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Il souriait jeune nageur entre les rives

Et les noyés flottant sur son onde nouvelle

Fuyaient en le suivant les chanteuses plaintives

Elles dirent adieu au gouffre et à l'écueil

A leurs pâles époux couchés sur les terrasses

Puis ayant pris leur vol vers le brûlant soleil

Les suivirent dans l'onde où s'enfoncent les astres

Lorsque la nuit revint couverte d'yeux ouverts

Errer au site où l'hydre a sifflé cet hiver

Et j'entendis soudain ta voix impérieuse

Ô Rome

Maudire d'un seul coup mes anciennes pensées

Et le ciel où l'amour guide les destinées

Les feuillards repoussés sur l'arbre de la croix

Et même la fleur de lys qui meurt au Vatican

Macèrent dans le vin que je t'offre et qui a

La saveur du sang pur de celui qui connaît

Une autre liberté végétale dont tu

Ne sais pas que c'est elle la suprême vertu

Une couronne du trirègne est tombée sur les dalles

Les hiérarques la foulent sous leurs sandales

Ô splendeur démocratique qui pâlit

Vienne le nuit royale où l'on tuera les bêtes

La louve avec l'agneau l'aigle avec la colombe

Une foule de rois ennemis et cruels

Ayant soif comme toi dans la vigne éternelle

Sortiront de la terre et viendront dans les airs

Pour boire de mon vin par deux fois millénaire

La Moselle et le Rhin se joignent en silence

C'est l'Europe qui prie nuit et jour à Coblence

Et moi qui m'attardais sur le quai à Auteuil

Quand les heures tombaient parfois comme les feuilles

Du cep lorsqu'il est temps j'entendis la prière

Qui joignait la limpidité de ces rivières

O Paris le vin de ton pays est meilleur que celui

Qui pousse sur nos bords mais aux pampres du nord

Tous les grains ont mûri pour cette soif terrible

Mes grappes d'hommes forts saignent dans le pressoir

Tu boiras à longs traits tout le sang de l'Europe

Parce que tu es beau et que seul tu es noble

Parce que c'est dans toi que Dieu peut devenir

Et tous mes vignerons dans ces belles maisons

Qui reflètent le soir leurs feux dans nos deux eaux

Dans ces belles maisons nettement blanches et noires

Sans savoir que tu es la réalité chantent ta gloire

Mais nous liquides mains jointes pour la prière

Nous menons vers le sel les eaux aventurières

Et la ville entre nous comme entre des ciseaux

Ne reflète en dormant nul feu dans ses deux eaux

Dont quelque sifflement lointain parfois s'élance

Troublant dans leur sommeil les filles de Coblence

Les villes répondaient maintenant par centaines

Je ne distinguais plus leurs paroles lointaines

Et Trèves la ville ancienne

A leur voix mêlait la sienne

L'univers tout entier concentré dans ce vin

Qui contenait les mers les animaux les plantes

Les cités les destins et les astres qui chantent

Les hommes à genoux sur la rive du ciel

Et le docile fer notre bon compagnon

Le feu qu'il faut aimer comme on s'aime soi-même

Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front

L'éclair qui luit ainsi qu'une pensée naissante

Tous les noms six par six les nombres un à un

Des kilos de papier tordus comme des flammes

Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements

Les bons vers immortels qui s'ennuient patiemment

Des armées rangées en bataille

Des forêts de crucifix et mes demeures lacustres

Au bord des yeux de celle que j'aime tant

Les fleurs qui s'écrient hors de bouches

Et tout ce que je ne sais pas dire

Tout ce que je ne connaîtrai jamais

Tout cela tout cela changé en ce vin pur

Dont Paris avait soif

Me fut alors présenté

Actions belles journées sommeils terribles

Végétation Accouplements musiques éternelles

Mouvements Adorations douleur divine

Mondes qui vous rassemblez et qui nous ressemblez

Je vous ai bus et ne fut pas désaltéré

Mais je connus dès lors quelle saveur a l'univers

Je suis ivre d'avoir bu tout l'univers

Sur le quai d'où je voyais l'onde couler et dormir les bélandres

Écoutez-moi je suis le gosier de Paris

Et je boirai encore s'il me plaît l'univers

Écoutez mes chants d'universelle ivrognerie

Et la nuit de septembre s'achevait lentement

Les feux rouges des ponts s'éteignaient dans la Seine

Les étoiles mouraient le jour naissait à peine

(1898 – 1912)