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À l’autre bout du fil, il y eut comme un soupir.

— Bon, dit le Président, résumons-nous. Pour une raison que nous ignorons, Foster Hillman s’est donné la mort. Il est possible que cette mort ait un rapport avec des questions de Sécurité. Que comptez-vous faire, général Radford ?

— J’ai un plan, Monsieur le Président, dit faiblement Radford, mais je ne…

— Quel est votre plan ?

Radford expliqua le plus clairement possible son idée et conclut :

— Il faut que j’aie l’autorisation de garder secrète la mort de M. Hillman.

Il y eut un long silence, puis le Président reprit :

— Qui donne cet ordre, Général ?

— Vous, Monsieur le Président, dit le général Radford.

— Général, déclara le Président sans un instant d’hésitation, faites tout ce que vous jugerez utile pour tirer au clair la mort de Foster Hillman. Jusqu’à nouvel ordre, la nouvelle de son suicide restera secrète. Bonne chance. J’aimerais des résultats rapides.

Donovan et Francis Power entendirent le déclic du Président qui raccrochait. Radford reposa le récepteur à son tour. Il avait l’air un peu moins tendu. Sans rien dire, il se leva, ouvrit la porte et fit un signe à Malko plongé dans la lecture des consignes de sécurité. Dès que ce dernier fut dans la pièce, Radford le prit par le coude et lui dit :

— S.A.S., vous allez travailler avec nous à élucider le mystère de la mort du patron. À partir de maintenant, vous vous appelez Foster Hillman.

Comme Malko le regardait avec stupéfaction, il entreprit de lui expliquer son plan, sans omettre de lui parler de la mystérieuse communication qui avait donné l’alerte. Il fallut plusieurs minutes à Malko pour faire le tour de la situation. Il n’avait pas le choix : refuser cette mission eût confirmé les autres dans leurs soupçons.

— J’espère qu’il se passera quelque chose, se contenta-t-il de dire. Foster Hillman m’a sauvé la vie il y a deux ans. J’aimerais lui rendre cela, même s’il n’en profite pas.

Le général Radford acquiesça chaleureusement : Malko lui était sympathique.

— Nous commençons demain matin. Pour débuter vous viendrez seulement ici, au bureau. Bien entendu, à partir de maintenant, vous n’avez le droit de communiquer avec personne. Vous coucherez ce soir dans une des salles de repos de l’étage ou sur cette banquette. Personne ne vous dérangera, je donnerai des ordres.

3

Malko soupira en contemplant le bleu d’architecte étalé devant lui. C’était tentant. Tentant, mais hors de prix.

L’entrepreneur qui s’occupait de la réfection de son château en Autriche lui faisait miroiter un nouveau moyen d’engloutir des sommes folles dans ses vieilles pierres. Il prétendait avoir découvert, dans les archives du village de Liezen, d’anciennes gravures représentant le château au XVIIIe siècle. Or à cette époque, le perron actuel n’existait pas, à sa place il y avait une rampe de pierre en pente très douce permettant, disait l’entrepreneur, de monter à cheval jusqu’à la galerie du premier étage ouvrant sur les salons. Le rez-de-chaussée étant alors réservé aux communs.

On suggérait donc respectueusement à Son Altesse Sérénissime le Prince Malko de reprendre ces dispositions qui ne manqueraient pas de donner un éclat particulier à cette vieille demeure. Il n’en coûterait que la bagatelle de 250.000 schillings autrichiens, environ 10.000 dollars…

Malko n’arrivait pas à détacher ses yeux de l’esquisse tracée par l’architecte. Cela avait une allure folle. Évidemment, on ne circulait plus tellement à cheval… À défaut, il pourrait toujours y faire grimper sa Jaguar. Et, de temps en temps, pour une grande fête, exiger de ses invités qu’ils viennent à cheval. L’idée lui plaisait. La pensée l’effleura une seconde que l’entrepreneur eût inventé de toutes pièces cette histoire pour lui soutirer un peu plus d’argent, sachant l’amour qu’il portait à son château : le parc étant resté en Hongrie, il avait à cœur de restaurer au mieux les bâtiments. Mais le fidèle Krisantem l’aurait découpé en morceaux pour une telle félonie… Il sortit donc son stylo et écrivit en marge du bleu : « d’accord ». Puis il signa.

