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L’émir Katar sonna. Il fallait absolument qu’il se change les idées. Bien sûr, il aurait pu faire liquider les deux Égyptiens. Mais après ? Tôt ou tard, une rafale de mitraillette aurait balayé sa Cadillac. Les Arabes ne sont pas souvent courageux, mais ils sont toujours rancuniers.

9

Lorsque Malko entra pour prendre sa clef, la réception minuscule de l’hôtel était envahie par une jeune géante aux longues tresses blondes, dont le corps sculptural était moulé dans un ensemble de lastex rose. Avec vingt centimètres de moins, c’eût été une vraie beauté. Pour l’instant, ses yeux bleus jetaient des éclairs et elle tapait du pied à défoncer le marbre.

— Je ne partirai pas d’ici, martela-t-elle. Vous emploierez la force s’il le faut.

Le chef de réception, un Italien bonasse, terrorisé, ne semblait pas du tout enclin à employer la force. Quant au directeur suisse, il s’épongeait le front en dépit de l’atmosphère glaciale due à une climatisation trop poussée.

— Miss Ashley, répéta-t-il, je vous jure que je n’ai pas de chambre, j’ai même donné la mienne. Je suis absolument désolé mais ce n’est pas ma faute si votre télégramme s’est égaré.

La géante retapa du pied et menaça :

— Je vais me plaindre à l’émir. C’est lui qui m’a invitée. Pour sa soirée d’après-demain.

Malko, qui se préparait à ressortir, dressa l’oreille :

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il à mi-voix au directeur. L’autre ne se fit pas prier pour raconter ses malheurs.

— Oh ! monsieur, c’est terrible ! Cette jeune fille avait retenu une chambre et nous n’avons pas eu sa réservation. Je ne sais pas où la loger. Et elle ne veut pas comprendre…

— Je vois, dit Malko, je vais essayer d’arranger les choses. Il ôta ses lunettes et s’approcha de la furie blonde.

— Mademoiselle, dit-il en anglais, permettez-moi de me présenter. Je suis le Prince Malko Linge. Puis-je vous rendre service ?

Elle le foudroya du regard :

— Vous travaillez dans cet hôtel ?

Le ton était nettement insultant. Malko remit la fessée à plus tard.

— Non, fit-il suavement. Je ne suis qu’un modeste client, qui se fera une joie de vous offrir sa chambre afin que vous ne gardiez pas un trop mauvais souvenir de la Sardaigne.

Silence de mort. Le directeur se serait jeté à genoux. Dans son coin, le réceptionniste sarde murmurait Miracolo ! miracolo ! La géante regarda Malko pour voir s’il ne plaisantait pas, eut un grand soupir devant les yeux dorés et dit :

— Mais monsieur, c’est tout à fait impossible. Où dormirez-vous ? Il eût été peu galant de lui répondre : « Avec vous ». Malko s’inclina et répliqua :

— Je me ferai une joie de partager la chambre d’un ami qui réside également dans cet hôtel.

L’imposante poitrine de la géante se souleva de reconnaissance. Elle ne portait pas de soutien-gorge et Malko pouvait voir la pointe marron de ses seins à travers le chemisier de soie. L’ensemble léger qu’elle portait la moulait comme un gant, sans que cela parût la gêner outre mesure. Elle tendit sa main à Malko :

— Je suis la comtesse Carole Ashley. J’arrive de Londres exprès pour cette soirée.

Sans perdre une minute, le directeur avait déjà fait signe à un groom de prendre les bagages de la comtesse Ashley. Celle-ci suivit, ainsi que Malko.

— Quelle soirée ? demanda Malko, pendant qu’ils cheminaient sous les interminables arcades.

Elle le regarda, surprise :

— Comment, vous n’êtes pas au courant ? Chaque année, l’émir, qui compte de nombreux amis en Europe, donne une grande soirée sur un thème donné. Cette année, ce sera une soirée psychadélique. Cela va être follement amusant. Des tas d’amis sont venus de Londres. Tous ceux du Royal Performance, d’ailleurs, il faut bien se défouler un peu.

Elle eut un rire de gorge, suprêmement distingué et un peu hystérique. Malko, qui lui arrivait à l’oreille, pensa que si elle trouvait des partenaires à sa taille, elle ne devait pas être désagréable à satisfaire. Ils arrivèrent à sa chambre. Il ouvrit et s’effaça pour la laisser passer. Une fois le groom parti, elle se planta au milieu de la pièce, les yeux brillants.

— Il faut absolument que je vous remercie, s’écria-t-elle.

— Mais vous m’avez déjà remercié, protesta Malko. Et c’est toujours une joie de rendre service à une jolie femme.

Elle le regardait, indécise. Un moment, il se demanda si elle allait essayer de le violer. Avec ces Anglaises bien élevées et sportives, on ne sait jamais. Visiblement, il ne lui déplaisait pas. Soudain le visage de Carole s’éclaira :

— Je sais !

— Quoi ? fit Malko, en train de boucler sa propre valise.

— Je vais demander à l’émir de vous inviter à sa soirée. Il ne pourra pas me refuser. Lorsqu’il était en Angleterre, la première année, c’est moi qui l’ai présenté à tout le monde, aux Guiness, aux Bedford, aux Miller, à tout ce qui compte.

Malko pensa à la tête de l’émir. C’était une noble initiative, mais légèrement déplacée.

— Vous savez, dit-il prudemment, je n’ai pas le plaisir de connaître l’émir et je n’aime pas m’imposer. De plus, je ne sors pas beaucoup.

— Mais il faut absolument venir, dit fougueusement Carole, il y aura tout le monde : les Sellers, les Burton, les…

C’était un vrai Bottin mondain. Malko la coupa gentiment :

— Où se passe donc cette soirée ? Ici ?

— Mais pas du tout. Chez l’émir. C’est la seule occasion où il laisse entrer les gens chez lui. Enfin, la soirée a lieu dehors, autour de sa piscine, ceux qui entrent, ce sont, disons… les amoureux.

Elle avait l’air beaucoup moins respectable en disant cela. Malko en prit bonne note. Soudainement, ça commençait à l’intéresser prodigieusement.

— Il doit y avoir pas mal « d’amoureux » dans ce genre de soirée, suggéra-t-il.

Carole frissonna délicieusement.

— Pas mal. Mais cette année, l’émir a prévenu que ses serviteurs arabes violeraient sans pitié toutes les invitées solitaires qu’ils trouveraient dans la maison. C’est follement excitant, n’est-ce pas ? Et si psychadélique…

— Peuh ! fit Malko qui se souvenait du géant café au lait et se souciait assez peu de commettre l’acte de chair avec lui. Mais pour Carole, il était parfait.

— Alors, c’est décidé, vous venez ? Tenez, je vais vous montrer mon costume.

Elle fouilla précipitamment dans une de ses trois valises et en sortit différents objets qu’elle étala sur le lit. Malko vit une paire de bottes noires, en cuir souple, montant très haut, une large ceinture de cuir marron, un slip et un soutien-gorge noirs en dentelle.

— C’est ce que vous mettez sous votre costume ? demanda-t-il. Carole mit le slip devant elle et dit avec beaucoup de candeur :

— Non, c’est le costume. L’émir a demandé que les femmes soient très indécentes.

Le fantôme de la reine Victoria dut faire un bond dans sa tombe. L’Angleterre avait bien changé, décidément ! Et dire que Carole avait été faire sa révérence devant Elizabeth comme toutes les débutantes, au mois de mai. Les Hippies, les Devil’s, les Angels et autres Américaines pouvaient aller se rhabiller.

Malko s’inclina et effleura la main droite de la géante :