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— Parole !

— Oh ! menteur…

Elle me regarde avec indécision.

— Qu’ai-je fait ? je demande.

— Vous avez fini de blaguer ?

— Mais je voudrais savoir, je ne me souviens de rien, pas même vous avoir déjà vue…

Alors là, elle se renfrogne. Elle se dit que j’ai peut-être agi sous l’influence de la fièvre. Elle a l’habitude de ses accouchées, pas des bonshommes !

— Vous voulez, paraît-il, que je vous fasse la lecture ?

— Si c’est un effet de votre gentillesse.

Elle ouvre un baveux.

— La politique ou le sport ?

— Les faits divers, principalement celui qui concerne le double suicide de l’avenue Duquesne.

Elle ne fait aucune remarque, cherche le faf et se met à ligoter de sa belle voix harmonieuse qui vous chatouille la moelle épinière.

J’écoute attentivement au début. Le journaleux m’apprend qu’il n’y avait pas d’autres empreintes que celles de la mère Vignaz sur le manche du razif. On a retrouvé même le magasin où elle l’a acheté, la veille de sa mort… Donc, pas de problo… Je suis nettement ébranlé. On parle de sa tentative de suicide du mois précédent… Oui, il y a de fortes chances pour qu’elle se soit mise en l’air… On considère, avec raison sans doute, que sa mascarade dans la baignoire était la mise en scène d’une folle… Quant à son vieux, il n’y a pas de pet, il est presque impossible que quelqu’un l’ait étranglé… Le concierge mettait une ampoule neuve à la minuterie lorsque Vignaz est rentré à son domicile… Il est demeuré dans l’escalier jusqu’à l’arrivée du docteur Dubois.

Il faudrait alors admettre que l’éventuel meurtrier — s’il y en a un — habite l’immeuble !

Elle lit, lit toujours, mais je suis en panne sèche de gamberge… Mes carreaux se ferment doucement et je me mets à pioncer comme un petit coq en plâtre !

FÉLICIE AU TURBIN !

Quand je me réveille, il est deux heures, au dire de la pendulette fixée au mur… Les aiguilles noires sur le cadran blanc cisaillent un temps infiniment morne, infiniment vide… Une minuscule fenêtre me laisse voir des arbres par-dessus un muret. On n’entend plus rien. La bonne dame d’à côté a dû poser son chiare et elle se remet de ses émotions…

Je claque ma langue sur mon palais et je décide que j’ai soif. Heureusement, Félicie a disposé les flacons non loin de moi et je peux en choper sans peine un de whisky. Je le dévisse avec les dents et je m’introduis quelques centilitres du précieux breuvage dans le clappoir… C’est chaud, c’est bon, ça coule de source autorisée par la douane, et ça mettrait de l’esprit dans la cervelle d’un garçon boucher.

Je me sens des tiraillements d’estomac. M’est avis que je croquerais bien l’édredon de mer de la grosse. Son bonhomme a dû lui conseiller de me laisser pioncer. Oui, sans doute…

Les journaux sont au pied de mon lit. Ils me remettent la situation en mémoire… Suicide ?

Oui, c’est la plus logique des conclusions, il faut l’admettre. Mais alors, pourquoi m’a-t-on scié ma direction ?

Il se peut que ce sabotage n’ait rien à voir avec l’affaire. Mais il se peut aussi autre chose… Par exemple, que le criminel se soit trouvé dans l’immeuble lorsque j’y suis arrivé, appelé par mon copain le toubib. Bon, admettons… Le gars a une planque. Il me voit radiner… Il me voit repartir avec Dubois… Il se demande qui je suis, me file le train et, pendant que je discute avec mes aminches, il regarde ma plaque d’identité dans la guinde. Mon nom lui fait peur car, en toute modestie, je suis connu, et il scie ma direction.

Je soupèse cet argument. Il se tient, mais il reste fragile, car c’est duraille d’admettre qu’un assassin puisse séjourner un bon bout de moment dans la maison de ses victimes… C’est ça qui me chiffonne…

Attendez… Peut-être habite-t-il l’immeuble. Ou bien peut-être guettait-il la suite des événements, depuis sa voiture dans la rue.

