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Elle écoutait bien, en fin de compte…

– J’expliquais à vos camarades, continue l’expert sans relever la provocation, qu’un troll est, parmi les Anormaux, le plus facile à soumettre, ce dont certains magiciens peu recommandables ne se privent pas. Je leur expliquais également à quel point un troll soumis peut s’avérer dangereux et leur exposais les deux seuls moyens à leur disposition pour se tirer d’affaire si d’aventure une telle Créature s’en prenait à eux.

– Ah.

– Comment ça, ah ?

– Ah. Juste ça. Ah.

Waouh. Comment elle arrive à rester aussi calme ? J’échange ma collection complète des Doors contre son secret…

– Je suppose que vous avez un avis sur la question…

– Quelle question ?

– Comment sauver votre peau quand un troll soumis a décidé de vous réduire en bouillie ! répète l’expert passablement énervé.

– Je suppose que la réponse que vous attendez tient en un seul mot : magie, mais, au risque de vous décevoir, celle que je choisis en nécessite deux.

– Très bien. Et quels sont ces deux mots ?

Je sens que ça va être énorme.

– Des baffes !

Énorme !

– Je vois, répond l’expert en secouant la tête.

Plantant son regard dans celui d’Ombe, il ajoute, comme un avertissement :

– Certains pensent en effet qu’assommer une Créature soumise rompt le sort. Je crains hélas que cela ne fonctionne que dans les légendes. En tout cas, personne n’a jamais témoigné de l’efficacité de cette mesure contre un troll. Je ne saurais trop vous conseiller de privilégier la mort du magicien à l’origine de la soumission. C’est moins risqué.

Je vois Ombe sourire et grogner de satisfaction.

Je réprime un frisson. Est-ce à cause de son sourire éclatant, ou du sentiment fugace et parfaitement déraisonnable que, dans un combat l’opposant à un troll, je ne miserais pas toutes mes billes sur le troll ?

Du coup, mes pensées reviennent en force vers elle.

Depuis quand est-elle arrivée dans l’Association ? En même temps que moi, je crois, ou à peu près. On ne peut pas dire qu’on est tout de suite devenus les meilleurs amis du monde. Après non plus, d’ailleurs.

Ombe est aussi distante que moi avec les autres. Avec cette différence que les autres l’indiffèrent alors que moi ils m’énervent.

Pourquoi est-ce qu’elle m’obsède à ce point ? Parce qu’elle est belle à tomber ou mystérieuse, comme je le disais ? Les deux, sans doute. Jean-Lu ajouterait, un brin sarcastique : « Parce que tu ne l’intéresses pas, imbécile ! »

Vrai aussi. Enfin, pas tout à fait.

Quand on l’observe, d’accord, on n’imagine pas qu’Ombe puisse avoir besoin de quelqu’un. Pourtant elle m’a appelé, hier soir ! Elle avait un problème et c’est vers moi qu’elle s’est tournée.

Ça cache quelque chose, non ?

Le cours s’oriente ensuite sur la morphologie des trolls et leurs habitudes alimentaires, m’obligeant à une attention plus soutenue. Le crissement effréné du stylo sur le papier, à côté de moi, m’arrache un soupir. J’en viens à regretter que l’expert ne soit pas venu faire son cours avec un vrai troll particulièrement friand de blondinets…

Au moment où le cours s’achève, le formateur me fait signe de rester. Pas de doute, je vais avoir droit à une engueulade pour mon retard.

Stoïque, alors que les autres quittent la salle, je le rejoins près du tableau.

– Jasper, c’est ça ?

Je fais oui de la tête.

– Je ne t’ai pas vu prendre de notes. Mon cours ne t’a pas intéressé ?

Je ne réponds pas directement. Je me contente de réciter la liste des (très) nombreux parasites qui aiment se nicher dans les poils du troll. Il reste silencieux, se contente de m’observer. À la fin, il hoche simplement la tête.

– Je suis chargé d’un message par ton directeur. Il aimerait que tu passes au local le plus vite possible.

Le plus vite possible, en langage walterien, ça veut dire immédiatement.

