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Un vent glacial balayait Vâci utça, la rue piétonnière la plus élégante de Budapest, qui serpentait de Vamaz Korut à la place Vôrôsmarty, alignant les boutiques de mode et les galeries marchandes. Sur toute la longueur de la voie, des changeurs clandestins, tous arabes, battaient la semelle par petits groupes, guettant les touristes inexpérimentés. En réalité, il y avait peu de différence entre le change officiel et le leur ; mais ils se rattrapaient en écoulant des billets démonétisés.

Un des uniques secteurs que la pègre hongroise et les mafiosi russes leur laissaient encore. Ali le Pasdaran arrondissait ainsi ses fins de mois. Abrité du vent à l’entrée de la galerie Taverna Udvar. Il vit soudain une silhouette massive surgir de la foule.

Un Tchétchène. Les mains dans les poches de son blouson rosé, massif, il s’arrêta en face du passage, examinant les changeurs. Son regard se posa sur Ali qui sentit ses intestins se nouer. C’était Grosny, le chef des hommes de main de Karim Nazarbaiev… Après ce qui s’était passé, ce n’était pas bon signe. Le Tchétchène avançait dans sa direction. Instinctivement, Ali recula dans le passage, se rendant compte immédiatement de son erreur : c’était un cul-de-sac.

D’un coup de sifflet strident, il essaya de retenir les autres chargeurs, qui s’égaillaient comme une volée de moineaux.

Affolé, il vit le Tchétchène se rapprocher, tenant presque tout le couloir. Il dégringola dans la galerie marchande, essayant de se noyer dans la foule. Tout le Milieu de Budapest savait que les Tchétchènes avaient juré de venger leurs deux copains assassinés.

Ali regarda par-dessus son épaule : Grosny ne décrochait pas. Il finit par se réfugier dans une boutique de vêtements tenue par une fille à la poitrine imposante. Le Tchétchène arriva sur ses talons.

— J’ai un message pour toi ! dit-il en mauvais hongrois. Tu remontes et tu vas à la cabine téléphonique. En face du Fontana. Tout de suite.

Ali regarda autour de lui, encore plus paniqué : sûrement un piège pour le faire sortir. Le Tchétchène allongea le bras et serra celui d’Ali dans ce qui parut à l’Iranien un étau d’acier.

— Viens, répéta Grosny.

Il le poussa devant lui.

Lorsqu’ils arrivèrent à la cabine, le Tchétchène y poussa sa victime et resta devant pour qu’Ali ne soit pas tenté de s’échapper. Quelques instants plus tard, le téléphone sonna et Grosny fit signe à Ali de répondre.

* * *

Malko était dans sa chambre, contemplant au-delà du cloître sur lequel était bâti le Hilton, au-delà du Danube, Pest noyée dans une brume humide. Deux jours à tourner en rond. Pas de nouvelles de Tibor Zaïa, et encore moins de la Kirghize.

Sa mission était en train de tourner court. Il avait décidé d’attendre encore vingt-quatre heures avant de relancer Tibor, seul capable éventuellement de reprendre le contact. Le téléphone l’arracha à ses pensées moroses. Il regarda longuement l’appareil avant de décrocher, pour conjurer le sort.

— Tu ne m’attendais plus ?

La voix de Zakra était chaude et câline.

— Mais si, affirma Malko.

— Tout va bien, annonça-t-elle. Tu as toujours envie de me voir ?

— Bien sûr.

— Alors prends un papier et note. Tu vas dans le quartier Obuda, au nord. Tu traverses sur le pont Margit et tu prends à gauche la voie sur berge jusqu’au bout. Quand tu en sors, tu continues dans Nepfurdô, vers le pont Arpad. Tu vas croiser la rue Révész. Au coin de Nepfurdô, il y a une grande usine désaffectée. Arrête ta voiture en face de l’entrée dans Révész. Je t’attendrai là dans une heure.

* * *

Le nord de Pest, en bordure du Danube, était particulièrement déprimant. Un quartier de HLM gigantesques alignées comme des dominos, entrecoupé de rues entières bordées d’usines dont beaucoup ne tournaient plus depuis longtemps. La zone industrielle était sinistrée, comme le communisme.

