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L’ascenseur était fermé à clef : probablement pour économiser l’électricité. Malko monta à pied les deux étages, trouva sur sa gauche la galerie extérieure, qu’il contourna, plongeant ensuite dans un trou noir ! Pas de minuterie, pas une lumière. Il avança à tâtons, avec l’impression d’être un spéléologue… et finit par découvrir un autre escalier. Arrivé au palier du troisième, il sentit les contours d’une porte sur sa droite et frappa au battant. Il entendit des pas lourds de l’autre côté et la porte s’ouvrit sur une pièce à peine plus éclairée que le couloir.

Une masse impressionnante se tenait dans l’ouverture : un mastodonte. Mélange de « Hell’s Angels » et de lutteur de foire. Une casquette crasseuse d’officier de marine rejetée en arrière, une frange de cheveux gras tombant presque jusqu’aux yeux et une barbe broussailleuse incrustée de débris de nourriture. Un gilet de corps à larges mailles permettait d’admirer divers tatouages et une panse qui ressemblait à un tonneau de bière, soutenue avec peine par un large ceinturon. Dans la main droite, l’inconnu tenait un démonte-pneus de camion, long de trente centimètres. Accueillant.

— Vous êtes Ferencz ? demanda Malko. Il avait parlé russe, comme convenu.

— Da fit l’ex-policier. Korvin Ferencz. A la hongroise, il donnait le nom avant le prénom. Il s’effaça pour laisser entrer son visiteur qui ne put éviter de frôler le ventre énorme. Ferencz Korvin troqua alors le démonte-pneus contre une boîte de bière et s’assit dans un fauteuil défoncé. La pièce ne comportait qu’une fenêtre occultée par un rideau noir, un lit de camp, une ficelle tendue entre deux murs où pendaient des vêtements et un réchaud. L’odeur aurait fait fuir un putois. Malko trouva un tabouret auquel il restait encore trois pieds, tira un billet de cent dollars de sa poche et le posa sur le lit. Ferencz Korvin ne broncha pas.

— Tu ne travailles pas pour les flics ? grommela-t-il. Pour ces enculés de l’ORFV ?

— Non, assura Malko.

Les petits yeux injectés de sang le fixaient avec un mélange de méchanceté et de détresse. Brusquement, l’ancien policier releva son tricot de corps dévoilant des cicatrices rosaires et bien rondes sur son torse blafard.

— Ces salauds m’avait déjà fusillé contre un mur en 56, gronda-t-il. J’avais vingt ans. Ils allaient me balancer sous les chenilles d’un char parce que je bougeais encore quand…

Quand les gens du KGB lui avaient sauvé la vie. Ce sont des expériences qu’on n’oublie pas. Mais Ferencz, pour être fusillé à vingt ans, ne devait pas sortir du couvent… En voyant ses mains, on les imaginait immanquablement serrées autour d’un cou. Il respirait lourdement, regardant Malko par en dessous. Des boîtes de conserves vides s’amoncelaient dans un coin. Une vie pas très drôle. Malko n’avait pas envie de faire de vieux os dans ce taudis.

— Je veux des informations sur Karim Nazarbaiev, dit-il.

Une lueur de surprise passa dans les petits yeux de Ferencz Korvin.

— Karim Nazarbaiev ? répéta-t-il.

— Oui, insista Malko. Ce qu’il fait, avec qui il travaille. Il doit aller en Ukraine, paraît-il. Qu’est-ce qu’il fait comme affaires ? Comment l’approcher par une filière sûre ?

Ferencz Korvin le fixa plusieurs secondes, incrédule, puis éclata tout d’un coup d’un rire énorme.

— En Ukraine ! explosa-t-il. Il ne risque pas d’aller en Ukraine. A Belgrade peut-être.

— Pourquoi à Belgrade ?

Le Hongrois se pencha vers lui, ce qui comprima sa panse et déclencha un hoquet nauséabond.

— Parce que le Danube coule vers Belgrade, dit-il sur le ton d’une confidence primesautière, et que Karim Nazarbaiev est au fond du Danube.

— Comment le savez-vous ?