Mon estomac proteste. Occupé par les innombrables devoirs de ma double vie trépidante, je n’ai rien eu le temps d’avaler depuis le petit déjeuner. Tant pis, je m’arrêterai dans une boulangerie en allant prendre le métro.

Je tourne les talons, hésite puis finalement reviens vers lui. J’aime bien savoir, c’est un de mes défauts (et une de mes qualités).

– Votre jambe, c’est un troll ?

– Exact. Il m’a broyé le genou. Avec deux doigts.

– Je m’en doutais ! Vous vous en êtes tiré comment ?

– J’ai négocié. Par chance, il était de bonne humeur.

– Il vous a laissé la vie sauve en échange de quoi ?

L’expert tire sur son pantalon et exhibe une prothèse en résine.

– Le reste de ma jambe.

Devant mon air horrifié, il me confie :

– J’ai dit qu’un troll pouvait rattraper un cheval au galop. C’est vrai. Les Jeeps aussi, en terrain accidenté. Le problème, c’est que la poursuite dure plus longtemps et que ça attise son appétit…

Je ne suis pas certain de vouloir en savoir plus. Je bafouille un remerciement avant de battre en retraite.

Ombe m’attend derrière la porte, le dos contre le mur et les bras croisés. Encore sous le choc, je n’ai pas le temps de m’étonner de sa présence.

– Tu as vu ? je commence. Le spécialiste, là, il s’est fait bouffer la jambe par un troll !

– Si c’est toi qui lui as expliqué comment se comporter face à ce genre de bestiole, ça ne m’étonne pas.

Son ton est acerbe. Je déglutis.

– Euh, il y a un problème, Ombe ?

– Un problème ? Non, aucun problème. Juste une question : pourquoi tu m’as dit, hier, qu’on se débarrassait d’un Élémentaire de la terre avec de l’eau ?

– Ah… J’ai dit ça ? J’ai dit de l’eau ? Tu es sûre que je n’ai pas dit de l’air ?

– Je me rappelle parfaitement de ce que tu as dit, Jasper, et tu sais quoi ? assène-t-elle en pianotant sur ses biceps. J’ai failli y passer, avec tes conneries !

Je remarque alors qu’elle porte un simple tee-shirt sur son jean. Un peu léger en plein hiver ! Elle ne semble pas avoir froid. Moi non plus d’ailleurs, mais sûrement pas pour les mêmes raisons.

– Je suis désolé. J’étais persuadé… Mais on était ensemble à ce cours sur les Élémentaires, non ? Tu l’as entendu aussi bien que moi que l’air disperse la terre alors que l’eau la renforce !

Ombe ne dit rien. J’en profite pour prendre l’avantage.

– En plus, tu m’as appelé alors que j’étais en mission. Figure-toi que j’ai poursuivi – et capturé – un vampire hier soir ! Tout seul !

Je me rengorge fièrement. Ombe me dévisage avant de hausser les épaules.

– Il devait être bourré, ton vampire.

Puis elle me tourne le dos et s’éloigne rapidement, gracieuse et fluide, ses cheveux fouettant l’air et libérant une irrésistible fragrance.

Bon sang, mais qu’est-ce qu’il faut que je fasse pour l’impressionner ? C’était un vampire quoi, merde ! Et il n’était pas bourré.

Enfin, presque pas.

4

– Tu as fait du bon travail, Jasper. C’était ta première mission en solo et tu l’as réussie.

Je suis assis dans le bureau de Walter et je bois du petit-lait (traduction pour les allergiques aux locutions et autres lactophobes : j’éprouve en écoutant les paroles flatteuses de mon chef une vive satisfaction d’amour-propre !). Il faut dire qu’après la discussion avec Ombe dans ce couloir trop chauffé, j’avais soif. Principalement de reconnaissance…

– En effet, je crois utile d’ajouter en adoptant un ton exagérément modeste : coincer un vampire n’est pas chose facile. Il m’a donné du fil à retordre, l’animal, mais il a finalement trouvé son maître. Lorsque je lui ai bondi dessus, avec la vitesse du lynx et la force du lion…