Si elle était sortie dans la rue sans sa houppelande, Zakra aurait provoqué une émeute. Une véritable héroïne de bande dessinée. Elle croisa les jambes et ses cuisses en parurent encore plus fuselées. Dans n’importe quel pays au monde, Zakra aurait été plébiscitée reine de beauté. La serveuse s’approcha et la jeune Kirghize détailla sa commande, arborant une expression pleine de sensualité gourmande.
Cette fille devait être un piège diabolique. Lorsqu’un homme l’avait touchée, il ne devait jamais pouvoir l’oublier.
La serveuse revint avec une assiette de gâteaux et Zakra se mit à manger voracement, sans se préoccuper des deux hommes. Le Tchétchène s’était installé en retrait, la houppelande sur les genoux, devant un modeste café… Quand elle eut liquidé les gâteaux, elle posa sur Malko un regard trouble et profond.
— Que faites-vous à Budapest ?
— Des affaires, répliqua-t-il avec un sourire désarmant. Mais je ne viens pas de loin, seulement de Vienne.
Un éclair d’intérêt passa dans les yeux noirs et c’est en allemand qu’elle continua.
— Vous êtes allemand ou autrichien ? Ce fut au tour de Malko d’être surpris.
— Où avez-vous appris l’allemand ?
— Ma mère était allemande de la Volga, dit-elle simplement. Elle a été déportée et forcée d’épouser un Kirghize, sous Staline. Mais elle n’avait pas oublié sa langue, et me l’a apprise.
Elle parlait avec un curieux accent, mêlant quelques mots russes à sa conversation. Ignorant Tibor, elle fixait Malko avec assurance et une sorte d’intérêt animal, semblant fascinée par ses yeux dorés. Lui avait du mal à garder son regard sur son visage. Il lui semblait que les pointes de ses seins poussaient encore plus la soie jaune. Même le buste très droit, sa poitrine tenait comme si elle avait été artificielle…
Malko dut faire un effort surhumain pour annoncer, après avoir ostensiblement regardé sa montre :
— Je dois aller travailler. J’espère que je vous reverrai. Elle sourit sans répondre. Tibor se leva vivement.
— Je vous donne les papiers dans la voiture. Ils échangèrent quelques mots dehors et le Hongrois assura :
— Je vais transmettre votre « message ». Même sans la CIA, Malko aurait tué père et mère pour la revoir.
— Demain cinq heures au bar du Gellért. Malko eut brutalement l’impression d’avoir l’estomac rempli de papillons. Il avait attendu une heure l’appel de Tibor Zaïa dans sa chambre du Hilton.
— Que vous a-t-elle dit ? demanda-t-il. Le Hongrois rit.
— C’est plutôt moi qui lui ait dit que vous étiez fou d’elle ! Que vous m’aviez demandé d’arranger un rendez-vous si elle était d’accord.
— Elle n’a pas été choquée ?
— Pas du tout, mais il va falloir faire attention. Karim Nazarbaiev est plus jaloux que je ne le croyais. Le Tchétchène qui l’escorte lui fait des rapports complets.
— Comment va-t-elle faire dans ce cas ?
— Elle va le semer, ricana Tibor Zaïa. D’après ce qu’elle m’a dit, elle veut quitter pour de bon la mafia en trouvant quelqu’un de l’Ouest qui l’épouse.
— Dans ce cas, objecta Malko, elle n’osera jamais parler de moi à Nazarbaiev. Je me demande si ce rendez-vous va m’apporter quelque chose.
— Espérons, éluda le Hongrois. Mais c’est le seul moyen d’entrer dans le cercle des intimes de Karim Nazarbaiev. Si vous l’attaquez de front, vous vous heurterez à un mur. Mais soyez quand même prudent. Il paraît qu’il a dit au Tchétchène de lui rapporter les couilles de tous ceux qu’il verrait tourner autour de Zakra.
Chapitre IV
Une pluie fine et tenace noyait Budapest, ralentissant encore la circulation. Les voitures se traînaient sur le superbe pont métallique Szabadsag, juste en face du Gellért. Malko avait trouvé sans problème une place sur le trottoir, en face du vieil hôtel, vestige majestueux du siècle des Habsbourg, avec ses thermes sur sa façade nord. Il pénétra dans le hall et eut l’impression d’entrer au château de Marienbad. Le même charme rococo, la même ambiance feutrée. Il repéra tout de suite le bar, à droite de l’entrée. Minuscule : la taille d’un compartiment de wagon-lit ! Deux tables rondes, une banquette au fond. En face du comptoir où officiait un barman, l’œil glué à une télé suspendue au plafond, Malko s’installa et dut lui réclamer par trois fois une vodka avant qu’il ne s’arrache à la contemplation d’un match de foot.
