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— Exact, dit Malko paisible.

M. Oeri prit l’air aussi outragé que si Malko lui avait proposé d’entretenir sur l’heure des relations incestueuses avec sa sœur.

— Altesse… euh !… Herr Linge – il appuya sur le Herr – ce que vous me demandez est absolument impossible. Impossible. Unmöglich. Il répéta le mot en allemand pour mieux se faire comprendre. Très droit sur sa chaise, il jetait maintenant sur Malko un regard noir de suspicion. Un être qui demandait une chose pareille ne pouvait être un gentleman. Pourtant, l’appât du gain était encore le plus fort. Un original peut quand même avoir de l’argent.

Il se frotta le menton et continua :

— Au sujet du dépôt que vous désirez effectuer dans notre banque… Malko l’arrêta d’un geste. Brusquement le côté sordide du personnage lui donnait la nausée. Il aurait donné n’importe quoi pour être ailleurs.

— Monsieur Oeri, continua-t-il, si je vous disais que le nom de cette personne peut sauver la vie d’une jeune fille, est-ce que vous me le donneriez ?

— Non.

Les bras croisés sur la poitrine, Herr Oeri était un mélange de Jeanne d’Arc et de garde du Rhin.

— Pour sauver une vie, insista Malko. La vie d’une personne innocente. Et j’ajoute que votre client ne le saura jamais.

— Pas pour sauver dix mille vies, Herr Linge, dit Oeri fermement. Nous avons des principes, nous autres, en Suisse. Le premier est de ne jamais trahir la confiance de nos clients.

Malko voulut tenter un dernier essai :

— Et si je faisais don à votre banque de vingt mille dollars ? L’hésitation ne dura qu’un vingt-millième de seconde :

— Non, Herr Linge.

Le directeur de la Société zurichoise de Dépôts en tremblait d’indignation. Comme si on avait profané une hostie sous ses yeux. Malko le regarda tristement :

— M. Oeri, vous allez à l’église le dimanche ? Le Suisse le regarda avec surprise :

— Non, Monsieur, au temple, je suis luthérien. Pourquoi ?

— Pour savoir si vous aviez une conscience, dit Malko. Condamner à mort quelqu’un pour préserver vos intérêts vous semble normal ? Oeri secoua la tête :

— Je ne suis pas policier, monsieur, je suis banquier. Allez raconter votre histoire à la police. Mais je dois vous dire que je leur ferai la même réponse qu’à vous. Et qu’ils n’ont aucun moyen, Dieu merci, suivant notre Constitution, de me contraindre à donner un renseignement aussi confidentiel.

Malko réfléchissait. Il était dans l’impasse. M. Oeri se ferait couper en morceaux plutôt que de donner le nom d’un de ses clients. Il fallait pourtant qu’il ait ce renseignement. Il restait une semaine pour sauver Kitty. Il reprit, très calmement :

— Herr Oeri, je ne suis ni un aventurier, ni un plaisantin. Je travaille pour un organisme officiel. En vous taisant, vous vous rendez complice d’un crime extrêmement grave : meurtre et kidnapping. Cela glissa comme de l’eau sur les plumes d’un canard.

— Herr Linge, dit le directeur beaucoup plus sèchement, ces horreurs-là ne se passent pas chez nous et j’ajoute que tous nos clients sont parfaitement honorables.

Un reste de prudence l’empêcha d’ajouter « sauf vous ». Sa bonne conscience commençait à agacer prodigieusement Malko. Herr Oeri fournit la goutte d’eau qui fit déborder le vase :

— Herr Linge, dit-il, solennellement, je ne veux pas croire que vous soyez venu me rendre visite, uniquement dans le but de me… soutirer un renseignement de cet ordre. Nous avons assez perdu de temps avec ceci. Je suis prêt à vous écouter en ce qui concerne votre dépôt.

— Il n’y a pas de dépôt, dit Malko. Je veux seulement savoir qui possède le compte 97865. Et je le saurai…

Du coup, Herr Oeri se leva, renversant sa chaise, pris d’une fureur sacrée. Il brandit un index jaune et accusateur vers son interlocuteur : moralement il l’excommuniait, le chassait du temple. Malko avait commis le pire des crimes de lèse-majesté. Il s’était moqué de l’argent.