Malko avait suivi strictement les instructions de Zakra. Il s’arrêta en face d’une énorme usine en briques jadis rouges, maintenant noircies par la pollution. En face, une centrale électrique crachait des flots de fumée nauséabonde dans le ciel gris. Pas un chat. Il tâta machinalement la crosse de son pistolet extra-plat glissé sous son siège, une balle dans le canon. A la réflexion, le rendez-vous donné par la jeune Kirghize n’était pas vraiment rassurant. Il ne l’avait vue que deux fois et ce n’était pas la fougue sexuelle qu’elle avait témoignée qui en faisait une amie d’enfance… Par contre, le dénommé Grosny pouvait avoir parlé. Il regarda la porte de l’usine qui semblait condamnée. Le battant en ferraille rouillée s’écarta soudain. Zakra se tenait dans l’ouverture. Somptueuse. Sa longue houppelande ouverte sur une robe prête à éclater sous la pression de ses seins, avec des bottes et des bas noirs. Sans bouger, elle fit signe à Malko de la rejoindre.

Chapitre VI

La main sur la poignée de sa portière, Malko hésita une fraction de seconde. Cette femme superbe qui lui faisait signe de la rejoindre dans ce décor sinistre, cela sentait le piège à plein nez. Une fois entré dans cette usine déserte, il était livré à lui-même… Il revit Grosny, le Tchétchène. Si deux ou trois comme lui l’attendaient à l’intérieur, il n’en ressortirait pas. Et puis, il se décida d’un coup, glissant son pistolet extra-plat entre sa ceinture et sa chemise, à la hauteur de sa colonne vertébrale.

En trois enjambées, il eut traversé la rue. Zakra s’effaça pour le laisser passer, repoussant la porte qui claqua dans son dos avec un inquiétant bruit de métal. Malko découvrit un immense hall désert, à part quelques amas de ferraille, où régnait un froid polaire.

— Viens, dit Zakra. Je n’ai pas beaucoup de temps.

Étrange endroit pour un rendez-vous amoureux… Au fond du hall, elle s’engagea dans un escalier de fer en colimaçon, au ras du sol. Tout était sale, rouillé, déjeté. La bise glaciale pénétrait par les innombrables carreaux cassés. En bas, c’était pareil. Zakra s’arrêta devant une porte métallique peinte en gris et sortit une clef de sa poche. Dès qu’elle l’ouvrit, Malko reçut en plein visage une bouffée de chaleur.

Ici, c’était un autre univers. Ils suivirent un couloir repeint à neuf desservant des bureaux ultra modernes mais vides. Dans l’un d’eux, des cartons de téléviseurs et de magnétoscopes Akai et Samsung s’empilaient jusqu’au plafond. Zakra ouvrit une autre porte, sur une salle d’agrès de près de vingt mètres de long, aux murs blanc cassé, presque trop chauffée, avec des tas d’instruments de torture pour le sport en chambre. Une glace tenait tout un panneau. Zakra s’arrêta à côté d’un grand tapis de mousse et se débarrassa de sa houppelande. Le silence était absolu. Elle s’approcha de Malko et se frotta à lui.

— Ici nous sommes tranquilles, affirma-t-elle.

— C’est un endroit étrange, remarqua-t-il.

— Karim l’a acheté il y a six mois, expliqua-t-elle. Cela sert à des tas de choses.

Sa bouche se colla sur la sienne. Un baiser brûlant qui déclencha la frénésie sexuelle de la jeune Kirghize. Malko eut à peine le temps de réaliser que Zakra était déjà nue. Elle adressa à Malko un sourire désarmant.

— Moi, j’aime faire l’amour nue.

Comme Malko entreprenait à son tour de se déshabiller, un véritable cyclone s’abattit sur lui. En un clin d’œil, il ne lui restait même pas sa montre. Le pistolet extra-plat gisait avec le reste de ses affaires éparpillées sur le tapis. Zakra n’avait même pas semblé le remarquer. Dans le milieu où elle vivait, tout le monde devait être armé.

Elle embrassait de tout son corps, de tous ses muscles, avec une violence d’animal sevré. Brusquement, elle abandonna la bouche de Malko pour son sexe qu’elle engloutit en un éclair. Malko se retrouva sur le dos, sur la mousse, cette goule somptueuse accrochée à lui, avec des doigts partout, une tornade tropicale en chambre. Sa bouche explorait tous les recoins les plus secrets, revenait à son activité initiale, repartait. Zakra tournait, rampait, se lovait comme un serpent, enfonçait tout à coup une langue durcie et vibrionnante là où il fallait, puis léchait Malko comme un animal.