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Une voix rocailleuse, éraillée par l’alcool coupa la réflexion de Malko :

— Ne sont-ils pas charmants ? Ce sont mes meilleurs amis ici.

Un sourire sur ses lèvres minces, l’inconnu désignait les crocodiles.

— Docteur Karl Babor ? demanda Malko en allemand.

L’autre le regarda et éclata d’un rire strident. Les deux gorilles s’étaient rapprochés et regardaient la scène avec stupéfaction.

— Docteur Karl Babor ? répéta Malko.

Soudain, l’homme blond parut prendre conscience de la présence des trois hommes. Il dit d’une voix pâteuse, en allemand.

— Qu’est-ce que vous venez foutre ici ? L’émir est parti depuis une heure. Il m’a oublié. Il répéta avec un rien d’ironie : il m’a oublié.

— C’est vous que nous venons voir, dit Malko. Vous, le docteur Babor.

Brusquement, ce dernier sauta sur ses pieds. Ses yeux étaient pleins de haine et de fureur, avec autre chose aussi, entre la folie et le désespoir.

— Foutez le camp, hurla-t-il. Foutez le camp immédiatement.

Sans répondre, Malko commença à contourner le bassin, d’un côté tandis que les gorilles en faisaient autant de l’autre.

— Arrêtez, cria le docteur, arrêtez immédiatement ou je saute dans le bassin.

Il avait fait un saut en avant et se tenait en équilibre sur la margelle, à un mètre des deux sauriens. Malko s’arrêta. Quelque chose lui échappait. Mais il sentait l’homme prêt à exécuter sa menace. Et mort, il ne lui servait à rien.

D’un ton plus calme, le docteur Babor dit :

— Ils n’ont rien avalé depuis deux jours. Ils m’aiment bien, mais elles me mangeront quand même, ces braves petites bêtes…

— Pourquoi voulez-vous qu’elles vous mangent ? demanda Malko du ton le plus calme possible.

— Il y a des années que j’essaie de me suicider, répondit très sérieusement le docteur. Ne bougez pas ou je saute. On ne me prendra pas vivant.

— Personne ne veut vous prendre, fit Malko. Je veux seulement savoir où se trouve Kitty Hillman.

L’autre fit comme s’il n’avait pas entendu. Malko répéta :

— Docteur Babor, qu’avez-vous fait de Kitty Hillman ?

Cette fois, le médecin, toujours en équilibre sur le bord du bassin, répéta lentement :

— Kitty Hillman ? Je ne sais pas. Il y en a eu tellement… Brusquement, le visage tordu de haine, il hurla :

— Il faut les tuer, toutes, toutes ! Je les hais.

Il se calma. Subitement. Malko et les gorilles n’avaient pas bougé. Toute la scène avait quelque chose d’oppressant, de cauchemardesque. Malko dut se forcer pour répéter sa question :

— Où est Kitty Hillman, la jeune fille que vous avez enlevée il y a une semaine dans la clinique du docteur Soussan ?

Karl Babor eut une moue ironique :

— Ach, je vois, vous êtes les Américains ! Amusant, nicht war ? Vous cherchez la petite blonde ? Elle est partie, pfutt !

Une lueur de folie dans les yeux, il narguait les trois hommes. Sur l’air de Lili Marlène, il commença à chanter d’une voix affreusement fausse : Wohin ist Kitty, Vor die grossen Tür… C’en était trop pour Chris. Il sortit son Colt magnum et l’arma. Le docteur Babor vit le geste. D’un mouvement théâtral il écarta les deux bras et cria :

— Tirez. Mais tirez donc.

Il y avait quelque chose de si désespéré dans sa voix que Malko en frissonna. Quel était le terrifiant secret de cet homme qui appelait la mort de toutes ses forces ?

Malko hésitait. Soudain, le docteur Babor tituba, recula, les épaules affaissées, prêt à s’effondrer.

En un clin d’œil les gorilles furent sur lui. Mais il ne chercha même pas à lutter, et leva un regard atone sur Malko en murmurant :

— Ils m’ont laissé. Ces Arabes sont des chiens. Des… il chercha le mot – des unterhund – des sous-chiens. Lâches et peureux. Et cela fait seize ans, monsieur, que je suis avec eux, que je subis leur contact ignoble.

L’expression de son visage avait changé : il s’attendrissait sur lui-même. Il regarda Malko avec un intérêt nouveau et demanda :

— Vous êtes Allemand ?

— Autrichien.

— Vienne est une belle ville, remarqua le docteur, très mondain.

— Docteur Babor, répéta Malko toujours en allemand, où se trouve Kitty Hillman ?

Il y eut un silence interminable. Cette fois le docteur ne se mettait pas en colère.

Une lueur rusée passa dans ses yeux gris. Il attrapa Malko par le revers de son veston et lui souffla dans une haleine de whisky :

— Si je vous le dis, vous me ferez une petite faveur, mon cher camarade ?

Malko le regarda froidement. Faire une faveur à l’homme qui avait torturé Kitty Hillman était au-dessus de ses forces.

— Que voulez-vous ?

Babor se pencha encore plus et dit d’un ton suppliant :

— Que votre ami me tire une balle dans la tête… Je vous ai dit que j’aimais mes bêtes, mais elles me font peur au fond, et puis ce n’est pas propre…

— Mais…

Babor leva l’index.

— Attention, pas de faveur, pas de Kitty…

La scène aurait été grand-guignolesque s’il n’y avait eu cette atroce lueur de désespoir dans les yeux de l’homme. Malko sentit qu’il ne bluffait pas. Il voulait vraiment mourir. Et l’on n’a aucun moyen de pression contre quelqu’un qui veut mourir.

— Est-ce vous qui avez amputé Kitty Hillman, demanda-t-il ? Babor eut un geste désinvolte.

— Petite opération ! Dix minutes. J’étais très habile, avant… Malko le regarda avec dégoût puis dit :

— D’accord, docteur Babor. Vous aurez votre faveur. Où est Kitty ? Babor le regarda, très grave tout à coup et dit :

— Merci. Elle se trouve maintenant en Sardaigne, dans la propriété de l’émir…

— Mais comment l’ont-ils embarquée ? Le docteur eut un rire aigrelet.

— Dans une malle. C’est une idée d’Aziz.

Maintenant, il semblait très détendu, parlait d’une voix normale. Seuls ses yeux démesurément agrandis inquiétaient.

— Qui est Aziz ?

— Une ordure égyptienne venue pour superviser l’opération. Ces unterhund n’ont même pas confiance les uns dans les autres.

Il était intarissable, maintenant, le bon docteur Babor. Ses yeux brillaient de mépris en parlant de ses amis arabes.

— À quelle opération faites-vous allusion, docteur ? demanda Malko. L’Allemand émit un petit rire satisfait :

— Une idée des Services spéciaux égyptiens. La guerre contre Israël n’est pas finie, mon cher. Mais je ne vous en dirai pas plus, ce n’est pas dans nos conventions.

L’Egypte ! Brutalement, Malko comprit. Il examina attentivement les traits de son interlocuteur. En même temps, d’autres visages défilaient dans sa prodigieuse mémoire. Comme tous les agents de la C.I.A., il avait eu devant les yeux les photos des criminels de guerre en fuite, les plus importants. Seulement, lui ne les avait pas oubliés. Il suffisait qu’il voie un visage dix secondes pour s’en souvenir dix ans après. Il passait et repassait dans son cerveau des visages, tout en fixant celui de son vis-à-vis. Et soudain, le déclic se fit :