Выбрать главу

— Le fric Vignaz-Dubois, hein ? je questionne au bout d’un moment.

Son mutisme est éloquent.

Je soupire…

— Voyez-vous, Anne-Marie, c’est la première fois que j’ai failli me faire posséder par une femme… Sans ce faux pas…

Alors elle se dresse, un pli barre son front, y met deux vilaines rides en formes d’ailes.

— Ah ! fait-elle, parce que cette constatation change quelque chose à votre amour pour moi ?

— Soyons logiques, coupé-je. Cette constatation jette un jour nouveau (et pas beau) sur votre personnalité. Au lieu de la petite étudiante éperdue de respect pour son toubib de patron, je découvre une complice…

— Voilà le vocabulaire du policier ! gouaille-t-elle.

— Vous savez ce qu’on dit à propos de ce fameux naturel qui revient à toute vibure lorsqu’on l’a chassé !

Je me lève brusquement. Nous voilà face à face, les yeux dans les yeux.

— Anne-Marie… Vous étiez la maîtresse de Dubois, comme j’avais cru le comprendre… Vous étiez sa complice… Cet idiot ne pouvait pas manigancer un coup pareil seul. Il lui fallait une volonté : il a eu celle de sa grosse femelle ! Et il lui fallait un but… Ce but, c’était vous, Anne-Marie… Il a fait tout ça pour vous. Et si j’avais mordu à l’hameçon, si j’avais couvert innocemment son double meurtre, il en aurait accompli un troisième ! Celui de sa baleine ! Osez le nier ! Il aurait foutu le camp avec vous et les millions… Et ça l’aurait bien emmouscaillé, ce pauvre raté ! Lui qui ne savait que foutre de sa peau, qu’aurait-il fait, grand Dieu, d’une jeune fille, d’une grosse fortune et d’une conscience chargée !

Elle détourne les yeux, vaincue…

Alors, la rogne me saisit. Je suis fou de rage de m’être laissé envelopper par cette pétasse ! Un peu plus et je me faisais marida par les restes à Dubois ! J’épousais une souris complice de deux meurtres et…

Je hurle :

— Et d’une tentative de meurtre !

Chose étrange, elle comprend…

— Non, non, murmure-t-elle.

— Si ! je hurle. Vous avez essayé de me buter, tous les deux. Vous le saviez qu’il me sapait, cet ignoble ! Et vous avez tenté de commettre le plus odieux de tous les crimes…

Je suis anéanti par la VÉRITÉ.

Elle m’aveugle, me fait mal aux chasses !

Pas mariole : Dubois, après l’accident qu’il avait provoqué à m’man, craignait que ces coïncidences répétées ne finissent par éveiller les soupçons… Si une fois que je serais crevé on ordonnait une autopsie, il était salement marron ! IL NE FALLAIT DONC PAS QU’IL M’EMPOISONNE ! Je devais mourir NATURELLEMENT ! Comprenez-vous ? NATURELLEMENT !

Il savait bien, parbleu, qu’il n’y avait rien dans la seringue. Rien que de la flotte… Seulement, Anne-Marie, en jouant le rôle de l’ange gardien, me faisait enfermer dans le cercueil, vivant !

Sans l’intervention de Pinaud, j’étouffais gentiment dans le pardessus en planches ! Après, on pouvait toujours la pratiquer, l’autopsie de votre petit camarade ! Pas trace de poison, et pour cause ! Il était claqué de sa belle mort, le San-Antonio bien-aimé !

— Petite salope ! fais-je. Quand tu as entendu mon collègue annoncer à Dubois qu’il était de la rousse, tu as joué ma carte pour te sauver les plumes, parce que tu avais compris que tout était scié… Et c’est pour le faire taire à jamais que tu l’as étalé, ton vieux glandulard ! Hein ? Avoue ! Mais avoue donc, roulure !

Tout en bramant, je la secoue par le corsage… Ma rogne est telle qu’il finit par être en lambeaux.

Elle est plutôt belle, ainsi… Vous parlez d’un flash, mes amis.

Ça fait ciné réaliste… On projetterait ça sur les écrans, les messieurs seraient obligés de se faire préparer du bromure !

— Eh bien, oui ! hurle-t-elle enfin ! OUI ! OUI ! J’étais une garce ! Une criminelle en puissance… Oui, c’est pour moi que Dubois a tué… Oui, je t’aurais laissé mourir…

Drôle d’idée de me tutoyer en un pareil instant.

— Mais, maintenant tout est changé ! dit-elle. Maintenant je t’aime… Ecoute, ces semaines dans le Midi… Non, tu ne peux pas comprendre, je n’avais jamais connu une vie comme ça…, un foyer.

— Arrête, tu vas tomber dans les allocations familiales !

Elle hausse les épaules.

— Si j’avais voulu, l’affaire étant classée, j’aurais pu partir n’importe où avec l’argent et me payer du bon temps. Mais non, mon amour… Je suis restée… Et je suis prête à tout pour te garder…

L’argument me frappe. Au fait, c’est vrai, rien ne l’obligeait à vivre avec nous… Rien !

Elle montre la valise !

— Emporte cet argent maudit où tu voudras.

Je lui prends le menton.

Lentement, nos bouches se soudent. Ce chemin si court et si voluptueux, elles le connaissent bien… Je crois que jamais je n’ai embrassé une femme si longuement.

Je la repousse doucement. Je la regarde bien dans les yeux et d’une voix que je sens flottante, je murmure :

— Adieu, Anne-Marie…

Elle voit qu’il n’y a plus rien à espérer. Elle ne bronche pas.

— Je me souviendrai longtemps de la chaleur de ta peau, Anne-Marie… Et du goût de tes lèvres. Le poids de ton regard va me manquer… Le soir, surtout, j’en ai peur… Je me rappellerai nos crépuscules, là-bas… nos étreintes dans les rochers… Et peut-être, dans le fond, ce que je regretterai le plus, ce seront ces vaisselles que nous faisions ensemble. Elles m’avaient doucement amené au seuil d’une vie nouvelle… Une vie qui me faisait un peu peur parce que, dans le fond, je n’étais pas fait pour elle… Et parce que je n’étais pas fait pour elle, elle m’attirait, c’est humain…

Je m’arrête, la voix nouée. J’avale un grand coup de chagrin et je dis :

— Cette valise, j’ignore son contenu. Si je le connaissais, je t’arrêterais… Peut-être pourrais-tu la porter dans une consigne de gare en prenant soin de camoufler ton aspect. Et peut-être pourrais-tu envoyer le récépissé au commissaire Mignon, Police Judiciaire, Paris…

Je me dirige vers la porte.

— Peut-être peux-tu la garder, je ne sais pas…

Je franchis le seuil sans ajouter un mot. Je crois avoir entendu le mot « adieu » dans mon dos, mais faible, comme un écho que vous apporte la brise du soir…

Dans la rue, la nuit tombe. Paris s’illumine… C’est chaque soir la même kermesse…

Je rejoins ma voiture et m’installe au volant. Machinalement je mets en route… Je tourne une rue, une autre… Je déclenche l’essuie-glace, mais ma vue reste brouillée…

Y a maldonne, les mecs… Ça n’est pas sur le pare-brise qu’il pleut !

FIN