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Haletant, je reconnais mon agresseur. C’est l’inconnu qui me suivait hier ! Ni grand ni petit, des habits passepartout, gris, même sa tête est d’une banalité affligeante. Dans mes efforts pour rester coller à lui, j’ai aperçu au niveau de la nuque un élément de tatouage. Mais rien d’identifiable.

Je cherche désespérément des yeux du secours.

La rue derrière moi est déserte. Quant à mon acte de folle bravoure, il m’a conduit dans la ruelle, plus vide encore.

Je suis cuit.

Je vais être tué là, bêtement, par un homme dont j’ignore tout. Tué ou enlevé, c’est la seule alternative. Ça sera la surprise.

Curieusement, je le sens qui hésite. Je ne l’ai quand même pas impressionné ! Au lieu de me réduire en miettes dans un corps à corps éperdu, comme l’aurait voulu le code de l’honneur, le voilà qui sort de sa poche une sorte de Taser qu’il pointe sur moi. Ce sera l’enlèvement, alors. À moins que l’arme soit réglée pour me griller.

Lorsqu’il appuie sur la gâchette, je ferme les yeux.

Aucun dard, aucun fil, aucune décharge électrique ne me touchent.

C’est pire que ça.

Un flux d’énergie qu’il faut bien, en l’état actuel des connaissances, qualifier de mystique, vient frapper ma poitrine.

La douleur est intense, elle irradie dans mon corps tout entier.

J’ai l’impression d’être dévoré de l’intérieur, consumé par un feu de flammes froides.

Je tombe à genoux.

Mon tortionnaire s’approche et pose son arme contre ma tempe. Finalement non, ce ne sera pas l’enlèvement.

Je devrais être presque mort, à la merci de la seconde et ultime décharge. Mais l’exécuteur a oublié de prendre en compte deux éléments : le diamant autour de mon cou, qui étincelle après avoir bu une partie de l’énergie meurtrière. Et son copain de jade qui pulse comme un malade pour me redonner des forces.

Aussi, quand je me décide enfin à suivre les conseils de l’instructeur (en l’occurrence lancer brutalement la tête en avant pour échapper à la menace de l’arme et cogner du front son entrejambe pour le mettre hors de combat), je bénéficie d’un effet de surprise décisif.

L’inconnu lâche son Taser et tombe par terre en grognant.

Je n’attends pas qu’il se relève. Titubant sur mes jambes, je quitte la ruelle et me précipite (façon de parler, encore une fois) en direction de la boutique la plus proche, dans laquelle je m’engouffre avec soulagement.

Je l’ai échappé belle !

Mais c’est qui, ce malade ? Ni un Anormal ni un Paranormal, je l’aurais senti.

Il en avait après moi hier et je lui ai échappé. Il a failli prendre sa revanche aujourd’hui.

Curieusement, alors que je devrais gémir d’effroi, mon moral remonte de façon spectaculaire. Pour moi ça ne fait aucun doute : je dérange en haut lieu ! Ce qui prouve de façon définitive la valeur de mes exploits de ces derniers jours.

Je reprends mon souffle, accroupi, guettant par la porte vitrée les signes d’une poursuite éventuelle.

– Tu croyais pouvoir me gruger aussi facilement ?

La voix menaçante qui résonne dans mon dos me fait l’effet d’une douche froide. Bon sang, ils étaient plusieurs et je me suis jeté dans la gueule du loup !

Je me retourne et me redresse en prenant l’air le plus menaçant possible. Je découvre alors un petit homme entre deux âges, presque chauve, avec des grosses lunettes. Ma mimique ne l’impressionne pas, ou bien il est vraiment très myope. Tout en secouant la tête, il tapote une pancarte qui spécifie : « Vente interdite aux mineurs ». Je prends alors conscience de ce qui m’entoure et je deviens rouge comme une pivoine.

Je bégaie quelques mots d’excuse avant de sortir du magasin à reculons.

Je me suis réfugié dans un sex-shop.

À nouveau dans la rue, je marche vers le métro et sa foule rassurante, en jetant de fréquents regards derrière moi. Je ne crois pas être suivi mais je ne tiens pas à recommencer l’expérience du pistolet à énergie.

