Выбрать главу

Joe Litton grimaça un sourire.

— Parce que je pense que vous êtes du bon côté. Et que j’ai laissé un peu de mon cœur à l’O.S.S. Je m’amusais plus que maintenant. Depuis, j’ai gagné beaucoup d’argent. Même si vous transformez mon Abilène, en allumettes, je suis assuré. Alors, prenez-le.

Malko comprit qu’il ne bluffait pas. Joe, déjà loin du sujet, observait un couple qui venait d’entrer. Elle, portait une incroyable robe du soir fendue jusqu’à la hanche, lui, sanglé dans un dolman chamarré, arborait jabot de dentelle et cheveux sur les épaules.

— Tiens, Mike et Bettina sont revenus, remarqua Joe.

Ils avaient été arrêtés à Rome après une mémorable L.S.D. party. Charmant.

L’enfant de neuf ans dansait maintenant avec une fille superbe en mini-jupe mauve en imitant le balancement de ses hanches. La fille riait aux éclats.

Des gens entraient et sortaient constamment. Il y avait sur le bar une énorme coupe pleine de sangria que le barman, anglais lui aussi, versait inlassablement dans les verres qu’on lui tendait. Joe Litton semblait connaître tout le monde. La fille qu’on avait mise en prison à Rome, longue et mince, d’immenses cheveux noirs sur les épaules, nue sous sa robe noire lui sourit, plusieurs fois. Une grande femme, en pantalon et chemisier, les cheveux sur les épaules, fit son entrée et se dirigea immédiatement sur Jœ. Malko reconnut une des vedettes de la Café Society, un mannequin très connu, bien qu’ayant passé par beaucoup de mains. Elle et Joe s’embrassèrent, bavardèrent, flirtèrent quelques minutes, puis elle alla s’asseoir par terre sur une marche, regardant les danseurs. Joe soupira et confia à Malko :

— C’est terrible, chaque fois que je la vois, elle veut absolument que je vienne passer la nuit chez elle et je n’en ai pas envie. Elle est trop vieille : d’ailleurs ici c’est pareil pour tout le monde. Il n’y a que les filles de vingt ans qui ont du succès. Alors la pauvre Birgitta, elle, devient tout doucement folledingue…

Un groupe de jeunes Italiens, décharnés et fiévreux comme de jeunes loups, regardaient des filles qui dansaient ensemble. Dès que le gosse blond s’arrêta, l’un d’eux se précipita et enlaça la fille à la mini-jupe mauve.

Soudain, Malko vit apparaître Carole. De la porte, elle lui fit un grand signe, fendit la foule et vint à sa table. Elle était accompagnée d’une poignée de gentlemen aussi insignifiants que bien élevés dont Malko oublia immédiatement les noms. Carole se pencha sur lui :

— Ils me rasent, faites-moi danser.

Malko se leva, un peu intimidé. Quand il enlaça Carole, il retint un fou rire. Sa bouche arrivait exactement à la hauteur de son cou. Dieu merci, elle avait des talons plats !

Elle était outrageusement parfumée, moulée dans une robe de soie sauvage grenat. Comme par un fait exprès, et pour la plus grande joie de Malko qui préférait la valse à toute chose, le jerk fit place à une série de slows. À chaque nouveau morceau, le corps de Carole s’incrustait un peu plus contre celui de Malko. Ce que c’est que de donner sa chambre à une dame…

C’est elle qui pencha sa bouche sur Malko, d’un geste très naturel, pour un baiser profond et technique, qui se prolongea bien pendant la moitié de la danse. Personne d’ailleurs ne se souciait d’eux. Près de la porte, le petit garçon blond jouait avec un cafard mort. Un couple disparut en riant dans la salle de bains-toilettes. Ils ne ressortirent qu’une demi-heure plus tard.

Les seins de Carole s’enfonçaient dans la poitrine de Malko comme deux obus de 75. Elle ne portait toujours pas de soutien-gorge.

— Je n’ai jamais rencontré un homme aussi galant que vous, soupira-t-elle. Quel dommage que je sois avec cette bande de crétins. Lesdits crétins n’étaient pas gênants. Ils avaient entrepris la mise à sec de la cuve de sangria et semblaient en excellente voie de réussite.

— Quittez-les, suggéra Malko.

