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— Il est possible que cela se soit passé ainsi, dit Nuage Rouge. Peut-être aussi que beaucoup moins d’entre eux sont venus. Nous étions une planète turbulente, bouillonnante d’intelligence – et même quelquefois d’une sorte d’intelligence plutôt terrifiante. Quelque chose qui ressemblait peut-être à ton intelligence du centre de la galaxie, à une échelle plus petite. Enfin, nous n’étions sûrement pas le genre d’endroit qu’un extra-terrestre errant aurait choisi pour venir se reposer, car il n’aurait pas trouvé le repos. En ce temps-là, il n’y avait de repos pour personne.

— Tu as raison, bien sûr, lui répondit Jason. Nous le savons maintenant. Je suppose qu’à l’époque il n’y avait aucun moyen de le savoir. Nous sommes allés de l’avant, nous avons progressé…

— Je crois que tu as parlé avec quelques-uns des extra-terrestres errants ? demanda Nuage Rouge.

— Avec deux ou trois. Une fois, j’ai fait 900 kilomètres pour parler avec l’un d’entre eux, mais il était parti lorsque je suis arrivé. Un robot avait transmis la nouvelle. Je ne suis pas aussi doué que Martha pour cette histoire de télépathie galaxique, mais je peux parler avec les extra-terrestres – c’est-à-dire avec certains d’entre eux. Il semble que j’aie un don pour cela. Mais, quelquefois, il n’y a pas moyen de parler. Certains n’ont aucune possibilité de reconnaître les ondes sonores comme un moyen de communication et, de son côté, l’être humain n’a peut-être même pas le sens nécessaire pour identifier les signaux et les ondes mentales qui leur servent à communiquer. Avec certains autres, même si le moyen de communication existe, on ne peut pas parler, il n’y a rien dont on puisse parler, pas de sujets communs.

— Cette question des extra-terrestres errants est en partie ce qui m’amène, dit Nuage Rouge. De toute façon, je serais venu dès que je l’aurais pu, bien sûr. Mais je voulais te dire que nous avons ici un extra-terrestre, à l’entrée du ravin de Cat Den. Petit Loup l’a trouvé. Il s’est dépêché de venir me prévenir et je suis allé jeter un coup d’œil.

C’était donc cela ! pensa Jason. Il aurait dû le savoir, toute cette conversation polie et prudente sur tout et rien à l’exception de la seule chose dont il était vraiment venu lui parler, pour en arriver enfin au sujet véritable. Ils étaient ainsi, on devait s’y attendre. Sans hâte, comme autrefois, le protocole tribal, la dignité, pas de surexcitation, pas de précipitation, prendre son temps et réfléchir, dans le respect des convenances.

— Tu as essayé de lui parler ? demanda-t-il.

— Non, dit Horace Nuage Rouge. Je peux parler aux fleurs, aux cours d’eau, et ils peuvent me répondre, mais avec un extra-terrestre, je ne saurais pas comment commencer.

— D’accord, dit Jason. J’irai là-bas voir ce qu’il a derrière la tête – s’il a quoi que ce soit derrière la tête. Enfin, si j’arrive à parler avec lui. Y avait-il quelque indication de la façon dont il est venu ?

— À mon avis, c’est un téléporteur, il n’y avait aucune trace de vaisseau spatial.

— C’est souvent le cas. Même chose que pour nous.

N’importe quel genre de machine est toujours un truc encombrant. Le pouvoir de voyager dans les étoiles n’est pas nouveau, bien entendu, bien que nous l’ayons d’abord pensé. Nous avions cru faire une découverte tellement merveilleuse quand les premiers d’entre nous ont commencé à développer et à employer des pouvoirs parapsychiques. Mais ce n’était pas si merveilleux, c’était simplement que nous avions été trop occupés, en tant que race technologique, pour considérer cela. Et même si quelqu’un y avait pensé et avait essayé d’en parler, on l’aurait ridiculisé.

