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Mon cœur s’arrête quelques fractions de seconde avant de repartir en accéléré. Le soleil en coffret, le sort expérimental élaboré chez moi avant de partir ! Comment est-ce que j’ai pu l’oublier ? Il était là tout ce temps, à portée de main, à la même place qu’un revolver. Un revolver qu’un cow-boy, lui, aurait utilisé depuis longtemps…

Je sors fébrilement la petite boîte de ma poche. Je peine à décoller le ruban plombé, avec mes doigts encore poisseux du sang du sorcier mort. Je la tiens bien serrée dans la main tandis que, dans un ultime effort, je me remets droit.

– Laisse tomber, je crie à l’attention de Séverin, qui en est encore à s’essuyer le visage, tu auras un succès fou au prochain bal des vampires !

Bon, il me regarde. Et il secoue la tête. C’est la provocation de trop.

Le temps d’un clignement d’yeux il sera sur moi et je serai mort.

Très bien, qu’on en finisse. Là. Maintenant !

Je lance la boîte au-dessus de ma tête alors que l’air se trouble devant moi. En même temps, je hurle un seul mot :

« Fairië, liberté ! ». Il n’en faut pas davantage pour que les particules d’or, stimulées par une aigue-marine elle-même dopée aux effluves d’aulne, jaillissent violemment du petit cercueil qui les emprisonnait.

Pendant quelques secondes, l’énergie trop longtemps contenue se déverse dans l’usine, répandant la lumière d’un torride jour d’été. Je plisse les yeux et dois même m’abriter du rayonnement avec la main. J’y suis peut-être allé un peu fort.

Séverin pense sans doute la même chose en se tordant à mes pieds. La peau de ses mains et de son visage disparaît sous les cloques. Un gargouillis inaudible s’échappe de sa gorge. Je distingue des mots comme : « Mal », « Soleil », « Aaah ». Mais je ne reste pas assez longtemps pour tout déchiffrer.

Traînant lamentablement la jambe, je récupère mes affaires éparpillées sur le sol. Tandis que le vampire gît, inerte (je lui aurais bien laissé le flacon d’après-rasage, il paraît que ça apaise les sensations de brûlure ; mais j’en ai besoin comme pièce à conviction), je parviens à regagner la sortie.

L’air froid de la nuit picote mes joues comme une caresse bienfaisante. Je ferme les yeux et prends une grande respiration.

J’ai failli mourir trois fois cette nuit. Un bandit m’a tiré dessus, un démon m’a jeté des boules de feu et un vampire m’a confondu avec un sac de frappe. Jamais je n’ai senti avec autant de plaisir l’air entrer dans mes poumons.

La seconde chose que je fais, après cet instant d’égoïsme pur totalement revendiqué, c’est chercher mon téléphone portable dans mon barda pour laisser un message sur la boîte vocale d’urgence de l’Association. Quelqu’un doit venir s’occuper de Séverin.

Avec un gros pot de Biafine !

Je n’ai aucune idée de l’heure mais il doit déjà être tard.

Très tard.

J’envisage de foncer vers l’hôpital le plus proche, seulement les questions qu’on m’y poserait immanquablement m’en dissuadent aussitôt.

Non, je vais plutôt rentrer chez moi. Prendre une douche. Compter mes côtes cassées. Soigner tout ça avec des herbes et un coup de pouce des forces élémentaires, eh oui, mon cher Watson !

Demain, au petit jour, j’irai en personne rue du Horla rendre visite à un certain armurier…

12

J’étais persuadé qu’il faudrait au moins le Samu pour m’aider à sortir du lit.

À ma grande surprise, je n’ai découvert au réveil que quelques courbatures, des muscles endoloris et une gentille collection de méchants bleus.

Soit je dispose de facultés régénératrices stupéfiantes, soit ma pommade maison à la bruyère, camomille et sauge est particulièrement efficace (je m’en suis badigeonné de la tête aux pieds cette nuit après la douche).

Ou alors – hypothèse la moins séduisante – je suis une chochotte et j’ai exagéré mes tourments d’hier soir.

