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Nous sommes descendus au Méridien (un hôtel dont je suis dingue, avec vue sur Central Park), ce qui fait que l’adresse de la môme Mary est à deux pas (618, 48e Rue Ouest).

Il s’agit d’un immeuble des années 30, en pierre de taille, avec un hall de marbre et une oriflamme cradingue battant au vent coulis qui unit l’Hudson à l’East River (en Extrême-Orient, ce sont des vents coolies).

Des panneaux de cuivre annoncent les blazes des occupants, sur le mur de droite ainsi que sur celui de gauche. Je ne trouve pas de Mary Princeval, par contre je dégauchis une « Agence Williams » en caractères rouges, ce qui en fout un jus sur du cuivre.

Comme tu as une tronche où ce qu’on peut trouver de plus consistant c’est de la barbe à papa, tu auras déjà oublié que Williams est le nom de la grand-mère du Chaperon rouge.

A ce propos, tu connais l’histoire du loup qui va chez la mère-grand du Chaperon rouquinos avec l’intention de la becter ? Mais il la trouve encore pas mal et, au lieu de la claper, il se l’embourbe. Une fois par-devant, ensuite il veut par-derrière (question d’atavisme). Mais il est monté comme un âne, ce loup-là, ou peut-être que la vioque est trop étroite ? Toujours est-il qu’il ne parvient pas à concrétiser. Alors, arrêtant de s’escrimer, il demande : « Dites donc, la mère, elle arrive à quelle heure, la môme, avec son petit pot de beurre ? »

Juste en passant. Mais je veux pas m’éloigner du sujet, ni du verbe, non plus que de son complément. Je t’en reviens donc que Williams est le nom que le concierge du Witehkouilh m’a donné pour la grand-maman de Mary. Je ne la vois certes pas à la tête d’une agency, la pauvre égrotante, mais enfin je n’ai rien de plus honnête, ni de plus urgent à ficher pour l’instant que d’aller regarder de près à quoi elle ressemble.

Ça se trouve au 12e. Une large lourde à double (tambour) battant, peinte en vert bronze, très classe.

Une indication : « Sonnez et entrez ».

Ce dont je.

Maison de qualité. Verre fumé, acier, reproductions du dandy Warhol. Des gonzesses choucardes dans des boxes vitrés triturent des téléscripteurs, des ordinateurs, des téléphones. Brouhaha de bon ton. Une large réception aux fauteuils et canapés de cuir havane. Des cendriers sur pied, en marbre vert.

Face à l’entrée, un burlingue tout seul, en avant des boxes, composé d’une large plaque de verre noir en demi-lune. Derrière, la réceptionniste, une vachement bandante blonde, avec des cheveux sauvages, une bouche comme un ballon de rugby, un regard noir qui ferait sauter les boutons de braguette comme des balles de mitrailleuse si la fermeture de mon camarade Eclair n’avait pas été inventée.

Je m’approche d’elle silencieusement, après avoir déposé mon pot de réséda (en l’occurrence Mathias) dans un fauteuil. La moquette est si épaisse que si t’oublies de la faucher prendant deux jours, t’es obligé de mettre des cuissardes pour te déplacer.

Dix mètres avant d’arriver à la môme, j’ai ferré ses yeux et je me trouve pris en charge comme un avion par la tour de contrôle.

— Hello ! lui fais-je, ce qui est le mot clé de la vie américaine.

Aux States, le gonzier qui ne sait pas dire « Hello » correctement peut retourner dare-dare dans la vieille Europe exténuée.

Elle répond « Hello ».

Je pose mes deux mains droites sur son bureau.

— Seigneur ! soupiré-je, dire qu’il m’aura fallu quarante ans pour trouver la femme idéale !

Mon discours ne l’émeut pas ; au contraire, une expression agacée lui fait plisser le front.

— Vous désirez ?

— Je cherche une Mme Daphné Williams, avoué-je.

— On n’a pas ça en magasin, répond la gonzesse.

