de ma mère.

Pas de nouvelles de mon frère.

Et la statue est toujours muette…

Le pigeon s’est redressé, ce matin. Je l’ai vu se traîner jusqu’à la coupelle de lait et y tremper le bec une fois, deux fois, trois fois. Puis il a picoré un morceau de mie de pain et est allé se blottir un peu plus loin, dans la gouttière. Le gris de son plumage se noie dans le gris des ardoises. Il porte une tenue de camouflage.

Il a frotté son œil contre son aile. Il a l’œil tout rouge et boursouflé.

Est-ce qu’on leur met des gouttes dans les yeux, aux pigeons ?

Je continue d’écrire. Du matin au soir. Et toute la nuit. En pyjama. Je mange ce qu’il reste dans le frigidaire, des vieux fromages, des yaourts, du tarama, du surimi. J’ai un gros tas de feuillets imprimés sur le bureau et je le regarde avec satisfaction. Je suis en train d’écrire notre histoire, notre belle histoire d’amour.

Je les lui offrirai quand on se retrouvera.

Cette trêve amoureuse m’aura, au moins, permis d’avancer dans mon livre. Si ça continue, s’il continue à ne pas donner signe de vie, j’aurai fini bientôt.

Je n’ose plus sortir de peur de manquer son appel.

Il me fait subir une épreuve. Il veut me montrer qu’il est le maître.

J’ai pourtant laissé deux messages. Deux messages de femme amoureuse et tendre.

Il a peut-être décidé de rappeler au troisième.

J’appellerai demain…

C’est Charlie qui me l’a annoncé.

Elle a pris des gants.

Elle n’aimait pas ce rôle de porteuse de mauvaises nouvelles.

Elle m’a dit :

– Je crois qu’il vaut mieux que tu saches : il est avec une autre.

D’abord, je n’ai pas compris.

Qui ça ? j’ai demandé. J’ai essayé de me souvenir du nom de son dernier coup de foudre. L’homme du Minnesota qui prenait des Boeing pour un oui, pour un non, pour venir l’embrasser à Paris, France.

– Mais c’était fini entre vous… C’est normal, non ?

– C’est pas ce que je voulais te dire… Ce n’est pas lui dont je parle. Lui, c’est fini, et il n’y a personne d’autre.

– C’est qui, alors ?

Je fais le tour de la bande des sorcières et je ne vois pas d’autre histoire d’amour à suivre. Charlie, Valérie, Anouchka, Christina… Simon ne l’a pas plantée là. C’est un cyclamen sédentaire.

Je ris à cette pensée. Si on ne peut plus faire confiance à un cyclamen ! Si même les cyclamens se mettent à être volages !

– Ne me rends pas les choses plus difficiles qu’elles ne sont, je t’en supplie ! dit Charlie en appuyant ses poings serrés droit sur la table. J’ai réfléchi avant de te parler, j’ai pris mon courage à deux mains ! Ce n’est pas facile, crois-moi.

Elle me regarde d’un air suppliant. Je comprends que c’est important. Je comprends qu’il s’est passé quelque chose de grave.

Je ne comprends pas de qui elle veut parler. Je cherche, je cherche.

– Je ne vois pas… Promis, juré !

– Bon… Alors je vais être plus explicite…

Elle a repris son souffle, m’a regardée avec tout l’amour qu’elle me porte, a mis tant de tendresse dans son regard, tant d’attention précautionneuse que, soudain, j’ai compris.

J’ai crié Non ! Très fort. Non ! Ce n’est pas possible ! Le coup était si violent que j’ai reculé sur ma chaise puis je suis retombée contre la table en formica du café. Le front sur la table. Atteinte en plein cœur. J’ai gémi non, non, non. Me suis redressée, ai serré ma tête entre mes mains, ai fermé les yeux pour ne plus rien voir, plus rien entendre.

Elle a pris ma main dans sa main et a continué à voix basse :

– … Je faisais la queue au cinéma quand j’ai entendu, dans mon dos, une voix très forte, une voix d’homme autoritaire qui parlait du film que j’allais voir. Il l’avait déjà vu et y entraînait une fille. J’ai écouté ce que disait la voix de cet homme qui paraissait si sûr de lui, si érudit. Il dressait des parallèles avec des films américains, des films d’art et d’essai. Sa voix était envoûtante. J’ai imaginé à quoi ressemblait cet homme intriguant, et puis j’ai eu envie de le regarder. Alors je me suis retournée et je l’ai vu. Lui… Il était avec une fille blonde, toute jeune, qui portait des cheveux attachés en catogan. Il la tenait par le cou et, quand je me suis retournée, il ne m’a pas vue parce qu’il l’embrassait…

– Sur la bouche ?

– Sur la bouche. Ce n’était ni sa sœur ni une vieille copine, je te promets. Je me suis détournée, très vite. Il ne m’a pas reconnue. Après tout, on ne s’est croisés qu’une fois, chez toi, et c’était si rapide. Il ne pouvait pas se souvenir de moi mais moi je me souvenais. Tu penses que je l’avais photographié !

– T’es sûre ? je répète plusieurs fois, hébétée.

– Absolument sûre… Je les ai laissés passer devant, je suis allée m’asseoir derrière eux et je les ai espionnés pendant tout le film. Ne me demande pas ce que j’ai retenu du film : rien du tout. Il lui parlait, il l’embrassait, il lui mangeait la bouche et elle se coulait contre lui. Elle avait l’air très amoureuse…

– Qui ne serait pas amoureuse d’un homme qui veut tout vous offrir ? Tout vous donner ? Qui vous considère comme la huitième merveille du monde ? Elle va tomber comme moi…

– Ça va ? m’a demandé Charlie. Tu vas te remettre ?