— C’est moi qui l’y ai mis.

— Vous l’avez tué ? L’ancien policier secoua ses bajoues.

— Non, j’ai juste fait le ménage. Comme j’ai une bagnole et que je ferme ma gueule, on me charge de ces petits trucs. En tout cas, il y avait plein de saletés dans son bureau. Le type qui l’a ouvert en deux connaissait son boulot.

Ferencz parlait en expert.

— Quand est-il mort ?

Korvin se leva et alla prendre un petit carnet poisseux qu’il feuilleta, posant finalement son index sur une page.

— Voilà ! Mardi dernier.

Le jour du flirt brûlant de Malko avec la pulpeuse Kirghize… Voilà pourquoi elle était si tranquille ensuite. Ferencz Korvin le regardait comme un chien qui attend sa pâtée. Un second billet de cent dollars changea de main. Il fallait encourager la délation.

— Qui l’a tué ? demanda Malko.

Ferencz Korvin prit l’air choqué.

— Ah, j’en sais rien ! Moi, je suis juste venu nettoyer.

Malko sentit que sur ce point il ne dirait rien. Pourtant quelque chose l’intriguait.

— C’est un règlement de comptes ? insista-t-il. Karim dirigeait une affaire. Qui l’a remplacé ? Hésitation. Cent dollars de plus.

— Un type qu’on connaît pas, finit par lâcher le Hongrois. On sait juste son prénom : Pavel. Il est arrivé le jour où…

Pas besoin de faire un dessin. Le dénommé Pavel avait liquidé Karim. Malko commençait à se faire une idée plus exacte de la situation.

— A quoi ressemble-t-il ? demanda-t-il. Ferencz Korvin repoussa sa casquette en arrière, maussade.

— Je l’ai pas vu. Mais il paraît que c’est un grand blond costaud. Bon, faut que j’aille travailler.

Il se leva, ses épaules touchaient presque les murs… Malko, sur le pas de la porte, posa encore une question.

— Les trois hommes qui ont été assassinés dans Lendvay utça, qui a fait le coup ?

— Des putains d’Arabes ! grommela l’ex-policier. Toute la bande qui traîne au Sémiranns.

Malko se retrouva dans le noir, plutôt satisfait. Avec ces révélations, il avait de quoi affronter Zakra. La belle Kirghize se révélait aussi dangereuse qu’une mygale.

* * *

Il pleuvait sur Rio. A travers la baie vitrée, Ishan Kambiz contemplait les eaux grises de la baie d’Ipanema. Le Carnaval commençait le surlendemain et, comme toujours, le temps était exécrable. Depuis une heure, il savait que Pavel Sakharov lui envoyait un messager, sans plus de détail, qui descendrait à l’hôtel Caesar Park. Pas loin de chez lui.

Une bonne idée. Sur place, il disposait de techniciens pour vérifier la qualité du plutonium 239. Si c’en était vraiment. Dans ce cas, il réussirait le plus beau coup de sa vie. Non seulement il deviendrait colossalement riche, mais il aurait droit à la reconnaissance éternelle des ayatollahs. L’idée que cela risquait de coûter la vie à des centaines de milliers d’innocents le laissait complètement indifférent. Son seul problème était de conserver à cette affaire le caractère le plus secret.

Au moindre faux pas, Ishan Kambiz aurait contre lui tous les « Chiens de Guerre » du monde avec des moyens illimités. Ce n’étaient pas quelques Gardiens de la Révolution qui pourraient le protéger.

* * *

L’aéroport de Roissy 2 grouillait d’animation ; des dizaines de longs courriers d’Air France étaient en partance, dont le Recife-Rio-Sâo Paulo. L’enregistrement automatique et la proximité des avions évitaient la cohue. Malko était arrivé dans l’après-midi, pour ne pas prendre à Budapest le même vol que Zakra. Après une longue réunion de travail place Szabadsag. En ce moment, Chris Jones et Milton Brabeck, ses « gorilles » préférés, se trouvaient quelque part entre Washington et Rio de Janeiro. Tous les desk « Amérique Latine » de la CIA étaient alertés. En particulier Brasilia.