— Vous pensez qu’il va parler ?
Milton secoua lentement la tête.
— Honnêtement, non. C’est un dur et il n’a que dix doigts.
C’était l’impasse. Milton, timidement, proposa alors :
— J’ai une idée. Un truc qui ne l’abîmera pas, mais qui peut être vachement efficace.
Il expliqua son idée. Ce n’était sûrement pas une méthode recommandée par la Ligue des Droits de l’Homme, mais au point où ils en étaient…
— Salauds, laissez-moi !
Ishan Kambiz tenait en l’air sa main gauche dont l’auriculaire, l’annulaire et le médius étaient bleuâtres et enflés. En dépit de cela, il se débattait comme un beau diable.
— Je n’ai plus de temps à perdre, répliqua Malko. Vous allez répondre à mes questions.
— Je ne sais rien ! cracha l’Iranien. Allah Akbar.
Malko, sans lui répondre, fit un signe aux deux gorilles. Ceux-ci empoignèrent Karobiz, le traînant vers la rambarde dominant le trottoir, dix-huit étages plus bas. Milton Brabeck le lâcha. Chris Jones, avec sa force herculéenne, le saisit solidement aux poignets et le fit passer par-dessus le parapet, au-dessus du vide !
— Non ! Arrêtez ! J’ai le vertige.
Les hurlements d’Ishan Kambiz s’étranglèrent très vite, tant la terreur lui resserrait le larynx. Il se débattait faiblement, s’accrochant de sa main valide aux poignets de Chris Jones. Malko, surmontant son dégoût devant des méthodes aussi barbares, apostropha l’Iranien :
— Kambiz, lança-t-il. Vous êtes déjà responsable de la mort de centaines d’innocents. Le trafic de plutonium pourrait en faire tuer des centaines de milliers. Je veux que vous me disiez tout ce que vous savez. La force de mon ami n’est pas sans limite. Lorsqu’il n’en pourra plus, il vous lâchera. Vous n’avez plus beaucoup de temps.
— Il est lourd ce salaud, remarqua Chris Jones en contrepoint. En bas, les automobiles défilant sur l’Avenida Vieira Santo ressemblaient à des jouets. Étant donné l’obscurité, personne ne pouvait distinguer l’homme collé à la paroi. Il ne dut pas s’écouler plus de dix secondes avant qu’Ishan Kambiz glapisse d’une voix étranglée :
— Je vais parler ! Je vais parler ! Remontez-moi.
— Parlez d’abord, dit Malko.
Il n’éprouvait aucune compassion pour l’Iranien qui s’engraissait sur les cadavres et le fanatisme.
— Que voulez-vous savoir ? demanda Ishan Kambiz, d’une voix étranglée.
— Qui vous vend le plutonium ?
— Pavel ! Pavel Sakharov. Un Russe.
Pavel ! l’homme mystérieux qui avait éliminé Nazarbaiev, le nouvel amant de Zakra. Ce ne pouvait être que lui.
— Qui est-il ?
— Un général du KGB.
— Où est-il ?
— Pour le moment à Budapest, mais il voyage beaucoup. Il est basé à Moscou.
— Comment devez-vous le contacter ?
— Je devais donner un message à la fille. Avec un ordre de virement pour les échantillons.
— Combien ?
— Un million de dollars.
— Et ensuite ?
— Il doit me livrer. En Hongrie. Je ne sais pas où.
Chris Jones fit un léger mouvement et l’Iranien hurla aussitôt.
— Il va me lâcher ! Il va me lâcher !
— Pas tout de suite, fit Malko, après avoir consulté Chris Jones d’un regard. Sur quelle quantité de plutonium 239 porte cet accord ?
— Quatre-vingts kilos, murmura Ishan. Je vous en prie, remontez-moi. Il va me lâcher.
Maladroitement, il essayait d’accrocher ses pieds à la paroi lisse du building. Quatre-vingts kilos ! Malko en avait froid dans le dos… De quoi confectionner une dizaine de bombes nucléaires. L’horreur absolue.
— C’est pour votre pays, n’est-ce pas ? De nouveau, Ishan Kambiz leva la tête et ce qu’il vit le tétanisa d’horreur.