Cinq heures vingt. Pas de Zakra.
Il en était à sa seconde vodka lorsqu’elle surgit enfin. Toujours enveloppée dans sa houppelande, mais les longs cheveux roux cascadant sur ses épaules, comme un nuage de feu.
— Ne restons pas ici ! lança-t-elle à Malko sans même s’asseoir. Il paya et ils se retrouvèrent dans le hall solennel.
— Où est votre voiture ? demanda-t-elle.
— Devant à droite, une Mercedes 190 bleue.
— Allez en avant, je vous y rejoins.
Elle traversa le hall en biais, passant par le salon de thé afin de ne pas sortir avec lui. Les choses paraissaient plus compliquées que prévu.
Zakra déboula juste après lui et se laissa tomber sur le siège.
— Démarrez. Prenez à droite vers la Citadelle, par Bartok Bêla.
Tandis qu’il prenait de la vitesse, elle ouvrit sa houppelande et s’en débarrassa. Cette fois, c’était un pull noir en fine laine qui sculptait une poitrine qui parut à Malko encore plus extraordinaire que la veille. Les caleçons étaient noirs eux aussi et hyper-moulants. Elle donnait l’impression de s’être trempée dans un bain de parfum. Tandis qu’ils roulaient vers le sommet du Mont Gellért, elle se retourna plusieurs fois.
— Que se passe-t-il ? demanda Malko. Elle lui adressa un sourire carnassier.
— J’ai dit que j’allais aux thermes. Puis, je suis passée par l’intérieur de l’hôtel. Mais Grosny est comme un chien de chasse, il me flaire partout…
— Qui est Grosny ?
— Celui qui était avec moi, hier.
— Je vois, fit Malko.
Ils montèrent presque jusqu’à la Citadelle jadis construite par les Autrichiens pour contrôler Budapest. La vue était inouïe. Les lumières de Buda et de Pest, séparés par la trouée sombre du Danube.
Zakra, visiblement peu sensible à la poésie des lieux, désigna à Malko un parking vide dont le parapet dominait un à-pic de plus de cent mètres.
— Ici, c’est bon.
Il coupa son moteur et il n’y eut plus que le bruit de la pluie sur les vitres. Vu le temps, ils ne risquaient pas beaucoup de rencontres…
Zakra semblait plus détendue. Avec un sourire qui agrandissait encore sa bouche, elle demanda d’une voix égale.
— Vous avez dit à Tibor que vous aviez envie de me revoir. Pourquoi ?
Impossible de déchiffrer ses prunelles d’un noir liquide. L’odeur de son parfum était presque oppressante et le spectacle de sa poitrine soulevant le pull avec régularité hypnotisait Malko. La CIA était à des millions d’années-lumière. Il posa une main sur la cuisse fuselée, très haut et dit simplement :
— Devinez.
Elle ne répondit pas. S’enhardissant, il quitta sa cuisse, lui effleurant les seins. De nouveau, les crocs blancs apparurent au milieu du fruit rouge et, du revers de la main, comme pour s’amuser, elle caressa rapidement le haut des cuisses de Malko. Leurs visages étaient très proches l’un de l’autre.
Cette fois, Malko s’attarda à la pointe d’un sein. Et, brutalement, il eut droit à un baiser féroce, glouton, qui le cloua à son siège. Il crut que Zakra allait l’étouffer avec sa langue.
A son tour, il décida de profiter de ses charmes, l’explorant du bout des doigts. A chaque endroit sensible, elle était agitée d’un brusque soubresaut, qui l’éloignait presque de lui. Leur baiser-ventouse se prolongeait. Quand il glissa une main entre ses cuisses, Zakra poussa un gémissement sauvage et ses jambes s’ouvrirent si violemment qu’elle heurta la portière droite et le levier de vitesse à gauche. Malko revint à la charge, et cette fois, elle balaya sa main avec un feulement d’animal blessé.