Pour mon confort psychologique, c’est l’explication de la pommade que j’ai choisie.

Je suis repassé tout à l’heure à l’endroit où j’ai emprunté le scooter du jeune coq. Je l’ai laissé sur le trottoir, devant le muret où se pâmait son admiratrice, avec un billet de dix euros coincé sous la selle. Pour l’essence.

Et puis j’ai pris le métro.

Ma sacoche, nettoyée et pleine à nouveau des mille choses utiles à un sorcier en proie à la malédiction de Murphy (un édit, je le rappelle, qui définit la Loi de l’emmerdement maximum), pend de façon rassurante sur ma hanche.

Les mains enfoncées dans les poches de ma veste noire qui exhibe des râpures comme autant de blessures de guerre, j’avance, déterminé, une lueur impitoyable dans le regard.

Sept, neuf, onze. Treize rue du Horla. J’ouvre la porte de l’immeuble d’un coup de pied rageur.

– Vous êtes fou ? Vous m’avez presque fait tomber !

Je me précipite pour soutenir Mme Deglu.

– Je suis désolé, je ne vous avais pas vue.

Mme Deglu est la présidente de l’Amicale des joueuses de bingo. Une personnalité, à l’échelle du bâtiment en tout cas. Une vieille peau, aurait dit Jean-Lu. Un dragon, aurait ajouté Romu. Je crois que même Walter l’évite.

– C’est une tentative d’assassinat !

– Allons, madame Deglu, je dis en la conduisant dehors par le bras. Je vous le répète, c’est tout à fait accidentel.

— Accidentel ou pas, ce n’est pas une façon d’ouvrir les portes. Le directeur de votre centre de rééducation pour jeunes voyous va en entendre parler, croyez-moi !

– J’en suis sûr, madame Deglu, je soupire en l’abandonnant sur le trottoir.

Où j’en étais, déjà ? Ah oui : une lueur impitoyable dans le regard.

Devant la porte du local, je laisse tomber mes manières de cow-boy et je me contente de frapper poliment. Je ne sais pas comment les sorts puissants apposés sur le seuil auraient répondu à un coup de pied, même parfaitement légitime.

Clic. Je pousse la porte.

Premier obstacle : mademoiselle Rose. J’hésite à me mettre à quatre pattes pour passer discrètement devant son bureau. Mais en émettant l’hypothèse (probable) qu’elle m’entende malgré tout, elle me trouverait à genoux et ce serait embarrassant.

J’opte pour un passage rapide, une course en direction de l’ascenseur.

Deuxième obstacle : l’ascenseur lui-même. Par chance il est déjà à l’étage, sous le seau et le balai, au fond du placard. Je me rue à l’intérieur. Mademoiselle Rose, pour une raison ou une autre, n’a pas bloqué le mécanisme, ce qu’elle peut faire depuis son bureau. J’en profite et glisse entre les murs jusque dans les entrailles de l’immeuble.

Troisième obstacle : pas de troisième obstacle. Le Sphinx se trouve quelque part dans l’armurerie, prêt à subir les foudres de mon juste courroux.

Je parcours les travées et finis par dénicher l’armurier en train de (surprise) s’occuper d’un papillon de la taille d’une mouette (j’exagère mais je suis très remonté).

Il se retourne et me dévisage.

– Tiens ! Tu as survécu aux hordes de vampires, on dirait.

L’expression imperturbable de sa figure couturée me refroidit quelque peu. Pas suffisamment pour m’empêcher de sortir la bombe lacrymogène de ma besace et la jeter à ses pieds.

– Ce n’est pas grâce à vous ! Il n’y avait pas d’ail, là-dedans, seulement de l’après-rasage. J’ai aspergé un vampire avec une simple lotion ! J’ai failli y passer… Par votre faute !

J’ai presque hurlé la dernière phrase.

Il plonge son regard dans le mien. Je me raidis. Mais au lieu de la lueur glacée ou, au contraire, incendiaire à laquelle je m’attendais, j’y découvre une certaine bonhomie.

Plus effrayant encore : comme une once d’intérêt.