Выбрать главу

La RDC annonce officiellement qu’elle a mis le vice-président sous les verrous. Comme par magie, le Tribunal pénal international (TPI) intervient et lui demande des comptes sur les exactions présumées de l’ALC quelques années plus tôt. Je n’ai aucun doute : Kabila a le bras diaboliquement long, il est à la baguette derrière toutes ces péripéties qui stoppent brutalement l’ascension politique de son rival.

Je me sens très mal, je vis des heures difficiles. Et les énormes regrets que j’ai alors ne m’ont pas quitté quinze ans plus tard. Avant l’arrestation de Bemba, j’étais fier de moi, persuadé d’avoir travaillé pour la paix en le convainquant d’affronter Kabila sur le terrain politique. Aujourd’hui, je me reproche d’avoir sous-estimé la capacité de nuisance de son adversaire, je me répète que j’aurais dû laisser le chef de l’Armée de libération du Congo marcher sur Kinshasa. J’ai l’impression d’avoir trahi Jean-Pierre Bemba. Je l’ai conseillé avec mon camarade pendant trois ans et il a tout perdu. Je ne suis pas le seul responsable, bien sûr. Il a aussi été trahi par les Congolais eux-mêmes, ainsi que par la communauté internationale qui l’a amené au TPI pour donner de l’air à son adversaire.

Jean-Pierre Bemba a passé de longues années derrière les barreaux — concrètement, dans une villa, mais en détention quand même — et c’est un peu à cause de moi. Entre 2010 et 2014, il a été poursuivi devant la Cour pénale internationale de La Haye, aux Pays-Bas, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis en Centrafrique en 2002 et 2003. Le chef de l’ALC a tenté de démontrer que ses troupes étant à l’époque sous le contrôle de l’armée centrafricaine, il n’était dès lors pas responsable des exactions. Le verdict du procès pour crimes contre l’humanité vient juste d’être rendu.

Aujourd’hui, Jean-Pierre Bemba est toujours en détention à La Haye. Mais alors que les juges ont peiné à se prononcer sur sa culpabilité, il doit faire face à un second procès — conséquence du premier — pour corruption de témoins. Un nouvel accident dans la carrière tumultueuse du Chairman, ainsi que le désignent ses partisans.

Je n’ai jamais reparlé à Jean-Pierre Bemba. Si je l’avais laissé marcher sur Kinshasa, c’est Joseph Kabila qui serait peut-être au TPI aujourd’hui. Est-ce de ma faute ? Ai-je mal agi ? Cette mission et sa triste fin, je la traîne aux pieds comme un boulet. Mais je suis satisfait d’avoir participé à éviter un carnage militaire — même si je regrette que les deux candidats à la magistrature suprême congolaise ne se soient pas affrontés, au final, sur le terrain des urnes. Je retiens surtout que les combattants spécialisés du SA peuvent tenir un rôle dans l’action diplomatique secrète de la France. Aujourd’hui, je constate que JPB aura pris le temps de se laisser juger. Peut-être s’est-il dit que cela serait indispensable pour envisager son retour à Kinshasa… en vainqueur. Le temps des hommes d’État se déroule sur une échelle différente de la nôtre. JPB le sait.

5

Les orpailleurs de Guyane

Milieu des années 2000. La Guyane française, qui a le mérite d’abriter une jungle épaisse et tropicale, est un terrain d’entraînement idéal et régulier pour les équipiers du CPIS. Lors de nos entraînements guérilla/anti-guérilla, un exercice se transforme soudain en mission pure et dure.

L’aventure commence pourtant de manière classique. Un hélicoptère survole la jungle, le détachement descend en rappel pour un mois d’autonomie totale dans la zone. Nous sommes une trentaine d’hommes. Au programme : survie, combat, déplacement pour une formation de hard routine. Il s’agit d’un entraînement, mais effectué dans les conditions réelles d’une véritable mission. Nous évoluons livrés à nous-mêmes en pleine forêt primaire guyanaise avec tous nos moyens, armes et munitions. Le bavardage des oiseaux tropicaux, les cris des singes hurleurs, la végétation luxuriante, les lianes… j’ai l’impression d’être à l’aube du monde. Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Nous nous déplaçons comme des fantômes, invisibles et indétectables.

