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— Je vous en prie, fait-il, ces dames ont pris le premier vol pour New York.

— Vous êtes un concierge extrêmement coopératif, le complimenté-je-t-il ; je ferai part de ma satisfaction à la direction.

— C’est très aimable à vous, monsieur.

— Une ultime question, mon cher ami ; à quel moment les personnes en question vous ont-elles chargé de réserver leurs billets ?

— Tard dans la soirée. La jeune femme est rentrée sur le coup de minuit environ ; elle était très décoiffée et paraissait surexcitée. C’est elle, elle qui m’a prié de retenir ce vol du matin. Je me suis permis de lui demander si quelque chose de fâcheux lui était arrivé, alors elle a souri et m’a dit : « Non, au contraire, mais il est indispensable que nous rentrions, ma grand-mère et moi. ».

Il accepte tout de même, malgré sa haute moralité, le troisième talbin que je lui tends.

* * *

Il profère des phrases incohérentes, d’un ton saccadé, avec des sanglots dans la glotte.

Il balbutie :

— Il faut me pardonner, ma biche : elle suçait si merveilleusement ! Toi, tu n’as jamais voulu prendre ma queue dans ta bouche, prétextant que ça te flanquerait mal au cœur. Mais il y a des femmes qui raffolent de ça, ma très belle. Des femmes pour qui l’amour commence par cela. Ont-elles raison ? Oui, je le crois. C’est une démarche si généreuse, si altruiste, ma colombe ! elle permet à l’homme de côtoyer l’infini. Une belle fellation, je veux te le dire, en mon âme et conscience, constitue une espèce d’œuvre d’art. Je me rappelle t’avoir vue pleurer, un soir, à l’opéra où Mme Chauviré interprétait La mort du cygne. Eh bien, une pipe bien faite provoque une émotion de cette qualité ! Elle t’emporte dans l’indicible, ma colombe bleue. Cette personne s’est montrée particulièrement douée, ingénieuse, pleine d’initiative. Si je te disais qu’elle enfilait son médius dans mon cul en même temps, accédant à un synchronisme si parfait que j’en défaille rien qu’à l’évoquer !

« Il va falloir que tu t’y mettes quand je serai rentré, ma douceur infinie. Que tu me pompes la tige frénétiquement d’abord, puis avec lenteur pour reculer l’instant de délivrance. Je ferai ton éducation, chère chérie. Et à force de volonté, de persévérance, tu deviendras aussi experte qu’une pute de haut niveau. L’on m’a dit qu’au Danemark il s’organise des concours de turlute. Nous irons au pays d’Elseneur et tu participeras à ces joutes ! Tu triompheras, ma reine ! Je t’imagine glorieuse sur la marche supérieure du podium, les lèvres vernies de foutre. Ah ! comme je serai fier de toi ! Je prendrai des photos pour montrer à ta mère et à nos enfants, plus tard. Et puis non : je tournerai un film en 16 millimètres, ma fleur champêtre. Un documentaire où restera inscrite à jamais la preuve de ta vaillance, de ton savoir. Je sais que tu brilleras dans les imposées, toi si pugnace ! Que tu confondras les autres concurrentes aux figures libres, grâce à ton esprit d’initiative ! Que tu vaincras à l’endurance, femme infatigable. Tu pomperas dix, vingt, trente, cent nœuds au besoin, mais tu resteras seule en lice, exténuée mais sublime ! »

Le pauvre Mathias émet quelques onomatopées sans signification, tressaille, ouvre les yeux et se dresse sur un coude. Un air de gueule de bois mal surmontée. Il me regarde comme si l’on ne s’était jamais vus et qu’on vienne de se rencontrer dans l’autobus Bastille-Gare de Lyon.

— La première fois que je me suis masturbé, je devais avoir huit ou neuf ans, m’assure-t-il gravement. A vrai dire, c’est un camarade de classe qui m’a initié. Il s’agissait du cancre de l’école qui s’appelait Dieudonné Grominet. Il se branlait environ toutes les heures, ce qui faisait trembler le bureau que nous partagions. Moi, naïf, je croyais qu’il se grattait car il passait pour avoir des puces et procédait avec une relative discrétion sous sa blouse grise. Et puis un jour, comme il atteignait à une pâmoison d’une violence inaccoutumée, il a poussé un grondement d’express traversant une gare de village et il est tombé à la renverse.

