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L’homme à cheval sur sa poitrine parut soudain doté d’ailes et s’envola pour retomber sur la piste au milieu des danseurs qu’il bouscula comme des quilles. Le rasoir du second n’atteignit jamais le ventre de Malko. D’un formidable coup de pied qui mettait Milton Brabeck au rang de Pelé, l’Américain lui détacha pratiquement la tête du tronc. Il s’effondra en arrière comme une masse et demeura les bras en croix sur la moquette crasseuse.

Le troisième agresseur avait encore des velléités de nuire. Il fonça, le poignard en avant. D’un coup de coude, Chris Jones dévia sa trajectoire et la lame s’enfonça jusqu’à la garde dans le ventre du barbu déguisé en mariée.

Le malheureux poussa un cri sourd et se plia en deux pendant qu’un flot de sang inondait sa belle robe. Hébété, le tueur essaya de s’enfuir mais ce fut la curée. Les copains du travesti se ruèrent sur lui et le firent tomber sur le sol, le frappant à coups de sac à main et de talons aiguilles. Un escarpin propulsé par quatre-vingt-cinq kilos de muscles devenait une arme redoutable. Des gardes de la sécurité arrivèrent enfin et dispersèrent brutalement les travestis, sauvant la vie du tueur. On emporta le « marié » livide, en train de se vider de son sang, au son lancinant de E Carnaval.

— Où sont passés Zakra et l’Iranien ? demanda Malko à peine relevé.

— Partis ! Dans la Cadillac, lui apprit Milton Brabeck.

Ils se frayèrent un chemin vers la sortie, retrouvant Prudente, le policier fédéral, à côté de sa voiture banalisée. Bloqué dans le parking, il n’avait pas pu suivre la Cadillac. Ils foncèrent au Caesar Park, mais bien entendu, Zakra ne s’y trouvait pas. Malko fut balayé par une vague de découragement. Tant d’efforts pour échouer à la dernière minute. Comment retrouver la Kirghize dans une ville de douze millions d’habitants en pleine hystérie du Carnaval ? Les administrations ne marchaient pas pendant huit jours, tout s’arrêtait à Rio, sauf les défilés des écoles de samba…

Malko s’aperçut que sa chemise était déchirée, tachée de sang et qu’il avait une grande estafilade au flanc.

— Ici on tue les gens pour vingt dollars, expliqua le policier brésilien. Ces tueurs-là ont été recrutés sur place. On leur désigne la cible et on paie. Cela suffît. Ils ne posent pas de questions. Vingt dollars c’est trente mille cruzeiros, de quoi boire de la bière pendant tout le Carnaval.

Malko se fit servir une vodka au bar du Caesar Park. Zakra était en danger de mort. L’agression dont il avait été l’objet prouvait qu’ils avaient été repérés par Ishan Kambiz. A moins qu’elle n’ait joué double jeu et dénoncé Malko. Dans les deux cas, il fallait la retrouver et mettre Kambiz hors-jeu, afin qu’elle ne puisse alerter le vendeur, vraisemblablement le mystérieux Pavel. Car l’enjeu final de cette traque, c’était le vendeur de plutonium 239.

— Allons inspecter sa chambre, proposa-t-il, une fois remis de ses émotions.

Prudente se fit ouvrir la porte sans difficulté par une femme de chambre. La fouille fut vite faite. Ils allaient repartir lorsque Malko se pencha et ramassa dans la corbeille à papiers une pochette de billets Air France.

Un numéro était griffonné dessus. Il le montra au policier brésilien.

— Ça peut être un numéro de Rio ?

— Oui, fit ce dernier. Mais c’est facile à vérifier. Il n’y a qu’à appeler.

Malko l’arrêta à temps. Si c’était celui d’Ishan Kambiz, un appel bizarre l’alerterait aussitôt et il aurait cent fois le temps de leur échapper.

— Pouvez-vous découvrir le nom et l’adresse de l’abonné ? demanda-t-il.

Le policier fédéral semblait perplexe.

— Je peux essayer, dit-il, mais c’est le Carnaval. J’ai peur que personne ne réponde aux Renseignements.