Qu’est-ce que c’était ? Avec quoi est-ce qu’il m’a assaisonné, l’autre obsédé de la matraque ? Je ne savais même pas qu’un truc pareil pouvait exister. En tout cas, le Sphinx ne me l’a jamais proposé. Sans mon collier, j’y passais.

Je frissonne longuement en me rappelant cette impression horrible de brûler de l’intérieur, sans pouvoir rien faire. Si la décharge avait duré plus longtemps ou avait été plus puissante… Brrr.

J’ai envie d’appeler mademoiselle Rose pour lui raconter mon agression. Mais je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression que ça leur fournirait, dans les bureaux, un nouveau prétexte pour m’engueuler. Et pour allonger la durée de ma peine.

Je vais attendre un peu avant d’en parler. Oui, sage décision.

Combien de temps ? Je ne sais pas, moi. Deux semaines ?

Épilogue

Je parviens je ne sais comment jusqu’au quai du métro.

Je m’assois sur un siège en plastique pas trop sale, à distance raisonnable d’une bande de racailles excitées et bruyantes. Puis je me mets à trembler de façon incontrôlable, mon cœur cognant dans ma poitrine comme un oiseau dans une volière.

Le contrecoup de mes dernières aventures. Enfin, j’imagine.

L’esprit ferme mais le corps en vrille. Comment est-ce que les médecins appellent ça, déjà ? Ah oui : je somatise. C’est tout le stress que mon cerveau a refusé d’assumer. Il s’est répandu en moi peu à peu. Jusqu’à cette crise.

Je laisse filer cinq rames avant d’être capable de grimper dans l’une d’elles.

De descendre à quelques rues de chez moi.

De me traîner jusqu’à mon immeuble.

Jusqu’à la cage d’escalier.

Plus que quelques marches et je vais enfin pouvoir m’effondrer sur mon lit. Dormir jusqu’à la semaine prochaine. Au moins !

Je sors les clés de ma poche, les introduis dans la serrure… et me rends compte que quelqu’un est entré dans l’appartement.

Quelqu’un qui n’est pas Sabrina puisque ce n’est pas l’heure à laquelle elle vient d’habitude.

Quelqu’un qui n’a pas déclenché les sorts de protection que j’ai tissés sur la porte (modestement, rien à voir avec ceux qui défendent les locaux de la rue du Horla), juste après avoir appris par Walter que l’Association était venue fouiner ici avant mon embauche.

Dans l’état où je suis, n’importe quel magicien me mangerait tout cru. Même les minables de l’usine. Mais l’idée que mon sanctuaire puisse être à nouveau fouillé, souillé par un inconnu, m’est intolérable.

Fouetté par l’adrénaline, je sors de ma sacoche de quoi affronter le profanateur et je me glisse dans l’appartement, vif comme un serpent qui aurait avalé un chat.

– Jasper ? C’est toi mon chéri ?

De saisissement, je laisse tomber mes ustensiles sur le parquet.

– Maman ? je m’exclame. Mais qu’est-ce que tu fais là ?

Les sorts sur la porte sont réglés pour laisser entrer toute la famille, Sabrina comprise.

Ma mère fait son apparition au bout du couloir. De son pas énergique elle vole jusqu’à moi, me prend dans les bras et rit.

– Surprise ! Je sais, je devais rentrer la semaine prochaine, mais la neige s’est mise à tomber si fort que le stage a été abrégé pour que l’on ne reste pas coincés ! J’ai essayé de te prévenir hier soir mais tu m’as raccroché au nez. Alors, tu es content de me voir ?

– Très, je bégaie, bien sûr. C’est juste que… je ne m’ y attendais pas.

Elle a déjà ramassé mes objets et les a posés sur une commode. Je suis sûr qu’elle a fait le tour de la maison et rangé tout ce qui avait pu échapper à la gouvernante.

Ma mère, c’est une caricature du mouvement perpétuel.

– J’ai préparé du thé, viens mon grand, me dit-elle en m’entraînant dans la cuisine.