— Aucun d’entre nous n’a jamais voyagé dans les étoiles, dit Nuage Rouge. Je ne suis même pas sûr qu’aucun de nous ait quelque pouvoir que ce soit. Le monde dans lequel nous vivons et ses secrets nous ont tellement absorbés que nous n’avons peut-être pas mis au jour nos ressources secrètes – si nous en avons. Mais…

— Je pense que vous avez des pouvoirs et que vous les utilisez au mieux, lui répondit Jason. Vous connaissez votre environnement et vous vous identifiez à lui plus que l’homme ne l’a jamais fait. Cela doit être une sorte d’instinct psychique. Ce n’est peut-être pas aussi romantique que de voyager dans les étoiles, mais cela demande sûrement une plus grande compréhension.

— Merci de ta gentillesse, dit Nuage Rouge. Il y a peut-être du vrai dans ce que tu dis. J’ai une petite-fille belle et insensée, distante de plusieurs générations, qui vient à peine de passer sa dix-neuvième année. Peut-être te souviens-tu d’elle, Étoile du Soir ?

— Mais bien sûr ! dit Jason, enchanté. Quand je venais te rendre visite et que tu n’étais pas au camp, ou quand tu avais à faire, elle prenait soin de moi. Nous allions nous promener dans la nature et elle me montrait les oiseaux, les fleurs et d’autres merveilles des bois. Elle babillait tout le temps, d’une manière absolument délicieuse.

— Elle babille encore délicieusement, mais je me fais un peu de souci à son sujet. Je crois qu’elle a peut-être un peu le genre de pouvoir psychique de votre clan…

— Tu veux dire qu’elle peut aller dans les étoiles ?

Le visage de Nuage Rouge se plissa.

— Je ne suis pas sûr. Non, je ne pense pas. C’est peut-être autre chose. Je détecte quelque chose de bizarre en elle. Je suppose que cela m’inquiète, même si je n’en ai pas le droit. Elle a une soif de savoir que je n’ai jamais vue chez personne de mon peuple. Pas soif de connaître son monde – bien qu’elle en ait aussi le désir – mais… soif de connaître ce qui se trouve à l’extérieur de son monde, soif de connaître tout ce qui est arrivé, tout ce que les hommes ont pensé. Elle a lu tous les livres que la tribu possède, mais il y en a très peu…

Jason tendit le bras et fit un geste circulaire, montrant la pièce :

— Il y a des livres ici, dit-il. Si elle veut venir les lire. Au sous-sol, il y a d’autres pièces, bourrées jusqu’au plafond d’autres livres. Elle peut lire tous ceux qu’elle veut, mais je répugne à laisser sortir quelque livre que ce soit de cette maison. Un volume perdu serait irremplaçable.

— J’allais te le demander, j’y arrivais, dit Nuage Rouge. Merci de l’offre.

— Il me plaît qu’il y ait quelqu’un qui souhaite les lire. C’est un privilège que de les partager avec elle, je t’assure.

— Je suppose que nous aurions dû consacrer du temps aux livres, dit Nuage Rouge. Mais maintenant, il est un peu tard pour faire quoi que ce soit. Il peut encore y avoir des livres, bien sûr, quoique le temps en ait sans doute détruit la plus grande partie, j’imagine. Les intempéries et les rongeurs en sont sans doute venus à bout, et notre peuple hésite à les chercher. Nous détestons les endroits d’autrefois. Ils sont vieux, moisis, et remplis de fantômes – fantômes du passé auxquels nous n’aimons pas penser, même maintenant. Nous avons quelques livres, bien entendu, que nous gardons précieusement comme héritage du passé. Et nous mettons notre point d’honneur à apprendre à lire à chaque enfant, comme un dû au passé. Mais, pour la plupart d’entre eux, c’est une déplaisante obligation. Jusqu’à Étoile du Soir, il y en a peu qui aient pris plaisir à lire.