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— Je ne sais pas, dit Jason.

— Il y a une chose sur laquelle je me suis souvent interrogé mais que je n’ai jamais demandée, Jason. Puis-je te poser la question maintenant ?

— Bien sûr, tout ce que tu veux.

— Pourquoi n’es-tu jamais allé dans les étoiles ?

— Peut-être parce que je ne peux pas.

— Mais tu n’as jamais essayé. Tu ne l’as jamais vraiment voulu.

— Tous les autres sont partis un à un et il n’est plus resté que Martha et moi, dit Jason. J’ai eu l’impression que quelqu’un devait rester, que nous ne devions pas tous quitter la Terre, qu’il fallait que quelqu’un reste. Une sorte d’ancre pour tous ceux qui étaient partis… Pour veiller sur les feux de la maison, pour accueillir les autres quand ils veulent rentrer, pour qu’ils aient un endroit où venir.

— Et ils reviennent, bien entendu. Et tu es là pour les accueillir ?

— Certains d’entre eux reviennent, dit Jason. Pas tous. Mon frère, John, a été l’un des premiers à partir. Il n’est jamais revenu. Nous n’avons pas eu de ses nouvelles. Je me demande souvent où il est, s’il est encore vivant.

— Tu sembles dire que tu es resté parce que tu t’es senti responsable, mais ce ne peut être l’unique raison, Jason ?

— Non, c’est l’une des raisons. Beaucoup plus importante à un certain moment qu’elle ne l’est maintenant. Nous étions les plus âgés, John et moi. Ma sœur Janice est plus jeune. Nous la voyons encore de temps à autre et Martha parle assez souvent avec elle. Si John était resté, Martha et moi aurions pu partir. J’ai dit que nous étions restés parce que nous ne pouvions pas partir, mais je ne le pense pas vraiment. Le pouvoir de partir semble nous être inhérent. L’homme le possédait sans doute longtemps avant de commencer à s’en servir. Pour qu’il se développe, il fallait du temps, et notre vie plus longue nous a donné ce temps. Peut-être se serait-il développé sans cette longévité accrue si nous n’avions pas été si absorbés, si engloutis par notre technologie. Peut-être avions-nous pris, quelque part, la mauvaise route, accepté de fausses valeurs et permis à notre passion de la technologie de nous masquer notre but réel. Cette passion pour la technologie peut nous avoir empêché de nous rendre compte de ce que nous possédions. Ces facultés que nous avons ne pouvaient pas franchir les épaisses couches de pensées consacrées aux machines, aux devis et à tout le reste, pour parvenir à notre conscience. Et quand je parle de facultés, je ne parle pas uniquement d’aller dans les étoiles, ton peuple ne va pas dans les étoiles. Il n’en a peut-être pas besoin. À la place, il est devenu partie de l’environnement, vivant dans son essence et la comprenant. C’est de cette façon que cela s’est passé pour vous…

— Mais, si tu pouvais y aller, pourquoi ne pas l’avoir fait ? Tu pouvais certainement t’absenter peu de temps, les robots auraient pris soin de tout, ils auraient gardé les feux allumés et auraient été prêts à accueillir ceux qui désiraient revenir.

Jason secoua la tête :

— C’est trop tard, maintenant. Au fur et à mesure que les années s’écoulent, je suis de plus en plus amoureux de cette maison et de ces acres de terre. Je sens que j’en fais partie. Je serais perdu sans la maison, sans le terrain – et sans la Terre. Je ne pourrais pas vivre sans eux. Un homme ne peut pas marcher sur le même sol, vivre dans la même maison, depuis cinq mille ans et…

— Je sais, dit Nuage Rouge. Au fur et à mesure que sa population s’est accrue, la tribu s’est fractionnée et éparpillée en de nombreuses autres. Certaines sont dans la prairie, d’autres plus à l’est dans les forêts, et moi je suis fidèle à ces deux fleuves…

— Mais, je me rends coupable de mauvaises manières, dit Jason. Comment va Mme Nuage Rouge ? C’est ce que j’aurais dû demander en premier lieu.

— Elle est heureuse. Elle a un nouveau camp à installer, alors c’est son heure de gloire.

— Et tes fils, tes petits-fils et ta descendance ?

— Nous n’avons plus que quelques petits-fils encore avec nous, répondit Nuage Rouge. Les fils et le reste des petits-fils sont avec les autres tribus. Nous en avons des nouvelles de temps à autre. Élan Rapide, mon petit-fils à la troisième génération, a été tué par un grizzli il y a à peu près un an. Un messager est venu nous le dire. En dehors de cela, tous se portent bien et sont heureux.

