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[Trois pages illisibles.]

…ne savions rien de ces créatures, si ce n’est qu’elles vivaient dans les entrailles de la terre comme les rondats, les petits rongeurs gris et noirs qui pullulent dans les égouts de nos cités et dont les proches cousins, les charognins, ont colonisé le continent Sud. Certains ethnologues soutiennent que les Qvals ont tenu un rôle important dans la genèse d’Ester, puisqu’ils apparaissent dans les principales cosmogonies mythiques ou scientifiques de la planète, mais leur organisation sociale, leur langage, leur évolution n’ont fait l’objet d’aucune étude officielle. Au cours du deuxième concile de son histoire, en l’an 2 de notre ère, l’Église monclale a déclaré qu’ils possédaient une forme d’intelligence intermédiaire entre l’homme et l’animal, entre l’instinct et la raison. Cet aveu d’ignorance avait le grand mérite de préserver les intérêts des colons avides d’occuper les réserves allouées aux Qvals par les gouvernements précédents, riches en ressources minérales et en nappes d’eau potable. Dans la plupart des mythes, les Qvals sont présentés comme des démons, comme les adversaires ultimes des quêtes initiatiques, comme des révélateurs de la bravoure des héros humains (je fais ici allusion à l’Amvâya kropte, à la grande Geste d’Astafer, à l’épopée des sept frères de l’Omni, à la Genèse oulibazienne et à bien d’autres récits mythologiques). Ils ont hanté l’inconscient collectif des Estériens et des Kroptes, ils ont endossé les défroques des méchantes sorcières et des monstres dans les contes enfantins, en bref ils ont servi aux hommes de repoussoirs, d’exutoires. Seuls quelques aventuriers de l’esprit ont eu l’honnêteté intellectuelle de chercher à savoir qui étaient réellement ces créatures énigmatiques. J’ai ainsi connu un moncle qui avait passé plusieurs années dans les montagnes noires et en était revenu transfiguré, comme touché par une grâce mystérieuse. Il en était également revenu muet, ou dédaigneux de toute forme de communication, et il est mort en emportant avec lui ses secrets. Aujourd’hui j’en suis arrivé à conclure que les Estériens, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur religion, quelle que soit leur culture, sont totalement passés à côté de la question qval.

Extrait du journal du moncle Artien.

Abzalon ne savait pas depuis combien de temps il errait dans les galeries. Il ne voyait pas à plus d’un pas devant lui et le dédale semblait n’avoir aucune issue. Le sang avait cessé de couler de la blessure à son flanc, la douleur à sa colonne vertébrale s’était estompée. Des cris résonnaient parfois dans l’obscurité, se répercutaient sur les parois rocheuses, s’élevaient comme des plaintes lugubres qui le glaçaient jusqu’aux os.

Il n’avait pas perdu connaissance lorsque le sol s’était subitement affaissé et qu’il était tombé trois ou quatre mètres plus bas. Les réflexes aiguisés par les incessantes parties de cache-cache avec les forces de l’ordre estériennes, il avait amorti sa chute avec les mains et roulé sur le sol. Il avait reçu de la terre sur le visage et les épaules mais par chance, et bien que l’éboulement eût continué après sa dégringolade, aucune pierre ne s’était abattue sur lui. Il s’était aussitôt relevé, avait repéré, à la lueur diffuse de Vox, les bouches de galeries, avait emprunté la première d’entre elles et s’était enfoncé en courant dans les ténèbres de plus en plus opaques. Aiguillonné par les éclats de voix et les bruits de pas de Fonch et de ses hommes, il avait enfilé les boyaux au hasard, tournant tantôt à gauche, tantôt à droite, les bras tendus pour prévenir les éventuels obstacles. Au bout d’une heure de cette fuite éperdue, il s’était rendu compte qu’un silence profond l’environnait et en avait déduit qu’il avait semé ses poursuivants. Alors seulement il avait éprouvé des remords d’avoir laissé Lœllo seul avec les tueurs et il avait décidé de rebrousser chemin.