— Non plus qu’une demoiselle Mary Princeval ?

— Non plus.

J’y vais d’une moue désolée qui fendrait le cœur d’un as de pique.

— Williams, reprends-je, ça existe tout de même, non ?

— Naturellement puisque l’agence porte son nom.

— Et ça se présente sous quelle forme ?

— Sous la forme d’un important P.-D.G. aux cheveux gris.

— On peut le voir sans avoir à faire la queue devant cette porte à partir de quatre heures du matin ?

— On peut le voir à condition d’avoir rendez-vous avec lui.

— Un rendez-vous, c’est envisageable ?

— Quand on a un motif suffisant, oui ; ou bien quand M. Hugh Williams a besoin de vous.

— Je crois que j’entre dans l’une et l’autre de ces deux catégories, ma jolie chérie.

Elle me désigne une boîte d’acajou dont le couvercle est ouvert. Dedans il y a des formules de demande d’audience.

— Vous remplissez l’un de ces documents, fait-elle, et vous attendez.

— C’est quand je l’aurai rempli que ce chiffon de papier sera devenu un document, assuré-je modestement.

Je cramponne un feuillet, j’écris mes noms et qualités et, à la rubrique « objet de la visite », j’écris : « Pour parler d’Alcatraz. » Nous verrons bien !

Je remets mon message à la réceptionniste. Elle le dépose sur un plateau d’argent et presse un timbre. Un Noir portant un uniforme bleu surgit. La belle blonde lui montre le plateau.

— Secrétaire du boss ! jette-t-elle négligemment.

Le Noirpiot se retire sans un mot en engourdissant le plateau.

Je ne quitte pas pour autant le burlingue de la déesse.

— Une supposition que je remplisse un autre formulaire à votre intention, pour vous demander de dîner avec moi, que répondriez-vous ? mur-muré-je-t-il.

— Que je ne dîne jamais avec des inconnus.

— On pourrait faire connaissance avant ?

— Soyez gentil, allez vous asseoir, coupe la gonzesse.

— Vous êtes en main, bien entendu ? Toutes les jolies filles le sont, et même les pas jolies ! Cela dit la vie est une longue chaîne. On se donne, on se reprend, on se redonne. « Il » est américain ?

Je dois commencer à l’amuser ; les femmes ne détestent pas les mecs obstinés pour peu qu’ils les fassent marrer.

— Oui, répond-elle, « il » est américain.

— Alors je vais avoir un sacré boulot. Je suis français et quand je me charge d’éduquer la souris d’un yankee, tout est à reprendre de zéro. Vos gars d’ici ont des muscles, de belles dents blanches, mais pour ce qui est du petit ramoneur pervers, ils n’en savent pas plus long qu’un Zoulou analphabète à propos des tables de la loi. Tout ce qu’ils vous inculquent, c’est de mauvaises habitudes. Le côté jambes ouvertes haleine fraîche, tac-tac (ou toc-toc) et bonne nuit, maman, fais de beaux rêves ! C’est à l’amour ce que les premiers bâtons tracés sur un cahier d’écolier sont à l’examen d’entrée à l’école des mines !

A présent, la souris blonde se tord de rire. Je décide de lui placer ma botte secrète :

— Qu’est-ce qu’il fait dans la vie, votre copain ?

— C’est pas mon copain, c’est mon mari. Il est commandant de bord à la Pan Am.

— Moi aussi je suis de Paname, ma poule. Aujourd’hui, il ne fait pas le vol New York-Lima ?

— Non : New York-Tokyo.

— Donc, ce soir il mangera avec des baguettes et vous avec moi. Que diriez-vous de 9 heures chez Smith et Volinsky ? On y déguste la meilleure viande de Manhattan.

Elle paraît hésiter, mais à ses yeux, je sais que c’est pour la frime, histoire de faire femme sérieuse. Son acceptation est déjà entrée en vigueur.

— Je vais voir, élude-t-elle.