« C’est alors que j’ai découvert son membre : une chose brève mais énorme, violacée et gonflée de veines aussi grosses que le tronc d’un vieux lierre. Sur l’instant, j’eus du mal à identifier un sexe dans cette excroissance monstrueuse, si éloignée de ce que ma mère avait baptisé : « ton petit oiseau ». Mais doué d’un tempérament déjà scientifique, la conclusion s’imposa à moi. A partir de cet instant, je n’eus de cesse de faire se dilater « mon petit oiseau ». A force de le tripoter et de penser à la founette de Maryse Lepelletier, notre petite voisine dont un carreau de la salle de bains était brisé et que les Lepelletier, gens d’une grande ladrerie, mirent deux ans à changer, je transformai le petit oiseau en moineau dodu, puis en merle repu, ce qui me conduisit à la découverte de sensations nouvelles, fort agréables au demeurant… »

Il se tait enfin pour reprendre haleine.

— Mathias, mon biquet, appelé-je, tu ne veux pas remettre à plus tard le récit de tes branlettes ? Tiens, tu as du style et tu pourrais en faire un livre passionnant que tu intitulerais par exemple « Mémoires d’un tapeur de rassis ». Je suis certain que ça se vendrait.

Il ne pige pas très bien. Ce gars se serait téléphoné dix litres de rhum dans le cornet à piston, il aurait les idées plus claires.

— Tu me reconnais, Bébé rose ? je demande, à lui en brûler le pourpoint.

Il opine.

— Je m’appelle comment ?

— T’nio.

— Bravo ! Tu viens de faire un sans faute, mon lapin. Dis-moi, après avoir dûment sollicité tes chères méninges poisseuses : hier tu as pris le bateau pour rentrer d’Alcatraz. Tu as voyagé avec deux dames, une vieille et une jeune.

— Ma… ry ! énonce le massif de dahlias rouges.

— Je vois que vous avez lié connaissance.

Il retrouve soudain la magie de son verbe éblouissant du moment qu’il n’a plus d’effort de mémoire à fournir.

— Elle m’a magnifiquement sucé, déclare-t-il avec une vivacité rayonnante. Tout d’abord, un imperceptible titillement du gland avec ses longs cils. Effet garanti. Puis langue montante et descendante sur le filet : de toute rareté. Lorsque le membre atteint sa plénitude dilatatoire, la fellation commence. D’une lenteur suave qui te fait défaillir. Ce fut le point culminant de ma vie sensorielle ; je ne dis pas sexuelle, ce serait restrictif, mais sensorielle parce que TOUT participe. Tu la conjures d’accélérer le mouvement pour parvenir à la délivrance, mais penses-tu ; trop experte pour céder à tes implorations ! Inexorablement, elle poursuit son démoniaque va-et-vient, se permettant même de l’interrompre pour te placer un frétillement entre les testicules. Tu as les nerfs à bout de patience. Tu pries à haute voix, tu parles de mourir. Et la rouée continue sur le même rythme avec un mystérieux sourire.

« Lorsqu’elle te sent sur le point de lâcher la fumée, elle s’arrête net, abandonnant délibérément tes accessoires et te faisant boire un philtre mystérieux afin d’aiguiser encore ta fringale amoureuse. Une démone ! Tu veux la faire participer, en lui saisissant un sein, ou en lui glissant un doigt dans le bénitier de Satan, la moindre des choses, mais foin ! Elle te repousse, se garde pour elle afin de mieux s’occuper de toi ! Elle détient une science de l’amour digne des plus fameuses courtisanes indiennes, japonaises, voire même lyonnaises. Ses philtres aidant, j’ai atteint la délivrance dans un état presque second. Je me suis anéanti dans l’extase. Où est-elle, cette création du ciel ? »

J’ai grande envie de lui dire qu’elle a joué cassos, la pétasse déguisée en « Chaperon rouge », avec sa mère-grand et son petit pot de beurre. Et qui sait, avec mon enveloppe métallique ?… Bien que j’imagine mal que l’organisation à laquelle elle appartient laisse ce document inestimable à sa disposition.