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Il s’est passé tant de choses depuis cette terrible nuit de Noël !

Un détail que je ne parviens pas à chasser surnage dans cette marée de souvenirs : je n’entends plus la voix d’Ombe dans ma tête.

Je ne peux pas affirmer que j’entendais VRAIMENT Ombe (enfin je crois), mais mon cerveau s’était accoutumé à ces étranges dialogues. J’aimais ça. Non : j’adorais !

Est-ce que son fantôme, enfin vengé, s’est définitivement évaporé ?

Ça me manque terriblement de ne plus l’entendre.

— Lâcheuse, va, je dis à voix haute.

Puis je pense à Ernest Dryden. Protégé par des sorts puissants qui empêchaient toute localisation. Pourquoi la haute magie mise en œuvre dans ce but n’est-elle pas venue à son secours, quand il s’est retrouvé en difficulté, face à moi ?

De fil en aiguille, je repense aux tatouages que le meurtrier portait dans la nuque et sur le poignet. Je les griffonne sur un bout de papier. Puis j’allume mon ordinateur et le scan, importe mes dessins sur le bureau et récupère Fafnir dans la poche du manteau jeté en boule dans un coin de la chambre.

Je branche la clé USB sur l’un des ports et attends, comme d’habitude, le bon vouloir de mon sortilège de recherche.

Fafnir apparaît sur l’ordinateur sous la forme d’un cheval. D’un cheval obèse peinant à avancer.

Qu’est-ce qu’il lui prend à ce crétin ?

Je fais bouger, avec la souris, les deux symboles sous son nez et je murmure dans le micro :

— unlocnya A tuv i ehtel& narwio tanarº

« Hunlocënya… A tuvë i ehtelë narwio tanar… Mon dragon-chien… Trouve la source de ces signes… »

Le dragon-chien à figure de cheval me regarde tristement. Puis il lève la queue et lâche sur le drapeau de pirate qui me sert de fond d’écran un chapelet de crottin.

Qui se transforment aussitôt en fichiers et se rangent sagement sur le côté.

Où est-ce que cet imbécile est allé fouiner ? Je clique sur le premier. C’est un article de journal, un journal canadien, qui parle d’un bébé trouvé dans la neige. J’ouvre les autres. Encore des articles. Bon, je glisse le tout dans un dossier auquel je donne le nom de « Ombe ». Parce que, bien évidemment, c’est sur son ordinateur que ce fouineur de Fafnir, hier, a ingurgité tout ça !

Délesté, le dragon-cheval hennit, esquisse une ruade et part au galop, disparaissant dans la nuit de l’écran.

Il ne met pas longtemps à revenir. La queue entre les jambes, si elle n’avait pas été en flammes ! De toute évidence, Fafnir s’est à nouveau heurté à un sort de protection suffisamment puissant pour l’obliger à stopper toute investigation.

Je déconnecte immédiatement l’ordinateur pour couper court aux contre-attaques éventuelles. Mon sortilège piaffe, les jambes tremblantes, tandis qu’il éteint les flammes dans un pli du drapeau. Puis il réintègre, sans que je lui dise rien, la clé, qu’il doit sûrement considérer comme sa niche, son terrier ou son écurie (je ne sais plus, avec lui).

Voilà qui est intéressant.

Il y a, quelque part, un magicien qui interdit d’être curieux. Un sorcier qui protège une organisation mais semble ignorer ses membres.

Je récapitule.

Un : Ernest Dryden et son collègue, bien qu’ils soient Normaux, prétendent travailler pour l’Association, essayent de me tuer et parviennent à… assassiner Ombe.

Deux : À en juger par la réaction de Walter, Ombe et moi sommes les principales cibles de leurs attaques. Qu’est-ce qui justifie ce choix et cet acharnement ?

