— Nous ne nous parlons plus à partir de maintenant, dit-elle. A quel hôtel vas-tu aller ?
— Le même que toi. Je m’arrangerai pour te contacter.
— Non ! corrigea-t-elle. Laisse-moi seulement le numéro de ta chambre dans ma case. Mais je t’en prie, ne te manifeste pas, Malko avait la ferme intention de ne pas se faire semer. Zakra évaporée dans une ville de douze millions d’habitants, il aurait fait vingt-cinq mille kilomètres pour rien.
Dès que l’appareil se fut immobilisé, Malko sortit le premier afin d’éviter toute mauvaise surprise. A peine était-il dans la salle des bagages qu’il vit surgir une silhouette familière : Chris Jones, en chemisette découvrant ses avant-bras comme des jambons de Virginie, les yeux dissimulés par des lunettes noires, avec un énorme coup de soleil sur le nez.
A côté de lui, trottinait un petit bonhomme trapu, aux traits vaguement négroïdes, avec d’énormes lunettes d’écaille.
— Bienvenue en enfer ! annonça le gorille de la CIA. Aujourd’hui, il ne fait que 40° mais on espère faire mieux cet après-midi… Je vous présente le lieutenant Prudente Freitas de la policia fédérale. Il est venu de Brasilia spécialement pour nous aider.
Le policier brésilien serra chaleureusement la main de Malko et prit son ticket de bagage.
— Milton attend dehors avec une tire, précisa Chris. Malko suivit Chris Jones, fendant la foule qui attendait les passagers. Milton Brabeck était au volant d’une Golf verdâtre et cabossée, l’air épuisé. Une climatisation asthmatique soufflait un air vaguement refroidi dans un boucan d’enfer.
— Racontez-moi comment c’est la neige, lança-t-il à Malko. On va crever ici. Quant à la bouffe… Même la cantine de Langley est meilleure. Heureusement qu’il y a de la bière…
Malko regarda leur tenue d’été, pantalons et chemisettes, intrigué.
— Vous êtes armés ?
Avec un large sourire, Milton souleva légèrement le bas de son pantalon, découvrant un « ankie-holster » auquel était accroché un petit « 38 » deux pouces.
— Chris a le même, expliqua-t-il. En cas de conversation plus sérieuse, nous avons des outils dans le coffre. Ici, ça passe. A part les nouveau-nés, tout le monde est armé. Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Malko aperçut une superbe photo couleur de Zakra posée devant le volant. Ses cheveux étaient encore plus cuivrés qu’au naturel.
— On suit cette dame, fit Malko.
— Vu son allure, ça ne va pas être difficile, remarqua Milton. Ça m’aurait étonné de vous voir débarquer avec sœur Theresa.
Vingt minutes plus tard, la crinière rousse de Zakra la Kirghize apparut dans le hall.
Chris Jones siffla entre ses dents.
— Putain ! Je regrette d’avoir viré pédé.
La Kirghize se dirigeait vers les taxis. La Golf était derrière. Le policier brésilien les rejoignit, au moment où ils démarraient derrière Zakra.
— Personne ne lui a parlé ! annonça-t-il.
Ils filèrent le long de l’avenida Brasil, dans une sinistre banlieue essentiellement occupée par des marchands de voitures et des entrepôts. Prudente Freitas assura Malko de sa complète collaboration. Le FBI avait demandé à la police fédérale de les aider sur une importante affaire de contrebande d’armes, sans donner trop de détails. Comme le Brésil n’avait rien à refuser aux USA… Toujours suivant le taxi, ils s’engouffrèrent dans l’interminable tunnel Antonio Reboucas, évitant le centre, qui les amena au bord du Lagoa, juste derrière Copacabana.
La plage la plus prestigieuse de Rio avait bien changé !
Les trottoirs étaient envahis par les éventaires et une faune inquiétante rôdait. Le vieux Copacabana Palace à la façade jaunâtre et décrépie ne payait pas de mine. Ipanema, la plage suivante, était nettement mieux et le Caesar Park tout à fait convenable : une tour moderne pleine de Japonais en bordure de l’avenida Vieira Souto. Le policier brésilien fila aussitôt à la réception et lorsque Malko et les gorilles arrivèrent, tout était arrangé. Ils avaient les chambres 1804 et 1306. Zakra, elle, était encore en train de discuter au desk.
— Je monte, dit Malko, ne la lâchez pas. Dehors, la chaleur était accablante, à faire fondre le goudron. Arrivé dans sa chambre, Malko toucha la grande baie vitrée : brûlante. La plage grouillait de monde. Quelques minutes plus tard, on frappa deux coups à la porte et Milton Brabeck entra.
— Elle est au 1103, annonça-t-il. Le négro a demandé si on mettait son téléphone sur écoute.
Malko faillit dire oui, puis se ravisa. Inutile que les Brésiliens en apprennent trop. Le dispositif était en place. Prudente et Milton, dans le hall, Chris Jones, dehors au volant de la Golf. Malko pouvait prendre une douche.
Ishan Kambiz prit la communication sur son téléphone portable, à demi plongé dans la petite piscine installée sur la partie supérieure de son duplex, abritée du vent par des panneaux de verre. Une voix de femme agréable qui parlait mal anglais.
— On m’a dit de vous téléphoner. Je viens de Budapest, annonça-t-elle. Je suis au Caesar Park.
L’Iranien se sentit à la fois soulagé et agacé. Une femme ! Pourquoi avoir envoyé une femme ? De plus, il fallait toujours se méfier d’un piège.
— Très bien, fit-il d’une voix neutre.
— Qu’est-ce que je fais ? demanda anxieusement la messagère de Pavel.
Elle semblait décontenancée, ce qui l’inquiéta. Décidément, ces Russes n’étaient pas des professionnels… Avant tout, il devait vérifier que tout était clair.
— A quelle chambre êtes-vous ? demanda-t-il.
— 1103.
— Très bien, allez à la piscine de l’hôtel entre deux et trois heures. On vous appellera au téléphone.
Il raccrocha pour qu’elle ne puisse pas poser de questions gênantes et s’activa pour mettre son dispositif en place.
— Elle est à la piscine, au 23e, annonça Chris Jones au téléphone à Malko.
— Je vous rejoins, dit ce dernier.
Le Caesar Park possédait une petite piscine au dernier étage, à côté du restaurant Tiberius. Il y retrouva Chris et Milton attablés à l’ombre devant un Johnnie Walker, et Zakra allongée sur une chaise longue, à mourir de beauté dans un bikini blanc tout neuf qui explosait sous la masse de ses seins, couvée des yeux par tous les mâles présents et même quelques femelles. Au Tiberius contigu à la piscine, une foule bruyante dégustait la fejouada du samedi. Chris Jones bâilla.
— J’ai faim !
— Vous allez faire connaissance avec le plat national, annonça Malko. C’est le plat du jour. Venez.
Dociles, les deux gorilles le suivirent et s’arrêtèrent, tétanisés, en face des chaudrons où mijotaient les différents composants du plat traditionnel brésilien.
— My God ! Ça se mange ? interrogea Milton Brabeck, devant le chaudron de haricots noirs cuisant dans leur jus, à l’odeur rébarbative.
C’était une vraie fejouada. Avec des tripes de porc, des jarrets, des oreilles, du museau, de la queue, des saucisses et même un peu de viande. Les noms des ingrédients détaillés complaisamment sur des étiquettes en portugais et en anglais.