— Sortez, monsieur, glapit-il. Sortez ou j’appelle la police. C’est une infamie. Du chantage. En quarante ans de carrière, je n’ai jamais rencontré cela. Même ces messieurs de la Gestapo n’ont pas insisté, eux. Ils étaient corrects, monsieur, plus corrects que vous.

— Il me faut ce nom, répéta Malko. À tout prix.

Il s’était levé et se mesurait du regard avec le banquier. Celui-ci trépignait sur place.

— Jamais, monsieur, jamais, cria-t-il ; vous ne l’aurez jamais ! D’ailleurs, tenez, je vais vous dire, je suis le seul à être au courant, mon registre se trouve dans le premier tiroir de mon bureau, à gauche, et voici la clef dont je ne me sépare jamais.

Il brandit sous le nez de Malko un trousseau de clefs. Geste imprudent. La seconde suivante, il regardait avec incrédulité sa main vide. Les clefs avaient disparu dans la poche de Malko. Celui-ci dit rapidement une phrase en anglais à Chris Jones qui se plaça entre la porte et le directeur. Celui-ci mit bien dix secondes à retrouver sa voix :

— Mes clefs, mes clefs, gémit-il. Linda, la police, ce sont des gangsters !

Faiblement, il tenta de se jeter contre Malko. Le bras solide de Chris Jones l’en empêcha. Il sentit quelque chose de froid contre son cou, ouvrit la bouche pour respirer. Chris Jones y enfourna immédiatement un grand mouchoir à carreaux et appuya un peu plus le canon de son Colt cobra.

Le directeur suffoquait, moitié d’indignation, moitié à cause du mouchoir. Ses yeux pleins de larmes allaient de Malko à Chris Jones.

— Herr Oeri, dit Malko, je vous demande de ne pas bouger. Il ne vous sera fait aucun mal. Nous ne sommes pas des gangsters et nous n’en voulons pas à votre argent. Seulement un petit renseignement.

Le grognement du banquier n’avait rien d’humain quand Malko franchit la porte capitonnée du salon d’attente qu’il referma soigneusement derrière lui. Pourvu que personne n’ait entendu ! Il se retrouva dans l’entrée qu’il connaissait déjà, où donnaient plusieurs portes vitrées. Un bruit de machine à écrire venait de celle de gauche. Malko frappa un coup léger et poussa le battant. Il retint un sourire de triomphe : la pin-up qui leur avait ouvert tapait dans un coin à côté d’un grand bureau vide qui ne pouvait être que celui du directeur, les jambes découvertes jusqu’à mi-cuisse par la jupe remontée.

La jeune femme leva un œil surpris sur Malko et poussa un petit cri, en tirant sur sa jupe. Élégante mais pudique.

— Fràulein Linda ?

Malko avait pris son air le plus timide et le plus charmeur à la fois. Une coulée de miel dégoulinait des yeux d’or.

La jeune fille eut l’air stupéfait et leva des yeux énormes derrière ses lunettes.

— Oui, monsieur. Mais…

— Ach ! Linda, fit Malko, très gros client conquis, je m’intéresse déjà à vous. J’ai demandé à Herr Oeri comment vous vous appeliez… Linda rougit jusqu’aux oreilles et croisa ses jambes un peu plus haut, pivotant sur son tabouret.

Elle était mûre.

— Son Altesse plaisante, fit-elle d’une voix énamourée.

Malko avança au milieu de la pièce et sortit le trousseau de clefs.

— Linda, dit-il, Herr Oeri a besoin d’un petit service. Il voudrait le registre noir qui se trouve dans le premier tiroir à gauche de son bureau, dont voici la clef.

Minute de silence. La secrétaire regarda Malko, les clefs, la porte et Malko, puis se leva et s’approcha, la poitrine haute, mais légèrement troublée. Elle prit les clefs du bout des doigts, puis s’arrêta à mi-chemin du bureau.