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Ses invectives vomies, il s’en va. Je suis seul pour la nuit, seul avec ce cierge à la noix dont la flamme dessine un halo jaune à travers mon drap…

J’entends la porte claquer. Un bruit de clé… Je suis seul, non seulement dans la chambre, mais aussi dans l’appartement. C’est bien ce que je pensais : l’accouchée est partie… Anne-Marie doit être de repos… Je bouge ma main libre… Elle est ankylosée et des fourmis voraces me mordent jusqu’au muscle.

J’arrive au bout d’un quart d’heure d’efforts insensés à tirer le drap… Ouf ! Je respire plus librement… Là-dessous l’air est filtré… J’aspire l’oxygène… C’est bon… J’en reveux. Mettez-m’en une caisse avec robinet, la patronne !

Le silence bourdonne dans mon crâne.

Que dois-je faire ? Essayer de les mettre ?

Il ne faut pas y songer. Une fois a suffi… Jamais je n’aurai la force de me traîner, fût-ce à la porte de ma carrée. Et puis avec quoi ouvrirais-je la porte du local ? Je tomberais en digue-digue avant d’y être parvenu ! De plus, Dubois peut survenir à tout bout de champ… Ce serait le bouquet…

Non, la sagesse me commande de limiter mon ambition et de doser mes efforts.

Mon objectif de cette nuit ? Boire un coup de whisky pour reprendre un peu plus de forces et attendre le jour…

Sacré Dubois (dont on fait les marionnettes)… Le jour où j’ai accepté son cassoulet, je ne me doutais pas de ce qui allait m’arriver…

Dire que je me suis colleté avec des chefs de gangs américains, avec des espions allemands, avec des tueurs espagnols ou italiens. J’ai vécu des minutes plus que critiques, on m’a fait le coup de la baignoire, celui de la scie mécanique… On m’a foutu le feu, balancé au jus dans un sac, cimenté avec du béton. Mais jamais encore on ne m’a amené au degré d’inanition où je me trouve ! Non, jamais ! Et c’est à un ami que je dois ça… A un homme avec qui j’étais à tu et à toi ! Tu parles ! A tue et à toi, oui ! Oh ! il est bath, ce jeu de mots ! Je vais le garder pour la couvrante !

M’arrêtant de remuer, tout mon être tendu, je reprends haleine… Ma pauvre main est enfin débarrassée des sales fourmis. Je l’allonge en tremblant vers le flacon toujours posé sur la tablette… Ce que je sucre les fraises ! Un centenaire assis sur un pic pneumatique n’aurait pas davantage la tremblote. Je parviens à empoigner la boutanche… Fort heureusement, la capsule est à peine vissée… Elle me reste dans les doigts lorsque je la touche…

J’amène la bouteille à moi et je pinte, je pinte comme un bébé tète ! C’est de l’élixir de vie qui me rentre dans le buffet…

Heureusement, le whisky ne pue pas trop… J’espère que si Dubois vient faire un tour, il ne le reniflera pas !

Je remets le bouchon et tends la bouteille vers la tablette… Je la pose. Seulement, en ramenant mon bras, je calcule mal mon élan et mon poignet heurte l’angle de la table de chevet. Ça ébranle le meuble et la bougie culbute par terre où elle s’éteint…

Ça, c’est la tuile !

J’attends, le cœur battant à toute volée. Si Dubois a perçu le choc, à l’étage au-dessous, il va radiner…

Les minutes passent. Silence intégral. Juste mon battant qui fait du zèle ! Un bout de cire sur un plancher, ça n’est pas un coup de canon !

Je me penche de mon mieux, au risque de m’écrouler sur le sol. Et, héroïque, je rafle la bougie… Les cow-boys qui, en selle sur un bourrin fougueux, cueillent des pâquerettes pour leurs nanas, ne réussissent pas un exploit supérieur à celui-ci. Je suis fier de moi.

Je me repose un bon coup, puis je plante le restant du cierge dans le godet où il était fiché… Coup d’œil amerlock, mes chéris… Il se tient droit… Naturellement je ne peux songer à l’allumer, mais Dubois ne trouvera pas surprenant qu’il se soit éteint… Un courant d’air est une chose capricieuse, ma foi !

