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Ainsi donc il s’est fait alpaguer en un temps record, ce grand glandu ?

J’adresse une courbette complimenteuse à mon vis-à-vis.

— Quand comprendrez-vous que vous n’avez plus les moyens de nous bluffer ? soupire ce dernier. Vous êtes dans une nasse, vous et vos zélés auxiliaires. M. Mathias ne possède pas la plaque métallique et ignore où elle se trouve. Il a subi un test de vérité et nous a appris que vous aviez dissimulé l’objet avant de le rejoindre au Méridien. Si vous ne nous remettez pas ce foutu message de plein gré, vous passerez par cette délicate épreuve, vous aussi. Ensuite nous vous relâcherons et les Fédéraux ne tarderont pas à vous appréhender pour le meurtre de Tumor Mémich.

Décidément, il sait tout, ce gros saligaud.

— Je ne l’ai pas tué, réponds-je, le plus sobrement possible.

— Je m’en doute, mais vous aurez du mal à en convaincre la police d’abord, la justice ensuite. De toute façon, nous veillerons à ce que la chose fasse scandale en France. Votre carrière sera interrompue net, monsieur le directeur. Déshonneur en fanfare ; la France sera trop petite pour que vous puissiez y cacher votre honte !

— Charmant programme ! admets-je en m’efforçant de sourire.

Là-dessus, la porte s’ouvre et Lady Keckett entre dans le bureau, sans frapper, en familière des lieux. Elle ne m’accorde pas un regard et s’approche du Big aux crins blancs.

— La situation se débloque, Harry ? demande cette chère femme.

— Doucement, répond Harry qui ajoute : de toute manière, elle ne peut pas ne pas se débloquer !

Je défrime la rouquine avec une pointe d’admiration. La salope ! Comment elle nous a enveloppés dans du papier de soie, dis donc ! Pourtant je suis du genre suspicieux. Mais là, cette bouffeuse de pafs m’a eu avec sa folie sexuelle et sa hantise du Sida. Te nous a composé un personnage haut en relief que je ne suis pas près d’oublier et — je pense — Bérurier non plus…

— Je suppose que nous ne sommes pas à Boston ? fais-je au « regard de crotale mal réveillé ».

— Effectivement. Vous êtes à Washington.

— Alors, si vous voulez récupérer la plaque d’alu, il va me falloir retourner à New York.

— A quoi bon vous infliger ce nouveau transport, monsieur le directeur ? Où qu’elle se trouve, vos indications suffiront pour que nous remettions la main dessus.

— N’en croyez rien. Moi-même, je vais avoir quelque mal à la dénicher.

Il fronce le nez.

— Arrêtez vos conneries françaises, San-Antonio, je sens que je vais perdre mon sang-froid, et cela m’arrive rarement. Vos entreprises scoutes ont fait long feu et le temps presse. Je ne souhaite pas aller jusqu’à l’irréparable avec vous et vos deux types, mais si vous continuez vos putains de simagrées, je pressens que votre voyage aux States va s’achever par un terrible accident de bagnole. Nous possédons dans le Service un spécialiste qui réussit les meilleurs du continent américain. Son gag, c’est les piles des ponts autoroutiers. Il attache ses passagers avec des liens de chanvre avant de les arroser d’essence, ainsi que l’habitacle de la bagnole. Il connaît des autoroutes de dégagement où il ne passe que peu d’autos. Lorsque la voie est libre, il lance son véhicule contre une pile et saute avec brio, en grand cascadeur qu’il est. Tout crame, à commencer par les liens. On vous rapatriera dans des cercueils d’enfant qui seront encore trop grands pour vos restes.

Le salaud a lâché sa hargne. Il est rare que les gros soient bilieux comme ça !

La fausse Lady Keckett se tient tout contre lui et lui masse la nuque, ce qui est bon pour les atrabilaires. Je pige que (bon Dieu, mais c’est bien sûr !) il se l’embourbe, la rouquemoute, Harry. Une réchaudière de ce calibre, c’est une affaire à emballer !