Trois : Ces assassins obéissent à quelqu’un (le quelqu’un que la goule ne parvenait pas à identifier ?). Ils appartiennent à une organisation (ils en portent d’ailleurs les marques de reconnaissance), une organisation dont les secrets sont protégés par une magie puissante.

Quatre : À propos de magie… Ernest Dryden s’est montré insensible au rayon du Taser mais pas au pouvoir de ma bague. Les membres de cette organisation sont-ils immunisés contre les effets de leurs propres armes ?

Cinq : Ernest Dryden était persuadé d’agir pour une cause juste (sa sincérité était carrément flippante). Il me vouait une haine dévorante, confinant au sentiment mystique.

Six : Walter me prend pour un jambon et en sait beaucoup plus qu’il ne veut le dire (après-demain, ça sera donnant, donnant !).

Sept : Un sentiment nouveau est en train d’éclore en moi. Un mélange de frustration et d’inachèvement, de colère froide et de détermination. Je pensais venger Ombe en tuant son meurtrier. En réalité, je sais maintenant de façon lumineuse que c’est le commanditaire de sa mort, le marionnettiste et pas la marionnette, qui doit connaître un juste châtiment. Je croyais la traque achevée : elle commence…

— Jasper ?

Plongé dans mes réflexions, j’entends à peine toquer à ma porte. Ma mère entre dans la chambre.

— Le thé est servi !

— Chouette ! je réponds sans me forcer parce que l’idée d’une tasse de thé et (je croise les doigts très fort) d’une part de gâteau (et de quelques biscuits ?) me met l’eau à la bouche. Je ferme les applications en cours et j’arrive !

— Je t’accorde deux minutes.

Elle a retrouvé son sourire. Je sais qu’elle a pris le temps de passer, elle aussi, à la salle de bains. Elle est redevenue elle-même.

— Tu n’as pas froid, en tee-shirt ?

Mon pull est resté sur le lit. Je n’avais pas remarqué que j’étais en manches courtes.

— Non, ça va. J’ai même un peu chaud.

— Moi, je trouve qu’il fait froid dans cet appartement. Ça ne te dérange pas si je monte le chauffage ?

— Non, fais comme tu veux.

— Il te reste une minute, Jasper.

— Ça y est, j’ai fini, j’arrive !

Je ferme l’ordinateur et me lève. Peu importe la teneur de la discussion que nous allons avoir, ma mère et moi. Au moins elle est là, et je sais qu’elle va me consacrer du temps, en proportion de sa culpabilité que j’espère énorme !

Je me sens bien. Non, pas bien, c’est faux. Mais depuis que je sais ce qui me reste à faire, je me sens mieux. Ce n’est déjà pas si mal !

« The conflict is pure

The truth devised

The future secured

The enemy designed », je fredonne en rejoignant ma mère dans la cuisine.

Tiens, je ne savais pas que je la connaissais, celle-là. Ce n’est pas les Doors. Une rengaine entendue dans le café ce matin, sans doute…

r& matina Orë matina  - Le cœur mangé

J’ai pensé à des mots, Ombe, en m’endormant chez toi dans le salon. Ils sont pleins de cette mélancolie que les elfes ont emportée avec eux, sur les rivages gris. Je te les dédie.

###ty& hrestallo iciri& fana ciryass&,

#ty& alanti& siv i lass& sirinnen

Si I eleni nyen&ar, I ungor ahostar

Ar I tier unculav lumtl&, morni& caitar

Ar hisi& enty)a or&nya oial)

Amarn&, mte Q ir& I romta lamyuva,

Entuvuvalv i sinca ancuness&

 

Etyë hrestallo icirië fana ciryassë,

Etyë alantië sivë i lassë surinnen…

Si i eleni nyenëar, i ungor ahostar

Ar i tier undulavë lumbulë, mornië caitar

Ar hisië entupa orënya oialë !

Namaryë, Ombe ! Irë i romba lamyuva,

Vë entuvuvalvë i sinda andunessë…