Là, ça va déjà mieux !

La porte s’entrouvre légèrement et Anne-Marie, la ravissante, passe un coup de périscope sur mon lit. Constatant que je suis éveillé, elle entre.

— Bien dormi ?

— Formidable !

— Vous avez faim ?

— Oui…

— Bon, je reviens…

Elle s’éclipse. Je poursuis mon raisonnement. La conclusion du premier degré est celle-ci :

— Si le sabotage de ma voiture est consécutif à la découverte des Vignaz, c’est qu’il y a eu meurtre. Sinon, il ne prouve rien sur le plan des deux macchabées… Il se peut que ma charrette ait été bricolée depuis longtemps. J’ai bien parcouru deux kilomètres avant l’accident, j’aurais aussi bien pu en parcourir davantage… Qui sait si on ne m’a pas scié ma direction il y a plusieurs jours ? Les phénomènes de ce genre existent. Ils sont assez nombreux…

L’an dernier, un garagiste avait omis de me visser les boulons d’une roue fraîchement réparée… J’ai roulé cent bornes avant qu’elle ne se détachât… Ma direction était assez souple pour continuer de fonctionner avec un petit rien du tout !

Retour de ma belle assistante porteuse d’un plateau contenant le frichti de la baleine. Elle dépose ça sur mes genoux et je commence à jaffer en la regardant d’un œil velouté.

— Vous n’avez pas bientôt fini de me regarder ainsi ? proteste-t-elle.

— Je finirai quand vous cesserez d’être jolie comme trente-six cœurs !

Le compliment lui va droit au slip, bien qu’il ne fasse pas la preuve par neuf de ma vaste intelligence.

— Vous… Et vous me faisiez croire tout à l’heure que vous ne vous souvenez de rien.

Je réprime un petit rire moqueur.

— Dites voir, Anne-Marie, la dame d’à côté, c’est classé son numéro de reproduction ?

— Oui…

— Garçon ou fille ?

— Fille !

— Zut !

— Pourquoi ?

— L’humanité n’a pas encore fini de souffrir !

J’expédie le poisson à la salade et aux tomates de la mère Dubois (elle, c’est Dubois dont on fait les cuillers à sauce.)

D’un seul coup, ma faim que je croyais infinie tombe comme une bouse de vache.

— Vous ne mangez plus ?

— Plus faim, votre présence me suffit…

Je sirote un gorgeon de beaujolpif.

— Ça vous ennuierait de m’embrasser ?

— Comme vous y allez !

Elle vient prendre le plateau et fait un saut de côté pour éviter ma main libre à laquelle je venais de délivrer un ordre de mission. Elle sort. Y a rien à regretter, car Félicie se la radine pile à ce moment.

Elle me regarde.

— Tu es tout rouge ! Tu as de la fièvre ?

La fièvre, tu penses, c’est la nana au valseur tourbillonnant qui me l’a collée.

— Mais non !

— Prends ta température ! M. Dubois l’a dit !

— C’est pas l’heure, m’man !

Elle insiste. Je la sens tellement inquiète que je m’offre une minute de thermomètre… Le mercure ne se dilate pas dans mon armoire à deux portes car il s’arrête prudemment au 37,5.

Ma brave femme de mère est rassurée.

— Tu as fait ce que je t’ai dit ?

— Oui… Voilà.

Elle sort de son vieux sac à main une feuille de papier.

— Vignaz était sous-directeur de la Banque Franco-Américaine d’Hanoï. Il en est revenu voilà deux ans… Ils vivaient tranquilles, sa femme et lui. Elle était assez casanière et ils ne recevaient pratiquement personne. Peu de courrier également. Ils ont des petits-cousins en Alsace d’où Mme Vignaz était originaire. Ceux-ci ne venaient jamais les voir…

— Elle était vraiment siphonnée, la mère Vignaz ?