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— O.K. Ça vous ennuierait d’appeler un garagiste compétent afin qu’il jette un regard à ma direction ?

— Non… J’ai justement sous la main un mécanicien de première… C’est un des chefs pilotes du gouvernement…

— O.K. Lorsqu’il aura inspecté ma tire, rappelez-moi… Je suis à Ségur 07 07.

J’ajoute en me poilant :

— Vous pouvez me sonner à n’importe quelle heure de la journée, je ne sors pas !

Je raccroche. Maintenant, je suis à l’aise. Depuis ma couche douillette, je peux commencer à tirer les ficelles.

Je prends ma petite liste commencée à l’hosto. D’un œil acéré, je la compulse.

Bon, je viens de m’occuper du premier point, maintenant, passons au second…

— Dis, m’man…

— Mon grand ?

— Ça t’ennuierait de me donner un coup de main ?

— Pas du tout, de quoi s’agit-il ?

Je me recueille un instant. Puis je fais signe à Félicie de s’asseoir. En termes concis, je lui raconte notre dîner d’hier, le double meurtre (ou suicide) et tout… Elle m’écoute gravement.

— Et tu crois qu’il s’agit d’un double assassinat ?

— J’en suis persuadé.

Elle, bonne pomme, me fait les mêmes objections que Dubois. Il lui paraît évident que la mère Vignaz se soit zigouillée, puisqu’elle avait déjà tenté de le faire.

— Tu sais, Antoine, les gens qui ont dans l’idée de se détruire y parviennent toujours à un moment ou à un autre…

— Je ne te dis pas non, mais mon instinct est plus fort que la logique, que veux-tu ! J’ai reniflé beaucoup de « lieux du crime »… On sent, à la qualité de l’air, qu’il s’est passé quelque chose. C’est le cas pour l’appartement en question…

— Enfin, si tu crois…

— Oui, m’man, je crois… Et tu me connais : j’ai les dents crochetées, comme les bouledogues… Lorsque je mords dans une fesse, il faut se lever de bonne heure pour me faire lâcher prise…

Elle hoche la tête avec un petit air malheureux montrant qu’effectivement elle sait cela depuis longtemps.

— Que veux-tu que je fasse ?

— Tu vas aller à l’adresse des Vignaz pour interviewer la concierge. Elle doit savoir à quel organisme colonial appartenait son locataire lorsqu’il était en activité… Fais-toi passer pour une parente éloignée qui vient d’apprendre la catastrophe par les journaux… Elle ne se méfiera pas de toi, alors tâche de lui tirer les vers du naze au maxi, compris ? Par exemple, demande-lui si le ménage fréquentait particulièrement quelqu’un, s’il recevait beaucoup de visites, ou beaucoup de courrier… Tu vois ce que je veux dire ? Bref, bavarde…

Elle secoue affirmativement la tête.

— Je vois… Mais crois-tu que ça puisse t’être très utile ?

— Cette question ! Penses-tu que je t’enverrais au charbon pour des quetsches ?

Satisfaite, elle pose sur son chignon son bibi de paille noire orné d’un ruban de velours mité.

— Bon… à tout de suite ! Tu as l’adresse ?

Je la lui donne et elle les met.

Je ne reste pas seul longtemps. Dubois fait une entrée très remarquée, suivi de sa moitié (!).

Il est en blouse blanche et son tas de gélatine porte une robe bleue avec de la dentelle partout, qui la fait ressembler à une vache costumée.

Elle me secoue la main valide comme si elle voulait me désarticuler de cet autre côté en me promettant des petits plats inédits !

On peut lui faire confiance ! Pour aujourd’hui, elle m’annonce déjà un édredon de mer (ce qui est de circonstance) et des côtelettes pojarsky !

Elle gode en parlant. Ses yeux gélatineux s’illuminent lorsqu’elle évoque de la boustifaille. Dubois en est gêné. Il ressemble à un dompteur amenant un veau marin dressé à un imprésario.

