Выбрать главу

La mission SNCM dure cinq ans. Elle n’est pas abandonnée mais confiée à des unités classiques, non clandestines. Une fois notre présence à bord connue, nous n’étions plus dans notre cadre. Nous avions répondu au besoin opérationnel en imaginant pouvoir rester un semestre à couvert. Passé ce délai, nous avions prévenu que nous devrions passer la main. Finalement, notre dispositif est resté réellement secret pendant deux ans, puis quelques rumeurs ont commencé à filtrer dans des médias locaux, sans doute avertis par des marins de la SNCM plus perspicaces que la moyenne.

D’autres missions nous attendent déjà ailleurs. Les tenues de marins SNCM seront conservées en sécurité par le Bureau des légendes du 11, ainsi que les petits matériels spécifiques qui trouveront sans doute une utilisation ultérieure sur d’autres théâtres d’opération…

En 1999, l’élection d’un nouveau président, Abdelaziz Bouteflika, suivie d’une loi amnistiant la plupart des combattants, sonne la fin de la guerre civile algérienne. Le conflit armé se termine par la victoire du gouvernement, puis par la reddition de l’Armée islamique du salut (AIS), branche armée du FIS, et la défaite du Groupe islamique armé en 2002. Le rétablissement des vols d’Air France à destination de l’Algérie est décidé un an plus tard. Ce qui n’empêche pas le gouvernement français de maintenir discrètement une sécurité sur les liaisons aériennes. Non pas en installant un détachement de dix hommes comme sur les navires SNCM, mais les personnes embarquées disposent de moyens techniques hors du commun — en la matière, la réalité dépasse la fiction !

La situation algérienne est-elle apaisée pour autant ? Un groupe dissident du GIA, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), créé en 1998 et basé en Kabylie, a rejeté néanmoins l’amnistie et poursuit le combat. Il vise particulièrement l’armée et la police. En 2006, le GSPC a fait allégeance à Al-Qaïda.

7

Infiltration au Kosovo

Les guerres des Balkans, au début du XXe siècle, sont à l’origine directe de la Première Guerre mondiale. Personne n’a oublié et le monde retient son souffle, moins de cent ans plus tard, lorsque la guerre du Kosovo disloque le territoire de la République fédérale de Yougoslavie — c’est-à-dire essentiellement la Serbie et le Monténégro — présidée par Slobodan Milosevic.

Le conflit débute en 1996 avec la création de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) qui lance une véritable campagne pour l’indépendance de ce territoire et sème le chaos en assassinant des dirigeants, des policiers et des gardes-frontières. Les Serbes prennent alors de sévères contre-mesures militaires. La communauté internationale réagit à la crise en 1998 suite à des allégations de massacres. La conférence de Rambouillet, l’hiver 1999, réunit la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Russie, une délégation serbe et une autre des indépendantistes kosovars pour tenter de parvenir à un accord de paix. Mais très vite, le chef du service Action, le colonel Pierre-Michel Joana, comprend que les négociations n’aboutiront pas. La guerre civile semble inévitable.

Grâce à la clairvoyance de notre chef, persuadé que les agents de la DGSE auront bientôt un rôle à jouer, les combattants spécialisés se préparent. Le colonel Joana prévoit que le gouvernement serbe, une fois quitté la table des négociations au château de Rambouillet, opérera un blocus sur l’ensemble de ses frontières, le temps de régler la situation au Kosovo. Dès lors que toutes les voies d’accès auront été coupées, il sera impossible aux autorités européennes d’avoir une quelconque vision de la réalité du terrain. Si la guerre éclate, il faudra être en mesure d’envoyer rapidement des équipes sur place pour renseigner au milieu des combats.

Le SA organise deux détachements discrets, deux équipes de deux agents du CPIS. Je me prépare avec une légende de journaliste. J’en ai déjà préparé une identique que je n’ai pas utilisée, cela me permet de gagner du temps. Pendant toute la période d’acquisition de ma nouvelle identité, je reste branché sur les médias et les sites d’information en continu. Je sens que le commandement est sur les dents : il revient constamment à la charge pour nous demander si nous sommes prêts. Je connais évidemment la légende de mon équipier, mais j’ignore celles de l’autre binôme, car je n’ai pas le besoin d’en connaître…

Comme prévu, la guerre du Kosovo éclate début 1999. La première phase du conflit dure six mois, elle est particulièrement violente. La rébellion de l’UCK est bien dotée en hommes et en matériel, mais elle affronte l’armée serbe, équipée de chars, ainsi que sa puissante police.

Immédiatement, le go du départ est donné pour mon équipier et moi. Direction le Kosovo. La mission, atypique et périlleuse, consiste à collecter du renseignement stratégique en se positionnant au centre de la crise de haute intensité qui a démarré. Durée de l’opération ? Indéterminée. Consignes de la DGSE ? « Débrouillez-vous ! Vous vous mettez au milieu du foutoir et vous nous renseignez sur ce qui se passe… » J’adore ça !

En revanche, il nous faut des moyens de communication innovants et blindés. Les grandes puissances vont focaliser toutes leurs oreilles sur le petit territoire et toute communication chiffrée sera décelée. Je demande que les services techniques travaillent d’arrache-pied sur un cryptage nouveau qui résistera suffisamment longtemps aux supercalculateurs adverses pour nous laisser au mieux le temps de finir notre mission et au minimum le temps de changer de position. Les ingénieurs du SA rejoignent ceux de la Centrale et se mettent au travail. Le résultat est stupéfiant.

Voilà, le jour du départ est arrivé. Mon ami Pierrot me jette un regard en prenant place dans l’avion. Un soupir accompagne son sourire, traduisant le sempiternel sentiment que l’on a en partant pour une destination faite d’aventures et de risques, de joies et de peines. Nul ne sait si cette guerre s’achèvera rapidement. En fait nous y resterons six mois…

Officiellement, je suis journaliste, Pierrot est photographe. Je pars avec mon matériel : carnets, stylos, appareil photo et une valise satellite. Direction Skopje, la capitale de la République de Macédoine. Pierrot, lui, est très lourdement équipé. Il transporte les moyens de communication. Il faut préciser que mon ami est aussi radiographiste, ce qui pourrait nous servir en cas de panne informatique.

Le premier objectif consiste à passer la frontière qui sépare la Macédoine du Kosovo pour nous rendre à un rendez-vous avec un contact de l’UCK. Son nom nous a été livré par la Centrale. Lors des négociations de Rambouillet quelques mois plus tôt, les « diplomates » de la DGSE ont expliqué aux militaires de l’UCK qu’il pourrait leur être utile de réceptionner des agents du SA. Les rebelles kosovars n’avaient aucun intérêt à jouer le secret, ni à cacher quoi que ce soit puisqu’ils se présentaient justement comme les victimes. Le deal était le suivant : « Si vous êtes pris pour cible et harcelés, la France souhaite le constater de ses propres yeux. » L’UCK ne pouvait pas se permettre de refuser.

Nous sommes à Skopje depuis quelques jours. C’est l’hiver, les montagnes sont blanches, l’air glacial. Les frontières entre la Macédoine et le Kosovo ont été fermées à double tour par les Serbes, totalement hermétiques. De chaque côté, les forces armées macédoniennes et serbes patrouillent en permanence, fusil-mitrailleur à l’épaule. Il y a des fils barbelés, des mines, des mitrailleuses lourdes en haut des miradors et des postes de contrôle qui ponctuent la frontière.