— Et par la police ?

— Ils sont tous dans les rues. Je vais tenter le coup par la police fédérale de Brasilia.

Ils s’assirent, tandis qu’il commençait à composer le 102. Au bout de vingt minutes, le numéro n’avait toujours pas répondu. Malko rongeait son frein. La CIA tenue en échec par le Carnaval, ce n’était pas triste. Mais cette folie rituelle embrasait tout Rio. De toutes les radios, de toutes les télés, sortait le même air lancinant, E Carnaval, la rengaine de l’année sur fond de tam-tam. Sur l’écran de la télé Akai de la chambre, une nana se déhanchait en gros plan, comme désarticulée, faisant trembler ses seins, frémir son ventre, hurlant elle aussi E Carnaval.

* * *

Ishan Kambiz, les yeux vitreux de désir, contemplait Zakra en train d’onduler avec langueur sur le podium supportant une magnifique table de salle à manger en os incrusté d’or, créée spécialement par Claude Dalle pour le milliardaire iranien, une capirinha à la main. Ce devait être la septième et la Kirghize ne savait plus vraiment comment elle s’appelait. Elle ne s’était même pas aperçue que l’Iranien l’avait délestée de son collier. L’alcool lui chauffait les ovaires et elle pensait avec un dépit mêlé de désir au superbe Noir homosexuel qui l’avait repoussée. Cette musique si éloignée de ce qu’elle connaissait la rendait folle. Sans compter la ligne de coke que Kambiz lui avait fait aspirer. Celui-ci avait pris ses dispositions : il partait à six heures du matin pour Téhéran, par un itinéraire compliqué. Le collier était dans son attaché-case. Un cadeau pour sa femme si les douaniers lui demandaient quelque chose.

Il s’était débarrassé de Linda et ses gardes veillaient à l’étage inférieur du duplex.

Avant son départ, il avait deux tâches à accomplir. D’abord profiter de Zakra et ensuite la faire parler. Il devait savoir qui étaient ceux qui s’attachaient à ses pas. Et surtout, jusqu’à quel point ils avaient pollué l’opération « Darius ». Si c’était trop pourri, il l’abandonnerait. Pour le moment, il décida de se consacrer au premier de ses objectifs : le plus agréable. La silhouette de Zakra le rendait malade de désir.

Il la rejoignit, passa un bras autour de sa taille et commença à « danser » avec elle, c’est-à-dire à se frotter comme un chimpanzé en rut à la jeune Kirghize. En quelques minutes, il avait une érection de cheval qu’il exhiba sans vergogne. Zakra ne s’en aperçut même pas. Elle frétilla à peine quand Ishan défit les cordelières de son pantalon collant. Il n’eut qu’à aider un peu pour qu’il se retrouve par terre en petit tas. Zakra se contenta de pouffer… Vêtue uniquement de sa cornette et de ses escarpins, elle était extraordinairement érotique, avec le triangle noir au creux de son ventre se terminant aux colonnes fuselées des longues cuisses. L’alcool l’insensibilisait partiellement, mais elle hennit quand même d’excitation quand les doigts de l’Iranien s’emparèrent d’elle.

Il l’appuya au mur et ses mains partirent vers les seins gonflés, les emprisonnant en même temps, en triturant les bouts. Il haletait comme un malade et cette caresse déchaîna Zakra. De nouveau elle avait de la lave en fusion dans le ventre. Ishan Kambiz gronda. D’un violent coup de genou, il ouvrit le compas des longues cuisses et n’eut qu’à donner un grand coup de reins pour s’enfoncer verticalement dans le sexe ouvert. Étant donnée sa petite taille, c’était la position idéale. Tenant Zakra par les hanches, il se mit à la poignarder avec fureur. Zakra, pénétrée brutalement, hurla à la mort ! Son plaisir était si violent qu’elle commença à trembler, à gigoter dans tous les sens. Tellement, qu’elle échappa à l’Iranien. Elle fit quelques pas en titubant et s’effondra, agenouillée sur le grand canapé.