Il n’y avait plus qu’à gagner les 10.000 dollars. Parce que Son Altesse Sérénissime devait garnir sa cassette à la sueur de son front, ou plutôt de sa matière grise.

Sans la C.I.A., son château serait encore un tas de ruines. Malko y engloutissait les sommes coquettes versées par le Trésor américain, pour ses nombreuses missions. C’était son seul but dans la vie. Le château terminé, il quitterait les Services Secrets, se marierait et vivrait paisiblement.

Il se renversa en arrière dans le fauteuil de feu Foster Hillman. En une fraction de seconde, le château était loin et la réalité beaucoup moins drôle.

Le bureau de Foster Hillman était sinistre. On avait vidé tous les tiroirs du bureau de leur contenu confidentiel et des objets personnels de Hillman. Malko avait l’impression de jouer un personnage de Kafka. Il était donc enfermé dans ce bureau sans avoir le droit d’en sortir, sans savoir ce qu’il y attendait, sans que personne sache qui il était. Deux fois par jour, un garde, qui n’avait pas l’autorisation de lui adresser la parole, lui montait un plateau de la Cafétéria. La veille, Donovan et David Wise, son patron de la Division des Plans, étaient venus bavarder un peu avec lui. Ils avaient assisté au réglage de l’hologramme, nourri des voix de Malko et de Hillman. C’était fascinant : Malko avait appelé plusieurs personnes non prévenues, à Washington et dans l’Agence. Un fonctionnaire de la C.I.A. qui était, lui, au courant du suicide, en bégayait encore. Cette grosse boîte noire posée sur le bureau était le meilleur élément du piège. Mais pour attraper quoi et qui ? Quarante-huit heures après la mort de Foster Hillman, on n’avait pas avancé d’un pas. La perquisition au domicile du patron de la C.I.A. n’avait rien donné. L’examen de son compte en banque par les services financiers du F.B.I., sous prétexte d’un contrôle de routine, non plus. Foster Hillman n’avait que des rentrées d’argent sans mystère.

Quant à sa vie privée, c’était pareil. Des enquêteurs de Ned Donovan avaient cherché un peu partout, dans les archives des journaux et des autres agences fédérales, sans rien trouver. Foster Hillman était un homme qui avait horreur de la publicité. Lorsqu’il avait pris la direction de la C.I.A., sept ans plus tôt, il avait discrètement fait détruire tous les articles se rapportant à lui. Les autres pièces se trouvaient dans le dossier brûlé par ses soins, quelques instants avant sa mort.

Bien sûr, il comptait quelques amis intimes, mais la C.I.A. était paralysée : officiellement il n’était pas mort.

« Tout se tient, pensa Malko, et je suis bon pour vieillir dans ce bureau. »

Deux des trois téléphones étaient débranchés. Seule la ligne directe, reliée à l’hologramme, fonctionnait ; mais un standard, dans le service de Donovan, filtrait les communications, coupant immédiatement celles qui ne pouvaient avoir de rapport avec l’affaire : Malko n’avait pas à connaître les secrets de la C.I.A.

Provisoirement, le général Radford assurait la direction de l’Agence. Il était le seul, avec Donovan, David Wise et le Président, à connaître le rôle de Malko.

Celui-ci se sentait tout doucettement devenir fou. Il avait déjà passé deux nuits sur la banquette transformée en lit de camp. Donovan avait pensé à mettre un autre agent au domicile de Hillman, puis y avait renoncé. Au contraire, l’absence soudaine du chef de la C.I.A. pouvait déclencher quelque chose.

Dans son fauteuil confortable, Malko songeait à l’étrange destin de Foster Hillman. Quel drame avait pu pousser le chef du Gouvernement Invisible des U.S.A., l’homme le plus insoupçonnable du monde, à sauter par la fenêtre, un beau jour d’été ?