— Tiens, coupe-t-il, je t’ai apporté les journaux, tu verras comme ils étayent bien la thèse du suicide…

— Merci…

A ce moment, le téléphone crépite. Dubois tend la pogne vers l’appareil.

— Je crois bien que c’est pour moi, dis-je.

Il écoute, esquisse un hochement affirmatif et me brandit le combiné.

— Commissaire Bourde !

Pendant que je téléphone, lui et sa baleine s’écartent de mon lit, discrètement.

— San-Antonio ? demande Mathieu Bourde.

— Soi-même, en chair et en os rafistolés !

— Dites donc, vous avez été victime d’un sabotage, hier…

— Voyez-vous !

— Il n’y avait pas besoin d’être mécanicien pour constater que votre direction avait été sciée à son entrée sous le capot… Le vandale qui a fait ça n’avait laissé qu’un mince filament, au premier braquage violent, il a cédé…

— Merci, vieux, je me doutais d’un coup de ce genre…

Je tends l’appareil à Dubois pour qu’il raccroche…

Je suis pensif, on le serait à moins. Rodin serait encore vivant je l’inspirerais…

— Tu sembles contrarié ? remarque mon pote.

Je sors de ma torpeur.

— Y a de quoi, doc… Je viens d’apprendre qu’un enfant de salaud avait scié ma direction.

Dubois ouvre le bec comme le corbak de la fable lorsqu’il a largué son calandos !

— Quoi !

Le croassement est sensationnel ; il a des dons de bruiteur, mon pote le toubib…

— Scié ta direction, répète-t-il comme s’il cherchait à se pénétrer du sens de chaque mot !

Sa pantoufle ne trouve qu’une exclamation à pousser, une exclamation aussi stupide qu’elle :

— Ce que les gens sont méchants !

Tu parles ! Si je tenais le fumarot qui m’a joué ce tour-là, il comprendrait sa douleur !

En attendant, c’est moi qui comprends la mienne ! Mon énervement m’a fait faire un faux mouvement que je paie très cher…

Je grince des dents et de la sueur pisse de mon front dans mes yeux.

— Tu souffres ? me demande Dubois.

— Salement…

— Si je savais, je te ferais une petite piqûre calmante ?

— Non, pas la peine… On prend goût à ces bonnes choses et on contracte de mauvaises habitudes. J’aime mieux en roter, mais conserver l’esprit net…

— Comme tu voudras… Mais vrai, je n’en reviens pas ! Qui a pu te faire ça ? Tu as des ennemis ?

— Un flic en a toujours…

— Evidemment… Enfin, tu t’en es bien tiré, toi qui roules toujours comme un fou !

Il me pose une compresse d’eau de Cologne sur le front et se retire avec sa grosse poubelle.

Avant de sortir de la pièce, il se retourne.

— Si j’ai un conseil à te donner, mon bon, c’est de ne pas penser à toutes ces histoires pendant quelques jours. Je te connais, bouillant comme tu es, tu vas nous faire une histoire nerveuse avant longtemps. Abandonne-toi…

— T’as raison, doc… Tiens, envoie-moi l’assistante pour me faire un peu de lecture, ça me changera les idées…

Il esquisse un geste d’assentiment. A peine est-il sorti que la poulette de tout à l’heure radine. Elle fait semblant de bouder, ce qui est très féminin. Mais dans sa Ford intérieure, elle est ravie. Seulement, les bergères ont toujours besoin de faire un peu de cinéma. Elles s’imaginent que c’est indispensable pour la bonne marche des relations.

Je la laisse prendre place à côté de moi… Je suis amorphe comme une bouteille d’eau d’Evian.

— J’espère que vous vous tiendrez correctement ? murmure-t-elle, voyant mon inertie.

Je la regarde avec une feinte surprise.

— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, murmuré-je de mon ton le plus innocent.

— Avec ça.