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— Pourquoi M. le directeur n’est-il pas venu lui-même ? fit-elle soudain, il n’aime pas que je regarde dans ses tiroirs…

Ce n’était pas encore un soupçon mais la terrible logique helvétique. Malko donna à ses yeux une expression encore plus caressante.

— C’est à cause de moi, souffla-t-il. Je voulais vous parler, à vous seule. J’ai trouvé ce petit stratagème. Et puis, Herr Oeri est très occupé avec mon secrétaire à discuter affaires. J’ai horreur de parler d’argent. Pas vous ?

— Mais pourquoi vouliez-vous me voir ? soupira Linda, faussement ingénue. Je ne vous connais pas…

Malko se rapprocha encore et effleura la main qui tenait le trousseau de clefs du bout des doigts.

— J’ai très envie de faire votre connaissance, Linda. Je n’ai pas encore d’amis à Zurich. Vous pourriez me piloter. Voulez-vous déjà dîner avec moi ce soir au Baur du Lac. Il paraît qu’ils ont reçu par avion d’Israël des homards frais. On m’en a mis deux de côté.

La poitrine de Linda se souleva langoureusement. Le Baur au Lac est l’hôtel le plus snob et le plus cher de Zurich. Et un homme qui fait venir ses homards par avion ne peut être qu’un gentleman.

— J’essaierai de venir, soupira-t-elle. Mais je ne sais pas… Malko se pencha encore et ses lèvres effleurèrent son cou ; elle frissonna sans se reculer. Au contraire, appuyée au bureau, elle se cambra un peu plus, faisant saillir une croupe ronde. Derrière ses lunettes, ses yeux avaient pris une expression toute mouillée. Avec les bas noirs, elle était finalement assez appétissante. Mais l’heure n’était pas à la bagatelle.

— Dépêchez-vous, dit gentiment Malko, en se reculant imperceptiblement, Herr Oeri va se demander ce que nous faisons…

Derrière les lunettes, les yeux reprirent un air distant. Linda avait dû penser un instant qu’il ne serait pas désagréable de faire l’amour debout dans le bureau de son patron avec un milliardaire qu’elle connaissait depuis cinq minutes. À quoi rêvent les jeunes filles… Redevenue secrétaire modèle, elle s’éloigna de Malko, choisit une clef, ouvrit un tiroir et en sortit un petit registre noir.

— Voilà, dit-elle. Je vais le porter à Herr Oeri. Coup au cœur.

Malko était déjà contre elle. D’une main, il saisit solidement le registre et de l’autre il enlaça la taille de Linda. Suffoquée, elle se laissa embrasser et, très vite rendit le baiser avec fougue, incrustant son corps dans celui de Malko. Elle tremblait et gémissait, griffant l’alpaga de son costume.

Une vraie cavale en furie.

Il eut toutes les peines du monde à rompre l’étreinte. « Maladroitement » au passage, il la décoiffa. Les lèvres entrouvertes et les joues en feu, elle était presque jolie.

— Il vaut mieux que Herr Oeri ne vous voie pas ainsi, souffla Malko. Je vais lui porter le registre moi-même.

Elle ne se défendit pas, appuyée au bureau, le ventre en avant, les yeux noyés.

Malko lui envoya un baiser du bout des doigts avant de refermer la porte. Il se sentait quand même un peu coupable. Pauvre Linda, elle allait rêver de homard et de palace jusqu’au soir. Dans l’entrée, il s’arrêta et feuilleta le registre. C’était bien ce qu’il cherchait. Une cinquantaine de pages avec un nom, une adresse et un numéro par ligne. Certains noms étaient barrés à l’encre rouge, d’autres soulignés, probablement les meilleurs clients. Malko remarqua que la plupart des patronymes avaient des consonances orientales. Il reconnut même le sigle d’un souverain moyen-oriental qui clamait partout sa foi indéfectible en la monnaie de son pays… Heureusement les numéros étaient dans l’ordre. Il trouva celui qu’il cherchait à la page sept. Une fraction de seconde pour photographier mentalement le texte et il tourna la page. Chris Jones devait s’impatienter. Pourvu que Herr Oeri n’ait pas avalé son mouchoir… et son bulletin de naissance par la même occasion.