Vue d’un hélicoptère, la forêt amazonienne ressemble à un brocoli géant. Le programme de la hard routine en Guyane est simple : le détachement est laissé en pleine jungle, à plusieurs heures d’hélicoptère de Cayenne, en plein milieu du brocoli. Les trois premiers jours sont épuisants, consacrés exclusivement à dégager une aire de pose hélico — au minimum trente mètres sur trente — au milieu d’une végétation si dense que même la lumière s’y infiltre avec difficulté. Trois jours, soixante-douze heures d’efforts et de sueur, c’est ce qu’il faut à une trentaine d’équipiers surentraînés, armés de quelques tronçonneuses avec un stock de chaînes impressionnant — dont des chaînes spéciales arbres de fer, une espèce locale de durs à cuire aux fibres noires particulièrement résistantes, les plus récalcitrants étant abattus à l’explosif — pour dégager une zone accessible à l’hélicoptère. Quand il peut enfin se poser, celui-ci amène la logistique, notamment des munitions supplémentaires.

En Guyane, l’entraînement aux armes est spécifique car les tirs en pleine jungle sont particulièrement dangereux. D’autant que nous n’effectuons que des tirs à balles réelles. D’ailleurs il y a eu un mort par le passé : un équipier a coupé la ligne de tir d’un de ses camarades qui ne l’a aperçu que trop tard ; il a été mortellement touché. Le tir en groupe et en mouvement s’apprend, il varie selon que le détachement mène une opération offensive ou défensive. Par exemple, en appui mutuel rétrograde, c’est-à-dire lors d’une rupture de contact en forêt, l’équipier qui fige l’ennemi fait boule de feu : il utilise toute sa puissance de feu pour maintenir l’ennemi à plat ventre. Pendant ce temps, son binôme recharge, recule, puis se met en position pour déverser à son tour un déluge de balles. Chaque boule de feu dure moins d’une minute, le temps qu’il faut pour vider un chargeur de guérilla, donc un chargeur double d’une cinquantaine de balles. Les équipiers n’arrosent pas à l’aveugle, en rafale, ils tirent avec précision en faisant des doublés : tac-tac, tac-tac, tac-tac. La méthode est précise et redoutablement efficace. La rupture de contact peut durer longtemps — nos sacs pèsent très lourd et il y a beaucoup de munitions à l’intérieur.

Lorsque la zone est dégagée et que l’hélicoptère peut enfin se poser, il amène aussi, une fois par semaine, les nouvelles de Paris. Chaque dimanche après-midi, c’est donc relâche. Steak-frites de fortune avec les produits du terroir local. Les pilotes restent pour le barbecue et l’ambiance est bon enfant. Une demi-journée de détente puis les rotors s’allument, l’hélicoptère décolle et nous retrouvons nos hamacs, nos araignées et nos serpents. La jungle est dangereuse, elle grouille d’insectes et de reptiles venimeux, de bêtes féroces. En Guyane, on a réalisé quelques superbes clichés, une action de hard routine en mouvement ici, une panthère noire photographiée à moins de dix mètres. Mais la vérité, c’est que les animaux ont encore plus peur de nous que nous n’avons peur d’eux. Ils n’attaquent que lorsqu’ils sont surpris. Je n’ai jamais été mordu ni par les araignées, ni par les serpents, ni par les fauves. Par les moustiques en revanche… Lors d’un autre entraînement quelques années plus tôt, certains équipiers ont même contracté la dengue. Ils ont traîné plusieurs semaines cette éprouvante maladie tropicale, caractérisée par des moments de fatigue extrême. Certains ne pouvaient même plus tenir debout. Pour moi aussi, l’exercice a tourné au calvaire.