Je me remets en position de macchabée… Le plus ardu est de ramener le drap sur moi sans qu’il fasse de pli… Après un temps infini, j’y parviens. J’espère pour ma pauvre carcasse que Dubois ne tiquera pas sur le cierge éteint.

Le whisky tourne dans mon estomac comme le grand soleil des feux d’artifice. Il me brûle l’intérieur, mais il le colmate… Il y a maintenant en moi comme un noyau de vie, un germe de forces…

Pourvu que je ne m’endorme pas !

LE FACTEUR SONNE LES CLOCHES.

Bien entendu je m’endors… Un mort qui ronfle, ça ne doit pas manquer de pittoresque. Je m’éveille en sursaut à cause d’un bruit. Aussitôt je pige que je me suis laissé aller dans les bras de l’orfèvre et j’en ai l’échine congelée de frousse…

C’est la porte d’entrée qui vient de se refermer fortement. Moi, en roupillant, je me suis dégagé du drap. Vite, j’essaie de le remonter sur ma bouille, mais bernique… Toujours cette horde de fourmis qui me boulottent ! Mes doigts ne répondent pas… J’entends des pas dans le couloir… Ils stoppent devant la lourde de ma chambre mortuaire.

Renonçant à me couvrir, je me pétrifie, yeux clos, narines pincées, bouche entrouverte comme le veut le réalisme.

On entre… C’est Dubois et Anne-Marie… Le doc pousse une exclamation.

— Regardez ! fait-il en me désignant.

Anne-Marie ne se trouble pas pour autant car elle a pigé.

— C’est le courant d’air de la porte, souligne-t-elle. Du reste, voyez : il a soufflé le cierge…

Elle rabat le drap sur mon visage…

Il me semble que le fracas de mon palpitant doit s’entendre à l’autre extrémité de Paris. Ça n’est heureusement qu’une illusion.

Dubois ne s’attache pas à ces détails insolites. Il marche en direction de la porte.

— J’ai à faire, dit-il. Vous recevrez les gens.

Et il part…

Anne-Marie retire un coin de drap, je la regarde. Elle est fraîche comme une savonnette. Elle sent bon et il y a dans son haleine toute l’ivresse des matins humides.

— Vous vous étiez endormi, je parie ? demande-t-elle.

— Oui…

— Un peu plus… Cessez de faire l’imbécile !

Elle en a de chouettes, la gosse d’amour ! Voilà que je fais l’imbécile à cette heure…

— Pourquoi n’avez-vous pas averti la police ? je demande.

— Parce que ça m’a été impossible ! Il me surveille… Je tiens à ma peau, figurez-vous… Ecoutez, restez calme.

Elle fronce le nez.

— Vous avez bu du whisky ?

— Oui…

— Charmant !

Quelle renaudeuse !

— Enfin, j’espère que les croque-morts ne s’apercevront de rien !

— Quoi !

— Ils vont venir… Pour… la mise en bière !

— Hein ?

— Il n’y a pas moyen d’éviter ça… S’ils s’aperçoivent que vous n’êtes pas mort, ils appelleront le docteur.

Son raisonnement corrobore le mien.

— Mais…

— Taisez-vous, le temps presse. Dubois est fou, j’ai compris enfin…

— Vous y avez mis le temps.

— Il se hâtera de vous expédier pour de bon, sous prétexte de vous soigner. Vous êtes sans forces…

— Sans la moindre ! Je me demande comment j’ai pu saisir la bouteille de whisky…

— Alors, vous voyez bien ? Bon, il faut que je vous dise : les types des Pompes vont venir de bonne heure… Vous vous laisserez mettre en bière… Sitôt qu’ils seront partis, je soulèverai le couvercle car je leur dirai de ne pas le visser à cause de la famille…

— Et alors ? réussis-je à bafouiller.

— Et alors, nous attendrons l’arrivée de vos collègues. Sitôt qu’ils seront là, j’en prendrai un à part et je lui raconterai la vérité !