— Oui ! hurla-t-il, oui !
Zakra s’était glissée doucement derrière Chris Jones. Impassible, elle promena le tranchant effilé du poignard d’Hashemi sur le poignet du gorille. Chris Jones sursauta sous la douleur et ses doigts se desserrèrent imperceptiblement. Ce fut assez pour que le poignet de l’Iranien lui glisse entre les mains… Pendant quelques secondes, il parvint à le retenir. Mais Ishan Kambiz hâta sa propre fin en gigotant comme un damné.
Brutalement, il disparut, comme aspiré vers le sol.
— Ahahahahahah !
Son hurlement de terreur leur glaça le sang dans les veines. Malko détourna les yeux. Horrifié, Chris Jones vit le corps s’écraser sur le trottoir de mosaïque et rebondir, pour retomber définitivement.
— Holy shit ! murmura le gorille, livide. Il ne sentait même plus la coupure de sa main. Les trois hommes se regardèrent, sous le choc. Zakra leur jeta un regard plein de mépris, murmurant des injures dans sa langue natale. Elle était la seule à ne laisser paraître aucune émotion. Malko avait envie de vomir. A chaque mission pour la CIA, il abandonnait un peu de son éthique. Son voyage au Brésil se terminait bien mal.
— Je peux partir ? lança Zakra.
Malko se retourna vers elle, bouillant de fureur. Si elle avait été moins têtue, il n’aurait pas été obligé de se livrer à ces extrémités… D’un coup, sa vengeance accomplie, elle semblait avoir retrouvé toute sa morgue et son assurance. Légèrement déhanchée, elle fixait Malko, une lueur ironique au fond de ses yeux noirs. Certaine qu’il allait dire « oui. ».
— Il n’en est pas question, répliqua-t-il, glacial.
Le regard de Zakra vacilla à peine.
— Pourquoi ? lança-t-elle, pleine de défi. Je n’ai plus rien à faire ici, non ? Chris Jones et Milton Brabeck la contemplaient, sidérés par tant d’audace. Machinalement, Chris tamponnait les coupures de sa main avec son mouchoir.
— Moi, j’ai encore à faire avec toi, fit Malko. Son cerveau travaillait à la vitesse de la lumière. La mort d’Ishan Kambiz était certes regrettable, mais elle le mettait, grâce aux informations communiquées par l’Iranien, dans une situation particulièrement favorable pour remonter jusqu’au vendeur de plutonium 239. A un détail près. Il avait besoin de Zakra.
— Pourquoi faire ? lança la jeune Kirghize.
— Pour m’accompagner à Budapest, annonça Malko.
Chapitre XIII
Zakra fixa Malko avec un mélange d’incrédulité et de fureur, puis son regard devint fixe. Dans le lointain, la sirène d’une ambulance commença à hululer.
— Jamais, fit-elle. Je ne veux plus entendre parler de tes histoires. J’ai déjà failli y laisser ma peau. Je rentre à Budapest. Seule. Et toi, tu vas au diable.
L’atmosphère s’était brutalement tendue. Malko, sans dire un mot plus haut que l’autre, annonça :
— A la seconde où tu t’en vas, j’appelle ton ami Pavel dont je connais maintenant le nom et je lui dis que c’est toi qui me l’as appris. Et aussi que tu l’as trahi à mon profit.
— Salaud ! Ce n’est pas vrai.
Le buste en avant, la lèvre supérieure retroussée, Zakra ressemblait à un fauve prêt à bondir. Si elle avait encore tenu le poignard d’Hashemi, elle l’aurait sûrement planté dans le ventre de Malko.
— Tu auras du mal à te disculper, remarqua Malko sans s’énerver. Les apparences sont contre toi…
— Si tu fais ça, il va me tuer, lança Zakra d’une voix étranglée par la fureur et la peur.
— Ce n’est pas impossible, reconnut Malko, mais il ne tient qu’à toi d’éviter cette solution désagréable.
Zakra demeura silencieuse, comme si elle donnait à son cerveau le temps de s’imprégner de la proposition de Malko.
— Qu’est-ce que tu veux de moi ? demanda-t-elle au bout d’un silence pesant. Et pourquoi Pavel t’intéresse-t-il tellement ?