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Poussé par une inspiration subite, je clique sur le navigateur et vais chercher sur un site une carte de Paris. La nature d’un chien de chasse c’est de chasser, d’un chien de garde de garder ; d’un dragon de ronchonner. Le but ultime d’un sortilège de localisation, c’est de localiser !

Gagné. Comme s’il attendait un endroit qui lui convienne pour se dégourdir les pattes (les anneaux ? les ailes ?), le ruban de brume devenu simple trait de couleur apparaît sur l’écran et gambade allégrement dans les rues de la capitale dessinées sur le plan. J’accompagne sa progression le cœur battant. Il a eu le temps de découvrir une piste avant d’être débusqué. Et il s’apprête à me la montrer.

La marque jaune quitte la rue Gibson, se faufile, renifle, remonte une trace perceptible pour lui seul, avant de s’arrêter sur le quai Damasio. À la hauteur du pont Loukianenko.

Bizarre. Il ne semble pas vouloir repartir.

Est-ce qu’il est fatigué ? Est-ce qu’il est arrivé là où il voulait aller ?

J’agrandis le plan et cherche des détails supplémentaires. Voilà ! Mon sortilège s’est lové devant le bâtiment de l’Institut médico-légal.

L’ancienne morgue de Paris.

Un tueur qui se cache au milieu des cadavres, quelle ironie ! Peut-être, simplement, qu’il travaille là-bas. En tout cas, mon serpent est formel. Et le seul moyen d’obtenir une réponse, c’est d’aller voir sur place.

— On dirait que je n’en ai pas encore fini avec les morts, ma vieille, je lance, à voix haute cette fois, à l’attention d’Ombe qui ne peut plus m’entendre.

Point final

Tu te rappelles, Ombe, la fois où tu m’as téléphoné pour que je te donne des tuyaux au sujet d’un sort de protection ? Tu allais affronter Siyah. C’est en repensant à cet épisode que je me suis rendu compte qu’on avait au moins cinq points communs tous les deux.

1 : Notre appartenance à l’Association, bien sûr. Et Walter. Et mademoiselle Rose. Et le Sphinx (ça compte quand même pour un !).

2 : Le magicien noir, avec lequel tu t’es battue, qui a failli te tuer et que tu as terrassé, comme moi quelques jours plus tard.

3 : Erglug Guppelnagemanglang üb Transgereï, le pétueux troll philosophe dont tu as fait la connaissance de façon virile (au cours d’une bagarre, je précise !), celui-là même qui est devenu mon ami et frère de clan.

4 : Les maniaques des pistolets à rayon, auxquels on a réchappé au moins deux fois. Jamais deux sans trois, annonce le dicton hun. Il s’est trompé.

5 : Notre solitude.

Je la porte tout seul sur mes épaules, maintenant.

13 rue du Horla

— Walter ?

— Oui, Rose ?

— On a un problème.

— Encore Jasper ?

— Je ne sais pas. Le sortilège de surveillance globale installé au-dessus de la ville ne fonctionne plus.

— Un sort de cette taille et de cette durée, suffisamment léger pour rester discret, est toujours instable.

— Vous pensez à une défaillance ?

— Pourquoi pas ?

— Je crois qu’il a grillé. Soumis à une surcharge d’énergie extérieure.

— C’est forcément Jasper !

— Oui et non. À mon avis, c’était involontaire.

— Soyez plus claire, Rose.

— Si ce que je pressens est exact, un affrontement magique serait à l’origine de la surcharge. La rencontre explosive de deux sortilèges qui n’avaient peut-être même pas connaissance de l’existence du nôtre.

— Hum. Inquiétant.

— Jasper est en danger, Walter.

— Je le sais, par les dieux ! Pourquoi croyez-vous que j’ai tant insisté pour qu’il reste tranquille à l’hôpital, sous surveillance ?

— Il ne nous demandera pas d’aide.

— C’est donc à nous de lui en fournir. Par tous les moyens possibles. Avec ou sans son consentement !

— J’ai envoyé un Agent avec un détecteur de magie résiduelle dans la zone où s’est produit l’incident. J’attends de ses nouvelles d’une minute à l’autre…

— Mademoiselle Rose ?

— Oui, Nina ?

— J’ai trouvé une piste. Un sortilège brumeux, si j’en crois ce qui est écrit sur l’appareil que vous m’avez donné.

— Très bien ! Tu n’as plus qu’à remonter cette piste jusqu’à sa source.

— D’accord, mais…

— Tu as un problème ?

— C’est que… je suis dans le quartier des vampires !

— Ne crains rien, le soleil sera bientôt là. Ça ira ?

— Oui. Je suis désolée d’avoir paniqué, mademoiselle Rose.

— C’est normal. C’est ta première mission, Nina !

 — Je vous contacte dès que je trouve quelque chose.

— Sois prudente.

— Pour ça, comptez sur moi !

9

La Morgue. Rebaptisée « Institut médico-légal » pour faire moins peur. Échouée sur la rive droite de la Seine, elle semble se cacher, honteuse, derrière des arbres squelettiques.

Je poireaute (ou poirote, si on est davantage fan d’Agatha Christie que de jardinage) depuis une demi-heure. Il fait complètement jour à présent. Les passants, peu nombreux, marchent le nez dans leur écharpe. Le froid est particulièrement vif, ce matin.

Les voitures, coincées dans un embouteillage sur le pont Loukianenko, avancent mètre après mètre, avec des ronflements de moteur rageurs. Des coups de Klaxon résonnent çà et là, en arrière-fond sonore.

Qu’est-ce que je vais trouver derrière ces murs ?

Un meurtrier. Qui ne s’attend sûrement pas à me voir. J’aurai au moins l’avantage de la surprise. Et de la détermination.

9 h 30. L’heure pour les visites. Les visites des corps. Je sers mon collier protecteur dans la main, vérifie que l’anneau d’énergie est toujours à mon doigt. Puis j’empoigne mes deux sacs et me dirige vers la porte principale du bâtiment en briques rouges.

J’aurais pu tenter une arrivée discrète, par une porte dérobée. Mais les sortilèges nécessaires auraient pompé mes maigres forces.

Face à l’assassin d’Ombe, je veux être en possession de tous mes moyens.

Le bonhomme de l’accueil, aussi pâle que l’ambiance du hall, me regarde de haut (avec morgue, si j’osais !). À sa décharge, mon aspect n’est guère reluisant.

— Oui-c’est-pourquoooooi ?

Je me demande un instant si mon interlocuteur est un Anormal. Certains Anormaux occupent des postes qui leur permettent de se faciliter la vie. Genre boulotter des cadavres non réclamés ou échanger des organes contre du sang frais. Mais le morguier (si, si, j’ai vérifié) que j’ai devant moi dégage un tel ennui qu’il ne peut s’agir, sans aucun doute possible, que d’un humain normal.

— Mes parents essayent de trouver une place pour la voiture, je réponds en employant le ton blasé d’un ado de base (je joue très bien l’ado de base quand je veux, sans me forcer, même !). Ils m’ont demandé de les attendre ici.

— C’est pour un retrait ?

— Ah, je ricane, j’avais pas capté que j’étais entré dans une banque !

— Je parle d’un retrait de corps, précise-t-il en pinçant les lèvres. Parce que ça va être difficile : une partie du personnel est en grève aujourd’hui.

Je hausse les épaules, comme si cette histoire m’indifférait profondément.

— J’en sais rien. J’accompagne mes parents, c’est tout. Je suis un garçon sage, poli et obéissant !