En pensant au Suisse, Malko eut une idée. Avant d’entrer dans la salle d’attente, il arracha les deux premiers feuillets du registre et les mit dans sa poche.

Herr Oeri avait la belle couleur violette d’une pourpre cardinalice. Lorsqu’il vit le registre dans les mains de Malko il émit un très joli borborygme et se débattit désespérément sous l’étreinte de l’Américain. Malko fit signe à ce dernier d’ôter le mouchoir. Le Colt cobra restait un excellent moyen de dissuasion.

Dès que Chris le lâcha, le Suisse se précipita sur le registre que Malko lui abandonna volontiers. Une mère sauvant son enfant. Aussitôt, il pointa un index accusateur sur Malko.

— Vous l’avez lu ?

Malko inclina la tête, souriant. Herr Oeri avala sa salive :

— Je cours à la police. Immédiatement. Vous irez en prison. J’ai été attaqué chez moi, séquestré, violenté…

— Vous n’irez pas à la police, dit Malko, sans se départir de son calme. Ni maintenant ni jamais.

Herr Oeri recula d’un pas et pointa son index sur le Colt :

— Vous… vous allez me tuer ?

— Non.

— Alors, laissez-moi sortir. Je vais vous dénoncer.

Malko ouvrit lui-même la porte et s’inclina devant le directeur de la banque.

— Faites. Auf wiedersehen, Herr Oeri.

Devant cette courtoisie glaciale le Suisse recula, inquiet :

— Qu’allez-vous faire ? demanda-t-il, serrant toujours son précieux registre sur son cœur.

— Rien, dit Malko, si vous rentrez sagement dans votre bureau et si vous oubliez jusqu’à mon existence. Par contre, si vous aviez la mauvaise idée de faire un scandale quelconque, une trentaine de vos clients recevraient demain une circulaire les avertissant que le numéro de leur compte à votre banque est communiqué à leur percepteur. Même si cette menace n’est pas exécutée, la réputation de discrétion de votre banque en souffrira fâcheusement. Et la discrétion, dans votre métier, Herr Oeri, c’est bien important, nicht war ?

L’expression du directeur aurait attendri un général S.S. La bouche ouverte, il contemplait Malko comme si ce dernier avait été Belzébuth en personne.

Il ouvrit le registre, vit les pages arrachées, émit un sanglot étouffé et dit :

— Vous feriez ça ?

— Oui, dit Malko fermement. Par contre, si vous oubliez ma visite, vous avez ma parole d’honneur que ces renseignements resteront entre vous et moi. Maintenant, je dois m’en aller. Au revoir, Herr Oeri. Suivi de Chris Jones, il sortit de la pièce. Le temps d’appeler l’ascenseur, Herr Oeri était sur leurs talons, bégayant et égrotant.

Malko le repoussa fermement pour monter dans l’ascenseur. Mais le Suisse s’engagea dans l’escalier avec la vitesse d’un bobsleigh. Essoufflé et rouge, il était en bas avant eux. Toute menace avait disparu de son attitude. Il attrapa Malko par la manche quand il sortit et balbutia :

— Vous me promettez, Votre Altesse, de ne rien dire, à personne. Vous me ruineriez… N’est-ce pas, vous me promettez ?

La litanie se poursuivit tout le long du couloir. Excédé, avant de sortir dans la rue, Malko se retourna et saisit le nez du Suisse entre le pouce et l’index :

— Je vous ai déjà dit que vous aviez ma parole, Herr Oeri, dit-il sèchement. Elle vaut celle d’un banquier suisse.

Comme l’autre ouvrait la bouche pour répliquer, il imprima à sa main un brusque mouvement de torsion, arrachant un cri de douleur au directeur de la Société zurichoise de Dépôts. Des larmes plein les yeux, celui-ci regarda les deux hommes sortir dans la Bahnhofstrasse. Une journée dont il se souviendrait longtemps. Il tâta délicatement son nez endolori avant de reprendre l’ascenseur.