— C’était bien ?
— Pas formidable : Princesse de Miami.
— Ça se passe sur la lagune, dans le quartier des milliardaires ? Le père a un cancer et la mère un amant. Le fils aîné est homosexuel et son petit ami le fait chanter. C’est la fille qu’on appelle « Princesse ». Elle aime le fils de l’amant de sa mère dont il est avéré, à la fin, qu’il est son frère.
— Vous l’avez vu ? s’extasie Jessica.
— Non, mais je connais toutes les possibilités d’affabulation hollywoodienne. Princesse de Miami est conçu sur le canevas 14 bis en vigueur depuis 1965. Vous savez que vous êtes très très jolie, Jessica ? Cette fois, je vous quitte, il ne serait pas correct que je m’attardasse. En France nous sommes très strict sur les questions de bienséance.
Et tu sais ce qu’elle me répond, la nière ?
— Ici, nous ne sommes pas en France !
Dis, ce culot ! Cette manière de balancer le feu green ! Comme si on y était.
Et ma pomme, du tac au tac et à la tactique :
— Malgré notre sens des convenances, quand une femme répond de cette manière à un homme, il est dans l’obligation de l’embrasser.
Jessica y va d’une mimique à laquelle on peut trouver différentes significations dont toutes sont positives. Ça peut vouloir dire « Qu’attendez-vous ? », ou bien « Voilà une obligation qui me botte ! », voire « Donc, les Français sont moins cons que le bruit n’en court ! ».
Je lui tends la main, elle me confie la sienne. Je la hale à moi. Elle se laisse haler. Puis se laisse aller. Première pause sur mes genoux. Le baiser vorace : crissement de chailles, suçage de menteuse. Parallèlement : dextre coulée par l’ouverture du pyjamoi. Elle ne réagit pas, donc on n’est pas en période de ramadan ! Merci, Seigneur, de me manifester Votre auguste bienveillance jusque dans l’entrejambe des merveilleuses créatures que Vous avez conçues pour notre félicité terrestre, n’est-ce pas ? Ou je me goure ?
Quand je lui titille l’ergot, loin de se dresser dessus, elle se blottit plus totalement contre moi. Ne frotterait-elle pas sa joue contre le casque de mon ami Popaul ? Mais, si, madame ! Oh ! la petite voyouse ! Ce câlin ! Si je te disais qu’elle mordille le fauve à travers les étoffes superposées de mon bénoche et de mon Eminence (dérisoire en ce riche lieu !). Dis, elle n’est pas oie blanche le moindre, la Jessica ! On lui a déjà parlé du piston à coulisse (ou à cou lisse), de la clarinette baveuse, des violons du (trou de) bal, et de la flûte enchantée ! Son petit pyjamoi gît bientôt sur le plancher et ça fait une frime tout accordéonée à Mickey ; pour le coup il cesse de rigoler.
Sans avoir la fougue classée 5 sur l’échelle de Richter, elle possède déjà un joli tempérament, la baby-gitter. Tu penses que le barbouilleur Pratt doit pas lui donner que son moutard à bercer : il lui confie également son braque. Ça l’a dégrossie et je peux m’annoncer l’arme à la bretelle pour organiser les manœuvres de printemps dans son parc à moules. Jadis, c’étaient les filles dégrossies qui étaient engrossées, heureusement que la pilule a corrigé la perfide trajectoire. Autrefois, les gerces, suivant la fameuse méthode Trucmuche, calculaient les dates pernicieuses avant de se faire calcer. Elles bouillavaient avec une règle à calculer, la machine n’existant pas encore. Avant de les limer, t’attendais qu’elles eussent achevé leurs calculs en ayant l’impression qu’elles faisaient leur bilan de fin damné ! Maintenant ça baigne ; c’est tout bon !
On tire une première guêtre sur le divan défoncé, histoire de se mettre en glandes ; mais comme ensuite ça va devenir sérieux, on poursuit les ébats dans le plumard du patron, auquel elle a accès sans payer de taxe de séjour.
Sur ces entrefesses, voilà Bob qui se réveille et bieurle comme un sauvage.
— Oh ! mon Dieu ! dit-elle en anglais, car elle parle couramment cette langue d’envahisseurs ; il va en avoir pour des heures à s’endormir. Servez-vous un whisky en m’attendant, chéri français.
Je !
Le marmot égosille à nous en disloquer les trompes d’Eustache.