— J’ai de la peine pour toi, dit Jason. Élan Rapide était un petit-fils dont on pouvait être fier.

Nuage Rouge inclina la tête pour le remercier.

— Et, si j’ai bien compris, Madame Jason va bien ?

Jason hocha la tête :

— Elle passe beaucoup de temps à bavarder avec les nôtres. Elle est très douée pour cela. Beaucoup plus que moi. Pour elle, la télépathie semble être une seconde nature. Chaque soir, elle a quantité de nouvelles à me raconter. Nous sommes très nombreux, maintenant. Je n’ai aucune idée de combien nous sommes, Martha doit savoir cela mieux que moi. Elle a tout en tête, toutes les parentés, qui a épousé qui, etc., tout ce qui concerne les quelques milliers de personnes que nous sommes sûrement.

— Autrefois, il y a de nombreuses années, tu m’as dit que l’on a trouvé quelques espèces intelligentes dans l’espace, mais aucune semblable à la nôtre. Et depuis les années où nous sommes partis…

— Tu as raison, dit Jason. Aucune comme la nôtre. Il y a eu quelques contacts. Certaines espèces sont amicales, d’autres le sont moins, d’autres encore sont indifférentes à nous. Pour la plupart, elles nous sont si étrangères qu’elles nous donnent le frisson. Et il y a, bien sûr, les extra-terrestres errants qui visitent de temps en temps la Terre.

— Et c’est tout ? Pas de coopération…

— Non, ce n’est pas tout, dit Jason. Il s’est présenté un fait très troublant. Nous avons eu vent de quelque chose de très troublant – comme une mauvaise odeur apportée par le vent. Provenant de quelque part vers le centre.

— Vers le centre de quoi, Jason ?

— Le centre de la galaxie. Le cœur. Une sorte d’intelligence. Nous n’avons fait que subodorer sa présence, et c’est assez…

— Hostile ?

— Non, pas hostile. Froid. Intelligent, trop intelligent. Froid et intelligent. Analytique. Oh ! zut, je ne peux pas t’expliquer. Il n’y a aucun moyen de te l’expliquer. C’est comme si un ver de terre pouvait sentir l’intelligence d’un être humain. Et il y a même plus de différence entre lui et nous qu’entre le ver de terre et l’homme.

— Cela te fait peur ?

— Peur ? Oui, je crois. Je suis troublé, anxieux. Mon seul réconfort est de penser que nous sommes sans doute trop peu de chose pour attirer son attention.

— Alors, pourquoi t’en faire ?

— Je ne m’en fais pas trop, ce n’est pas cela. C’est seulement qu’on se sent malpropre de savoir qu’il y a quelque chose de ce genre avec soi dans la galaxie. Comme si on tombait sur une fosse de mal concentré.

— Mais ce n’est pas méchant ?

— Je ne pense pas. Je ne sais pas ce que c’est. Personne ne le sait. Nous avons tout juste flairé quelque chose…

— Ce n’est pas toi qui l’as détecté ?

— Non, d’autres l’ont fait. Deux de ceux qui sont dans les étoiles.

— Il n’y a sans doute pas de quoi se tracasser. Il faut simplement se faire tout petit. Mais quand même, je me demande si cette intelligence pouvait avoir un rapport quelconque avec le départ des Autres ? Mais cela semble peu probable. Tu n’as toujours aucune idée de la raison pour laquelle c’est arrivé, de la raison pour laquelle les Autres sont partis ?

— Aucune, dit Jason.

— Tu parlais d’extra-terrestres qui viennent sur Terre ?

— Oui, dit Jason. C’est bizarre comme ils viennent maintenant sur Terre. Ils ne sont pas nombreux, bien entendu. En tout cas, ceux dont nous connaissons la venue. Deux ou trois le siècle dernier, encore que, quand j’y réfléchis, je pense que cela fait quand même pas mal avec tout l’espace et toute la distance qu’il y a. Mais il semble qu’ils ne venaient jamais avant. Ils ne viennent que depuis le départ des Autres. Bien qu’il soit possible qu’ils soient venus avant et que personne ne les ait vus – ou en tout cas jamais reconnus pour ce qu’ils étaient. Peut-être ne les avons-nous pas vus parce que nous n’étions pas préparés à les reconnaître. Et même si nous les avions vus, nous aurions fermé les yeux. Nous aurions été gênés par la présence de quelque chose que nous ne pouvions pas comprendre, et nous les aurions donc balayés d’un geste large hors de notre vue. Nous aurions dit : « Ils ne peuvent pas être là. Ils ne sont pas là. Nous ne les avons jamais vus. », et l’histoire se serait arrêtée là.