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— Fabio, mon mignon ! s’exclame la goule d’une voix éraillée mais puissante. Ça faisait longtemps… Et lui ? Ce n’est pas un vampire. Ce n’est pas un humain non plus…

— Je suis un Agent de l’Association, j’annonce après m’être raclé la gorge.

Elle recule contre le mur en feulant comme un chat.

— Je ne suis pas en mission, je précise. Je suis venu pour une affaire personnelle.

— Je ne compose pas avec ceux de ton ordre, crache-t-elle. Va-t’en ! Fabio ! Emmène-le loin d’ici ou je ne traiterai plus jamais avec toi !

Le visage du vampire s’allonge un peu plus.

— Désolé, Lucinda. Il me tient. Je dois lui obéir.

Lucinda. La goule s’appelle Lucinda. Pourquoi pas Madame Irma, tant qu’on y est ?

— Ni vous ni moi ne sommes heureux d’être là ce soir, je reprends. Faisons en sorte que ce moment soit le plus bref possible. Lucinda, j’ai besoin de votre aide.

Les yeux de la goule se rétrécissent.

— Pourquoi je t’aiderais ? demande-t-elle en grinçant des dents (trop longues et désagréablement pointues). Qu’est-ce que j’ai à gagner ?

Je ne réponds pas, me contentant de me pencher sur mon sac et d’extirper deux bocaux transparents.

Le premier (le plus grand) contient les tripes du type au Taser.

« Dégueu ! Je suis contente de ne pas être là ! Quand tu vas dévisser le couvercle, ça va refouler grave ! »

Dans le second (de la taille d’un pot à cornichons) s’agite un ver rouge vif d’une dizaine de centimètres. Des fils semblables à des racines, situés sur tout le corps, cherchent vainement une faille dans la paroi. La particularité de ce métazoaire tubicole (pour les amateurs de soupe au ver mi cel) est de ne posséder ni bouche ni estomac. Il se nourrit en enfonçant ses filaments dans les os de ses proies, pour y prélever les éléments nutritifs qu’il digère en s’aidant de bactéries symbiotiques.

Ah, encore une précision : cette variante d’Osedax (nom latin signifiant « Dévoreur d’os »), appelée Osedax empusa, ne s’attaque qu’aux morts-vivants !

En l’apercevant, la goule pousse un hurlement d’effroi et se plaque contre le mur. Je pense que c’est le moment idéal pour reprendre la parole.

— Je vous laisse le choix, Lucinda. Soit j’ouvre le grand pot et vous lisez pour moi les entrailles qu’elle renferme, soit j’ouvre le petit et je libère le dévoreur…

C’est le Livre des Ombres de l’Ami des Morts qui m’a soufflé ce ver – enfin, l’idée !

En appeler un s’est révélé un jeu d’enfant. Un pentacle, quelques bougies, deux ou trois mots d’elfique et un bol de tajine en décomposition récupéré dans la poubelle, bref, la routine pour un sorcier accompli.

Je ne peux retenir un sourire satisfait.

« Tu es content de toi ?

— Il faut bien ! Si je comptais sur les autres…

— On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, c’est ce que tu cherches à me dire ?

— Exactement ! Maintenant, laisse-moi tranquille ! Je dois rester concentré. »

— Range le dévoreur dans ton sac, gamin, m’intime Lucinda en roulant des yeux furieux. Je lirai dans tes entrailles.

— Vous voulez parler de celles qui sont dans le bocal, j’imagine, je réponds en affermissant ma prise sur l’Osedax. Dans le doute, je vais garder mon petit ami à portée de main…

Je pose les tripes sur le sol et recule d’un pas. Je me retiens pour ne pas chantonner « viens gou-goule, viens gou-goule, viens… » mais c’est inutile, car elle s’approche, récupère le pot et regagne précipitamment le fond du caveau.

Lorsqu’elle retire le couvercle, une odeur affreuse se répand dans la pièce.

« Je te l’avais bien dit !

— Ouais, Ombe. Tu l’avais senti venir…

— Ah ! ah ! »

— Tu n’aimes pas ? je demande à Fabio qui fronce le nez d’un air dégoûté. Pourtant, c’est à la mode, les tripes, en ce moment.

— À la mode de quand ?

— Laisse tomber, je conclus en me rapprochant de la porte.

Lucinda, pendant ce temps, dépiaute méticuleusement les boyaux répandus sur le sol.

— Alors ? je m’enquiers.

— Beaucoup de choses, répond-elle sans me regarder. Que cherches-tu exactement ?

— Une adresse. Un endroit où il avait l’habitude d’aller.

— Il y a un lieu qui revient fréquemment. Un hôtel. Une chambre. Le Smarra, rue Nodier. Je vois un autre homme également. Un proche. Amant ou ami. Elle se tait et lève vers moi des yeux insistants.

— C’est tout ce que tu veux savoir ?

— Oui, je réponds en remerciant mentalement les dieux. Je ne te dérangerai pas davantage.

— Et moi ? intervient Fabio. Je peux partir ?

— Tu peux partir. Une promesse est une promesse.

Comme s’il n’attendait que ça, le vampire se glisse hors du tombeau et disparaît dans la nuit.

— Merci ! je crie encore.

Je commence à ranger l’Osedax dans mon sac.

— Toi non plus, tu ne me reverras plus, je lance à la goule qui m’observe avec attention.

— Je sais. Beaucoup de gens veulent ta mort. Tu as très peu de chances de t’en sortir. Peut-être qu’on t’enterrera dans mon cimetière ! Je te réserve une attention toute particulière…

— Beaucoup de gens ? Que veux-tu dire ? je questionne en ressortant le bocal.

Je ne savais pas, jusqu’aujourd’hui, qu’on pouvait être impressionnant avec un ver à la main.

— L’ami du défunt, précise-t-elle, le regard fixé sur l’Osedax. Un mage noir, aussi. Plus un maître vampire. Et quelqu’un d’autre, que je ne parviens pas à identifier. C’est lui le plus dangereux.

— Chaque chose en son temps, je murmure entre mes dents.

— Les entrailles, me demande la goule au moment où je m’apprête à sortir. Tu ne les reprends pas ?

— C’est cadeau.

« Généreux de ta part, Jasper.

— C’est dans ma nature, Ombe, j’y peux rien.

— Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?

— Jouer les justiciers solitaires.

— Je peux venir ?

— Si tu veux. Mais tu me laisses faire à mon idée.

— Promis.

— Parole d’amie ?

— Parole de sœur. »

Prise de tête

Je voudrais revenir sur une de ces idées géniales qui germent parfois dans mon cerveau fécond.

Celle-ci m’a titillé pendant mon séjour chez les trolls et continue, depuis, de trotter dans ma tête : quel rapport existe-t-il entre les Anormaux et la magie ?

C’est le coup de l’aura d’Erglug qui m’a mis la puce à l’oreille. Les trolls ne font pas de magie. On peut même dire qu’ils y sont allergiques ! Pourtant elle s’exerce (à leur insu et indépendamment de leur volonté) lorsqu’elle les dissimule aux sens des Normaux.

Pareil pour les vampires : à ma connaissance, les buveurs de sang ne sont pas spécialement des mordus (ah ! ah !) de pratiques occultes. Mais ils vivent très vieux et sont très forts. Est-ce un legs génétique ou bien, là encore, l’intervention subtile de la magie ?

Les garous changent d’apparence et, détail qui a son importance, ne supportent pas l’argent… Bon, je touche là les limites de ma démonstration. C’est le fer qu’ils devraient craindre, plutôt (du calme les gars, j’ai pas dit Pluto), si la magie intervenait dans leur essence.