Elle a raison de s’inquiéter, Jessi, c’est franchement la bramade sans retour. Tel qu’il est parti, il va donner son gala jusqu’au petit jour. Je me suis toujours demandé pourquoi des bébés sont silencieux et d’autres braillards, pourquoi certains dorment la nuit, comme des chrétiens, et d’autres le jour, comme des fêtards. Félicie répète à qui veut l’entendre que j’étais un poupard exemplaire, dormant ou suçant son pouce pour pas faire chier son monde. Je clapais le sein de m’man, je débourrais dans mes langes, tout ça en silence. « Tu avais l’air de réfléchir ! » m’assure-t-elle. Moi je crois que c’est très possible. J’avais déjà pigé le système ; peut-être pas encore la gravitation universelle mais en tout cas le plus gros, quoi. La vie, la mort, l’amour, la connerie. Tout le reste, tu le trempes dans la pâte, tu le balances dans la grande friture et t’en fais des beignets !
Bon, en tout cas me voilà à poil avec la queue qui bat la mesure. J’étais au zénith, me retrouve au nadir. En chômage technique, le beau chevalier des cœurs à prendre !
Je retourne sur le pseudo-balcon m’aérer les soufflets, mater également la voisine d’à côté. Oh ! pardon, le spectacle vaut cinq francs six sous, comme dans la chanson de salle de garde. Magine-toi que la môme Mary est en train de visionner une cassette vidéo classée X, Y, Z tant tellement elle paraît hard ! L’écran est tourné dans ma direction, on n’y voit rien que des messieurs en plein challenge Yves-Dumanoir. Ils sont pas suffisamment nombreux pour faire « ça » en couronne, n’empêche qu’à cinq ils élaborent déjà des combinaisons intéressantes. Le trombone à coulisse de l’exploit ! Le meneur de jeu ressemble comme deux gouttes de sperme à Pimprenelle, le grand tout-fou qui présente la météo en gloussant et trémulsant de l’oigne comme si un brigadier de C.R.S. lui téléphonait sa matraque de maréchal dans le gros côlon.
On vit une sacrée époque, mon fils ; où les cuisiniers sont décorés de la Légion d’honneur (pour les remercier de la qualité de nos excréments), où le gars qui t’annonce la pluie fait un numéro de music-hall, où le chômage s’accroît parce qu’on supprime la main-d’œuvre en la remplaçant par l’automatisation, tout ça… Des chiées d’autres choses encore qu’on peut pas dresser la liste car elle serait trop longue et par conséquent fastidieuse.
Je reprends toujours les choses où je les ai interrompues au moment de mes dérapages (preuve que ces derniers sont parfaitement contrôlés). La belle Mary qui se paie une lucarne cochonne. Pire : obscène ! Un beau film érotique de temps à autre, bon, ça réchauffe et puis ça éduque les empêtrés, leur donne des idées louables, des courages trop longtemps inemployés.
Mais ces basses turpitudes sont dégradantes, je proclame, moi le Gaulois toujours partant pour une partie de baisance. La chose que l’homme connaît le plus mal, c’est la limite ; il a toujours tendance à mettre un pied plus loin que permis.
Oui, oui, la belle Mary, te gratte pas, j’y arrive pour tout de bon. Elle n’est pas seule. Maintenant je peux apercevoir son compagnon qui n’est autre que le père Williams. Il est dos à moi, dans un fauteuil ; la petite Princeval est assise en tailleuse (de pipes) à ses pieds. Je te parie une soupe de courge contre les chances de François Rocard aux prochaines présidentielles qu’elle lui fourmille le chinois pour égayer la projection. M’est avis qu’ils doivent composer un bon tandem, ces deux : au boulot comme au dodo. Qui dira jamais assez la force d’un couple solidement uni ?
Je les contemple dans leur pauvre moment d’abandon. Pimprenelle est en train de s’en morfler une de première grandeur dans le couloir aux lentilles. C’est fou ce qu’il ressemble au petit mutin que je te cause : même faciès à la Stan Laurel, mêmes gestes aériens de prestidigitateur qui t’emprunte ta pochette pour en faire une guirlande ; le vrai bateleur de pissotière ! Là, il parvient, à lui tout seul, à une complète occupation du territoire : il en encaisse une, en turlute une seconde et en secoue deux autres. Faut le faire ! L’homme-orchestre de la membrane à balancier. T’aurais envie d’applaudir l’exploit si ce n’était aussi navrant.