— Compliments pour vos méthodes radicales, plaisanté-je. Laissez-moi parler au lieu de vous énerver comme un morbac qui vient de se fourvoyer dans la culotte d’une centenaire. Tenez, on va jouer au jeu des devinettes. Vous êtes un étranger traqué dans New York, vous avez une plaque métallique de la dimension d’une carte postale à cacher. Attention : il s’agit d’une cachette SÛRE. Que faites-vous ?

Un instant, je pense que son irritation va aller croissant, mais sont-ce les attouchements savants de la mère Lady qui le mettent en condition apaisante ? Voilà qu’il accepte le jeu.

— Il y a la possibilité de la confier à un ami ?

— Je n’ai pas d’amis ici.

— Alors je ne vois que deux possibilités : l’expédier par la poste ou la déposer dans une consigne.

— Une chose qui revêt un intérêt presque planétaire, vous la jetez dans une boîte aux lettres, Harry ?

Ça ne le trouble pas que je l’appelle par son prénom. Ici, c’est la coutume : sitôt que tu fais la connaissance de quelqulun, au bout de cinq minutes, vous vous appelez par vos préblazes.

— Quant à la consigne, mon pauvre ami, c’est une cache vieille comme le film policier ! Vous êtes tributaire du temps et d’une clé, si bien qu’en aucun cas je n’appellerais cela « une bonne cachette ».

— Vous avez trouvé une autre solution meilleure ?

— Plusieurs.

— Qui sont ?

— Eh bien ! je me suis rendu chez un habilleur de Times Square ouvert la nuit pour y acheter une veste. Dans la cabine, j’ai décousu la doublure du vêtement, j’ai logé la plaque dans une basque du veston, puis j’ai recollé la doublure, disposant continuellement d’une colle surefficace. J’ai dit à la vendeuse que je prenais la veste mais que, n’ayant pas ma carte de crédit sur moi et très peu d’argent, j’allais verser cinquante dollars pour qu’elle me la mette de côté. Elle a accepté et a même consenti à me délivrer un reçu où étaient mentionnées les références de ce vêtement.

— Ingénieux ! complimente la môme d’Al Capote.

— Une fois dehors, reprends-je, il m’est venu une meilleure idée. Seulement, cette idée-là, y a qu’à New York qu’il est possible de la réaliser. Alors je suis retourné prendre ma veste, en alléguant qu’un ami venait de m’avancer l’argent. J’ai affrété un taxi piloté par un Noir en lui demandant de me conduire à Harlem. Je ne sais pas s’il vous arrive d’arracher votre gros cul de votre grand fauteuil, Harry, et de vous rendre parfois à New York, mais je suis convaincu que, dans l’affirmative, vous ne levez pas votre petit doigt boudiné pour aller à Harlem.

« C’est un quartier qu’on dit dangereux. Il le fut, il l’est un peu moins si on sait faire la part du feu. Vous n’ignorez pas qu’un grand nombre d’immeubles sans locataires ont été désaffectés en attendant qu’on les restaure ou les démolisse. Les façades sont aveuglées par des briques ou des planches ; portes et fenêtres étant condamnées, les squatters ont été contraints de vider les lieux, à l’exception de quelques obstinés qui parviennent à creuser des brèches pour faire leur terrier dans ces masures. Je me suis fait déposer près de l'Apollo, parce qu’il constitue un point de repère facile, puis j’ai erré dans les alentours jusqu’à ce que je trouve ce que je cherchais, à savoir un vieil immeuble muré.

« Quand j’ai eu jeté mon dévolu sur l’un d’eux, je me suis débrouillé pour le forcer sans me faire remarquer. Déterminer une cachette à l’intérieur a été un jeu d’enfant car je n’avais que l’embarras du choix. Vous comprenez à présent pourquoi je vous dis qu’il me faut en personne me rendre là-bas ? J’aurais beau vous fournir un maximum de précisions, je ne parviendrais pas à vous téléguider convenablement car il me faut RETROUVER l’endroit. Les indications les plus serrées que je vous fournirais de mémoire vous contraindraient à remuer une partie du quartier avant de trouver l’aiguille dans cette meule de foin. »