L’attrait sexuel de Carole commençait à le remuer, et puis, il n’avait jamais fait l’amour avec une géante. Si elle ne le broyait pas, cela pouvait être une expérience agréable.

— Oh ! non, cela ne se fait pas ! protesta Carole très choquée. Ils sont venus d’Angleterre pour moi. Nous nous verrons demain soir tranquillement chez l’émir.

Comme elle disait : « tranquillement » !

— À propos, dit Carole, en quoi allez-vous vous déguiser ?

— Me déguiser ?

— Bien sûr. C’est un bal psychadélique et déguisé.

Malko avait complètement oublié. Ça, c’était le comble ! Il se mit à chercher et soudain éclata de rire :

— Je vais venir en homme invisible ! annonça-t-il. Avec des bandelettes tout autour du corps. Comme ça je serai vraiment incognito !

— Bravo, fit Carole. C’est follement drôle. La musique s’arrêta. Carole se détacha de Malko et l’embrassa sur le bout du nez.

— À demain.

— À demain.

Il rejoignit Joe Litton. Celui-ci somnolait sur la table, où ils avaient dîné ; il entrouvrit un œil :

— J’ai rendez-vous avec la petite serveuse au long cou, expliqua-t-il. Mais elle termine à deux heures du matin. Alors, je prends des forces.

— Moi, je vais me coucher, dit Malko. Demain, j’ai une longue soirée. Je ne sais pas quand je vous reverrai.

Joe agita la main.

— Peut-être jamais. Bonne chance. J’espère que le bateau vous sera utile.

En se retrouvant dehors loin du bruit et de la fumée, Malko eut un moment de panique. Et si les deux tueurs l’attendaient ? Mais il reprit sa voiture sans incident. Une lueur morne et jaune éclairait le domaine de l’émir.

10

L’œil dansait un lent ballet circulaire, coupé de brusques saccades qui le projetaient en avant, d’un mouvement obscène et brutal. Par moments, il semblait se rapetisser, se froisser, s’étirer grotesquement et même ricaner.

À dix centimètres de lui la coquille de boxeur contenant les attributs sexuels d’un immense pédéraste aux membres filiformes oscillait au même rythme.

Les pieds du danseur ne bougeaient presque pas. Il était tellement long et souple qu’on aurait dit un saule pleureur agité par le vent. La tête rejetée en arrière, il dansait sur place, le ventre en avant, les yeux fermés, un rictus nerveux découvrant ses dents très blanches. Malko était fasciné par ses cheveux noirs collés dans son cou par la sueur.

La fille avait un beau visage régulier de Madone, avec une bouche presque blanche.

Son collant couleur chair imitait à s’y méprendre la nudité. Au contraire des autres participants de la soirée, elle ne s’était pas barbouillé le visage.

L’œil, peint soigneusement sur son minuscule cache-sexe blanc, était la seule tache de couleur de son déguisement. Sous les mouvements de la fille, il vivait, bougeait, s’allongeait grotesquement, semblant vouloir par instants avaler la coquille qui le narguait. On ne pouvait rien deviner des sentiments de la danseuse. D’énormes lunettes aux verres blancs dissimulaient ses yeux et la moue de ses lèvres charnues n’avait aucune expression. Ses longs cheveux noirs tombaient en cascade silencieuse sur ses épaules.

Fasciné, Malko regardait la scène par-dessus les épaules des deux Arabes au torse nu qui gardaient la voûte menant au patio où se déroulait la soirée psychadélique.

Insensiblement, l’homme et la femme se rapprochaient. Millimètre par millimètre. Ils dansaient pour eux sans se préoccuper du rythme de l’orchestre installé dans un coin du patio, sur une estrade. Maintenant, l’œil frôlait la coquille, à chaque balancement. Un frémissement parcourut le corps de l’interminable pédéraste. Il s’immobilisa, le ventre agité d’un frémissement imperceptible et leva très lentement les bras vers le ciel, vers la pleine lune. L’œil se mit à tourner de plus en plus vite, comme si les hanches de la fille avaient été montées sur roulement à billes. C’est lui qui s’approchait. On le vit encore par intermittence pendant quelques secondes. Brusquement, le pédéraste donna un coup de rein en avant. Comme télécommandée, la fille avança le ventre au même instant et l’œil resta collé à la coquille.